Pendant l’orage/Le tricot d’honneur

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 53-54).

LE TRICOT D’HONNEUR



6 décembre 1914.


Le général Joffre a reçu un tricot d’honneur, qui est aussi un tricot d’amour, un tricot où toutes les femmes de sa petite patrie, Rivesaltes, ont collaboré, des grand’mères aux petites filles, un tricot où auraient bien voulu mettre la main aussi les autres femmes de France. De tous les honneurs, de tous les mouvements de reconnaissance qui sont allés vers lui depuis le commencement de la guerre, c’est peut-être à ce témoignage de sa ville natale qu’il aura été le plus sensible, car ce rude soldat est aussi, j’en suis certain, un homme sensible. Son souci d’épargner la vie de ses troupes, si opposé au gaspillage féroce de vies humaines que pratique l’ennemi, en est une des preuves. Ce n’est pas seulement la raison qui lui conseille cela, c’est la sensibilité. Il pense à l’avenir de la France, il pense à tant de belles jeunesses sacrifiées à la patrie, il pense aussi à ces femmes qui ont pensé à lui et qui lui devront la joie de revoir ceux qui sont partis. C’est pour cela qu’il n’est pas seulement admiré, mais aimé et vénéré. C’est pour cela que l’idée des femmes de Rivesaltes, si jolie et si touchante, a semblé aussi si raisonnable et si juste. Et puis, à courir par ces temps, de bataille en bataille, par ces temps et par tous les temps, on n’est pas sans risquer un peu de sa santé ; le tricot le mettra à l’abri des mauvais froids. Et quand même il le ferait ranger dans une valise, tout simplement, il lui tiendrait encore chaud, ne fût-ce qu’au cœur.