Pendant l’orage/Les uns et les autres
LES UNS ET LES AUTRES
Ils tombent à droite, ils tombent à gauche. Le troisième Bulletin des Écrivains qui nous donne l’éloge de
Pierre Gilbert par Charles Maurras, nous annonce la
mort de Léon Bonneff. L’un appartenait à la Revue critique des Idées et des Livres, à la littérature nationaliste
et néo-classique. L’autre appartenait à l’Humanité, à la
littérature socialiste et naturaliste. L’un défendait la tradition, l’autre défendait la révolution, mais tous deux
défendaient la France. Je crois bien qu’ils s’ignoraient
l’un l’autre. Surtout, ceux qui aimaient l’un n’aimaient
pas l’autre. On s’aperçoit maintenant que tous les deux
servaient la même cause. J’ai réuni ces deux noms, parce
qu’ils me sont tombés sous les yeux. J’aurais pu en
prendre deux autres. Toutefois, de Bonneff, j’avais lu le
dernier livre et j’en avais gardé une impression assez
forte. C’était beaucoup moins de la littérature que des
documents, mais des documents d’une rare intensité de
vie et singulièrement poignants. Didier, homme du peuple, c’est un genre que j’aime assez, parce qu’il ne
s’appuie pas sur le vain talent littéraire, mais sur l’observation
des mœurs et des faits sociaux. Bonneff est l’un de
ceux qui nous avaient donné sur la guerre le livre documenté
qu’il nous faudra et qui nous viendra certainement,
mais je ne sais d’où, le livre de faits et non de déclamations,
le livre sans anecdotes, sans larmes, sans gloire, le
livre terrible. Méditez sur cette conception du livre de
la guerre, jeunes gens qui nous reviendrez, l’œil et l’oreille
encore troublés de ce que vous aurez vu et de ce que
vous aurez entendu. En attendant, il nous faut compter
ceux qui ne le feront pas et qui auraient pu le faire et
notre tristesse augmente.