Pendant l’orage/Les ruines

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 87-88).

LES RUINES



14 janvier 1915.


Un écrivain, M. Jean Desthieux, qui prépare à ce sujet une enquête pour La Revue, me demande mon avis en ces termes : « Faudra-t-il restaurer ou reconstruire, suivant les cas, la cathédrale de Reims, l’hôtel de ville d’Arras et nos autres monuments nationaux sur lesquels les Allemands ont tenu à laisser une trace durable de leur passage ? Ou vaudra-t-il mieux conserver ces monuments dans l’état où les aura laissés l’envahisseur ? » Il faudra les reconstruire ou les restaurer, cela ne fait aucun doute. Ni Reims, ni Arras ne peuvent demeurer avec un hôtel de ville en ruines, avec une cathédrale sans toit. On a pu laisser dans un coin de Paris les ruines devenues pittoresques de l’ancienne cour des comptes, mais ce n’était pas là un monument unique et indispensable à la cité. Si bien qu’on a fini par édifier à sa place une gare ! Je ne suppose pas que l’on réserve le même sort ni à la vieille cathédrale historique, ni au vieil hôtel de ville, donc il faut reconstruire ou il faut réparer. Cela ne veut pas dire qu’architectes et maçons aboliront le souvenir des outrages allemands aux vieilles pierres, pas plus que les chirurgiens n’abolissent en soignant les blessés le souvenir des maux infligés aux personnes. C’est cela. Il faudra traiter les monuments blessés comme on traite les personnes blessées. Dans bien des cas, la blessure sera difficilement réparable, le monument gardera des cicatrices. Tant mieux, et puissent-elles durer aussi longtemps que le souvenir qui se transmettra dans les cœurs de générations en générations.