Éditions de l’Action canadienne française (p. 165-166).

À PROPOS DE DOLLARD




LA déification de Dollard des Ormeaux et de ses compagnons compte en notre pays deux groupes d’adversaires : premièrement ceux qui ne voient dans ces jeunes gens qu’un groupe de fols aventuriers, et que, fort heureusement pour l’honneur de notre peuple, M. Émile Vaillancourt a mis à la raison dans les colonnes de la Gazette ; deuxièmement ceux qui, sans nier à Dollard et à ses compagnons l’intrépidité, leur attribuent des mobiles tout humains et dont l’opinion s’exprimait, il y a quelques temps, dans le Canada par la plume de M. Jean Chauvin. Ayant cru constater à divers indices que l’article de M. Chauvin — pourtant empreint d’une louable judiciaire — n’avait pas plu à tout le monde, nous avons écouté avec un intérêt tout particulier, de la bouche de M. l’abbé Groulx, à la T. S. F., ce qu’on avait annoncé comme une mise au point.

Or, sauf erreur, la radio-conférence de M. Groulx pourrait se résumer ainsi : La Nouvelle-France était bel et bien menacée de destruction par les Iroquois. Ceux-ci, venus de diverses parties du territoire par petits groupes, devaient se rassembler au Long-Sault pour la course dévastatrice sur Ville-Marie, Trois-Rivières et Québec. == Texte du titre ==

Quand ils partirent à leur rencontre, Dollard et ses compagnons avaient en vue de les battre en détail, avant leur concentration, et, incidemment, de leur prendre des fourrures, marchandises qui était à ce moment, pour une large part, la vie même de la colonie. Il est permis de supposer que Dollard espérait revenir sain et sauf de l’expédition : le billet qu’il donna à un de ses créanciers avant son départ et surtout la sagesse qui se mêlait à l’audace de son plan de campagne donnent de la vraisemblance à cette hypothèse. Il n’en est pas moins vrai que le combat du Long-Sault fit rebrousser chemin aux Iroquois, que Dollard et ses compagnons y perdirent la vie, et que grâce à ce retournement dû à ce sacrifice, la Nouvelle-France fut sauvée. Tout en se proposant évidemment d’humaniser, de bonhomiser Dollard, — d’en faire autre chose que l’espèce de ténor italien qui orne plus ou moins les Jardins Lafontaine, — M. Chauvin n’avait pas dit autre chose.

Exception faite des « sauvages » taillés en pièces et boucanés par M. Vaillancourt, tout le monde, bientôt, sera d’accord pour voir en Dollard non pas un demi-dieu, — car, des demi-dieux, il y en eut malheureusement trop peu parmi nos ancêtres, — mais tout bonnement un brave qui, espérant vaincre, perdit la vie, et qui, perdant la vie, n’en sauva pas moins ses concitoyens.

Moins romantique que celle qui a prévalu jusqu’ici, cette conception aura le mérite d’être probablement plus conforme à la vérité.

Et la gloire de Dollard n’en souffrira nullement.


Le Canada, 20 mai 1932.