Pendant l’orage/La guerre et l’éducation

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 39-40).

LA GUERRE ET L’ÉDUCATION



18 novembre 1914.


Du temps de Napoléon, l’Europe vivait dans la guerre perpétuelle. Ici ou là, le canon tonnait. Il est vrai que c’était, vue de France, la guerre hors frontières, mais on pensait cependant aux risques et toute l’éducation avait pour but de donner aux jeunes gens les moyens de surmonter la possible mauvaise fortune. Les Goncourt rapportent dans leur Journal ce que disait à son fils un homme de ces temps : « Il faut que tu saches le latin, on peut se faire comprendre partout quand on sait le latin. Il faut que tu saches le violon, parce que si tu es prisonnier de guerre dans un village, tu pourras faire danser les paysans et cela te rapportera quelques sous ; et si tu es prisonnier dans une ville, on pensera de toi que tu es un homme distingué, appartenant à une bonne famille et cela t’ouvrira les sociétés et te fera faire de bonnes connaissances. Et puis il faut que tu dormes sur l’affût d’un canon comme sur un lit… » Il aurait pu ajouter quelques recommandations non moins utiles sur la faim, la soif, l’ennui, les privations de tout ordre qu’il faut s’habituer à supporter. Qui sait si demain le terrassement, le creusement des tranchées ne deviendra pas une des choses enseignées, et non pas théoriquement, à la jeunesse, et qui sait si on ne l’habituera pas, les ayant creusées, à savoir y vivre, y dormir, à s’y adapter comme un animal à sa tanière ? La surface de la terre tendant, en état de guerre, à devenir inhabitable, il faudra acquérir, de même que certains grands fourmiliers, l’art de disparaître instantanément sous terre et d’y cheminer, conquête qui ira de pair avec celle de l’air.