Pendant l’orage/« Bulletin des écrivains »

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 31-32).

« BULLETIN DES ÉCRIVAINS »



11 novembre 1914.


C’est une très bonne idée qu’ont eue trois écrivains qu’il faut nommer, René Bizet, Fernand Divoire, Gaston Picard, de publier sous ce titre : « Bulletin des Écrivains, 1914-1915 », une gazette des hauts faits, des morts glorieuses, des blessures, des destinées des écrivains jetés dans la mêlée, arrachés soudain à leurs travaux, à leurs rêves, à leurs pacifiques espoirs. Mais pacifiques ou ardents, les uns et les autres, selon leur âge ou leur santé, sont partis, vont partir, par un geste quelconque tentent de se rendre utiles à la patrie menacée. Mourir pour la patrie, j’ai cru longtemps que ce n’était là qu’une romance guerrière, mais voilà que je ne sais que trop que c’est la plus poignante et la plus noble des réalités. Prés de vingt jeunes gens appartenant aux lettres sont morts au champ de bataille, plus de trente ont été blessés, et les deux listes vont s’accroissant tous les jours ; d’autres ont dû sortir tout perclus des affreuses tranchées. Un poète anglais me demandait l’autre jour des nouvelles de son confrère Charles Vildrac : ce fin et charmant poète a été blessé ; blessés : Robert Veyssié, Alfred Drouin. Mais n’y eut-il pas des oublis ou m’a-t-on donné de faux renseignements ? Je croyais qu’il fallait déplorer aussi la mort du poète Gojon. Ce bulletin précisera les nouvelles. Il est précieux et saisissant. On y voit l’œuvre de mort dans toute son horreur aveugle et comment nous sommes à une heure où les plus jeunes sont les moins sûrs du lendemain. On se demande même, si cette fauchaison continue, s’il y aura un lendemain pour la jeune littérature. Il y a toujours des lendemains, mais jeunes et vieux en garderont pour longtemps un trouble singulier et douloureux.