Pendant l’Exil Tome II La crise d’octobre 1869




Actes et paroles volume 4J Hetzel (p. 177-178).

V

LA CRISE D’OCTOBRE 1869

L’empire déclinait. On distinguait clairement dans tous ses actes les symptômes qui annoncent les choses finissantes. En octobre 1869, Louis Bonaparte viola sa propre constitution. Il devait convoquer le 29 ce qu’il appelait ses chambres. Il ne le fit pas. Le peuple eut la bonté de s’irriter pour si peu. Il y eut menace d’émeute. On supposa que Victor Hugo était pour quelque chose dans cette colère, et l’on parut croire un moment que la situation dépendait de deux hommes, l’un, empereur, qui violait la constitution, l’autre, proscrit, qui excitait le peuple.

M. Louis Jourdan publia, le 12 octobre, dans le Siècle un article dont le retentissement fut considérable et qui commençait par ces lignes :

« En ce moment, deux hommes placés aux pôles extrêmes du monde politique encourent la plus lourde responsabilité que puisse porter une conscience humaine. L’un d’eux est assis sur le trône, c’est Napoléon III ; l’autre, c’est Victor Hugo. »

Victor Hugo, mis de la sorte en demeure, écrivit à M. Louis Jourdan :

Bruxelles, 12 octobre 1869.
Mon cher et ancien ami,

On m’apporte le Siècle. Je lis votre article qui me touche, m’honore et m’étonne.

Puisque vous me donnez la parole, je la prends.

Je vous remercie de me fournir le moyen de faire cesser une équivoque.

Premièrement, je suis un simple lecteur du Rappel. Je croyais l’avoir assez nettement dit pour n’être pas contraint de le redire.

Deuxièmement, je n’ai conseillé et je ne conseille aucune manifestation populaire le 26 octobre.

J’ai pleinement approuvé le Rappel demandant aux représentants de la gauche un acte, auquel Paris eût pu s’associer. Une démonstration expressément pacifique et sans armes, comme les démonstrations du peuple de Londres en pareil cas, comme la démonstration des cent vingt mille fenians à Dublin il y a trois jours, c’est là ce que demandait le Rappel.

Mais, la gauche s’abstenant, le peuple doit s’abstenir.

Le point d’appui manque au peuple.

Donc pas de manifestation.

Le droit est du côté du peuple, la violence est du côté du pouvoir. Ne donnons au pouvoir aucun prétexte d’employer la violence contre le droit.

Personne, le 26 octobre, ne doit descendre dans la rue.

Ce qui sort virtuellement de la situation, c’est l’abolition du serment.

Une déclaration solennelle des représentants de la gauche se déliant du serment en face de la nation, voilà la vraie issue de la crise. Issue morale et révolutionnaire. J’associe à dessein ces deux mots.

Que le peuple s’abstienne, et le chassepot est paralysé ; que les représentants parlent, et le serment est aboli.

Tels sont mes deux conseils, et, puisque vous voulez bien me demander ma pensée, la voilà tout entière.

Un dernier mot. Le jour où je conseillerai une insurrection, j’y serai.

Mais cette fois, je ne la conseille pas.

Je vous remercie de votre éloquent appel. J’y réponds en hâte, et je vous serre la main.

Victor Hugo