Pendant l’orage/Un américain écrit

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 113-114).

UN AMÉRICAIN ÉCRIT



13 mars 1915.


Je traduis : « Le socialisme est un militarisme sans canons. C’est de la militarisation industrielle. L’État est déifié au lieu du Kaiser. La France décapita un roi et offrit aux adorations une Déesse de la Raison. Les Allemands abattront un empereur et érigeront une Déesse, appelée Nous, Vous, État, Tous. Le socialisme est puissant en Allemagne, parce que les Allemands sont un troupeau et non une race d’individus. Militarisme, routine, économie, système, voilà leurs fétiches verbaux et ils révèlent l’âme d’un peuple. L’empire allemand, depuis cinquante ans, n’a plus de cerveaux, mais une collection de trous à pigeons. Le peuple allemand est philistin et bourgeois au fond du cœur. Du militarisme au socialisme, il n’y a qu’un pas, parce que les deux systèmes ne sont opposés que superficiellement. Ils émanent tous les deux du même instinct psychologique, l’impérieux besoin de l’autorité chez un peuple, l’aveu qu’il est sans espérance comme individu… Ceci explique l’étonnante unité des Allemands. Ils sont collectivistes, et que cela soit un Kaiser ou un Liebknecht qui les appelle, c’est la même chose. Ils obéissent. Ils ont toujours obéi. Et leur « culture », leur « intellectualisme » est strictement académique, autoritaire, collectiviste, subventionné. Voilà le secret de l’Allemagne d’aujourd’hui, tout y est subventionné, chacun y a son salaire. On appelle cela législation collectiviste. Toute chose, dans l’empire, est étiquetée et évaluée… Sous un tel régime, l’instinct, la spontanéité, la santé mentale, le goût naturel tombent à rien. Tout ce qui est utile est légitime. Apprenez vos leçons. Devoir, devoir, devoir. L’individu n’est rien et le socialisme, le militarisme, l’utilitarisme sont tout, de plus en plus tout… » L’auteur montre ensuite comment l’utilitarisme trop conscient aura mené un peuple immense à l’inconscience et à la ruine. Ce court et suggestif article vient d’être donné par Benjamin de Casseres à l’Evening Sun de New-York. C’est l’écrivain le plus fougueux, le plus indépendant, mais souvent le plus paradoxal et quelquefois le plus poétiquement obscur que je connaisse.