Pendant l’orage/Les otages

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 115-116).

LES OTAGES



14 mars 1915.


Qu’une armée envahissante fasse des otages civils, cela se comprend à la rigueur, mais quel besoin est-il de les maltraiter, de choisir des vieillards infirmes et de les faire marcher à coups de crosse au pas accéléré d’un cheval, de choisir des femmes et de les entasser dans des chariots ou des wagons sans leur donner à manger, de tirer de temps en temps dans le tas un coup de revolver, de faire souffrir enfin ces innocents par tous les moyens dont peut disposer un soldat brutal ? Ce sont des crimes et non des crimes imposés par la guerre aveugle, mais des crimes d’élection, des crimes perpétrés avec autant de sang-froid que de stupidité. Un de leurs raffinements semble avoir été de séparer les mères de leurs enfants et d’ajouter ainsi à la torture physique un supplice moral presque insupportable. Mais peut-on vraiment considérer comme des otages, ces gens emmenés en Allemagne sans autre but que de les faire souffrir, puisque souvent on les arrachait d’un village que les troupes allemandes évacuaient après une brève occupation ? Non, décidément on ne comprend pas le but de ces mesures odieuses. C’est le mal pour le mal. Ainsi jadis le Peau-Rouge attachait ses prisonniers au poteau et s’amusait à les torturer. Peut-être pourrait-on y voir un but secret, celui de créer entre les deux pays une inimitié éternelle ? S’il en est ainsi, reconnaissons qu’ils ont réussi, car des procédés si lâches ne peuvent jamais être pardonnés. Ils ont semé dans les provinces du nord de la France et en Belgique de la haine, de l’horreur et du mépris pour des siècles. Mais ne croyons pas à des desseins si profonds. Pour moi je n’hésite pas à percevoir derrière tous ces actes plus encore que les mauvais instincts du sauvage, la stupidité de la brute. Qu’ils aient pour principe tout ce qui est utile est légitime, soit. Mais, dans les faits relatés dans le second rapport Payelle, l’utilité n’apparait jamais. C’est pourquoi, il n’y a rien à comprendre, mais il faut se souvenir et penser aux représailles. Pas de Tolstoïsme, mais du Biblisme, de l’implacable Biblisme.