Pendant l’orage/Alsace-Lorraine

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 55-56).

ALSACE-LORRAINE



8 décembre 1914.


Nos armées ont repris sérieusement pied en Alsace, mais, soit directement, soit comme conséquence de l’ensemble des opérations, il semble bien maintenant que cette province et sa voisine redeviendront françaises. Ce serait pour nous le seul résultat de la campagne, qu’il serait encore considérable. C’est donc le moment de revenir un peu sur les espoirs de reconquête, qui au cours de ces quarante dernières années, avaient fini par sembler tellement chimériques que l’on en parlait le moins possible. Le feu sacré était toutefois entretenu par Déroulède, qui mourut l’an passé non seulement en y pensant toujours, mais en en parlant toujours. Même, à un moment, sa Ligue des Patriotes avait pu paraître dangereuse pour la paix. Elle était surtout exaspérante pour ceux qui avaient pris leur parti d’un état de choses de fait qu’ils ne voyaient pas la possibilité de changer à notre profit. Je fus de ceux-là, et j’ai à me reprocher un article où je malmenais, non l’idée de patrie, certes, mais le groupement bruyant qui s’en servait mal à propos et, me semblait-il, indiscrètement. C’était une erreur, et je m’aperçois maintenant que cette « Ligue indiscrète » n’a pas été sans influence sur le magnifique mouvement de patriotisme qui a fait se lever jusqu’aux socialistes et pacifistes français, jusqu’aux anarchistes français, dans un mouvement de défense qui portera ses fruits. Les idées sont modelées par les événements, qui sont nos maîtres. Celles qui sont possibles dans l’état de paix naturelle deviennent inconvenantes dans l’état de cataclysme. Il est des hommes trop concrets auxquels il faut, plus qu’à d’autres, la leçon de ces événements maîtres. Ils sont parmi les meilleurs, parce qu’ils sont les plus sincères.