Peaux-Rouges et Peaux-Blanches/Chapitre 16

Calmann-Lévy, éditeurs (p. 231-245).


CHAPITRE XVI

UNE EXPÉDITION DES APÔTRES.


Adrien Dubreuil à son ami Ernest Lenormand,
Fond-du-Lac, août 1838.

À la vue du nom du lieu d’où je t’écris, tu ouvres tes yeux tout grands ; prends donc une carte de l’Amérique septentrionale, mon bon ami, et, un peu au-dessous de l’angle occidental formé par le 47° de latitude et le 92° de longitude, tu apercevras, sans lunettes, je l’espère, un nom fort peu connu maintenant des populations civilisées, mais auquel je ne crains pas de prédire une notoriété considérable, d’ici un siècle ou deux, rien que cela, si quelque folle comète ne s’avise, dans ses nocturnes ébats, de donner un coup de queue à notre globe sublunaire, ce que je ne lui souhaite pas, de mon vivant au moins !

Quelle phrase ! as-tu eu chaud pour la lire ? Moi je sue comme dans une étuve. Le papier d’emballage sur lequel je t’écris t’en dira long. Si tu savais quelle peine j’ai eue à me le procurer ! D’encre ici il n’est point question. Un peu de suie détrempée avec de l’eau en fait l’office. Quant à ma plume, c’est un piquant de porc-épic que j’ai, tant bien que mal, aiguisé sur un caillou, car on ne me permet pas d’avoir de couteau. Tu t’étonnes ! Ah ! réserve tes surprises, mon cher ; je vais t’en apprendre bien d’autres. Mais procédons par ordre.

Tu te souviens avec quelle joie je reçus la mission d’aller explorer les mines du lac Supérieur. Pour moi qui aimais passionnément l’Amérique pour ses institutions libérales, pour les splendeurs dont Chateaubriand nous avait conté que son immense territoire était écrasé, et peut-être aussi parce qu’il est de tradition dans ma famille que mes ancêtres contribuèrent largement à la découverte et à la colonisation du Nouveau-Monde ; pour moi la place que j’obtenais était le comble de vœux souvent caressés quoique dissimulés avec soin, car je craignais d’affliger ma bonne mère.

Ce mot d’Amérique, tu sais, la faisait tressaillir, pâlir, fondre en larmes. Était-ce au souvenir de mon frère aîné, parti depuis tant d’années, sans que l’on eût jamais su ce qu’il était devenu ? Mais qui prouve qu’il soit allé sur cet hémisphère ?

Juge s’il m’en coûta beaucoup de déclarer à cette tendre mère que j’avais trouvé un emploi en Amérique et que je devais la quitter pour quelques années.

Cependant elle se montra plus forte, plus résignée que je ne l’aurais cru.

« Mon pauvre enfant, me dit-elle, ton départ me navre le cœur. Je n’ai plus que toi ici-bas… mais je t’aime assez pour sacrifier ma tendresse à ton bonheur si tu penses réussir là-bas. Une destinée fatale semble vous y conduire tous. La plupart de tes aïeux ont illustré votre nom et sont morts de l’autre côté de l’Atlantique ; ton père a péri dans le golfe Saint-Laurent avec le navire qu’il commandait, et ton frère… »

Elle se mit à sangloter.

« Ah ! ton frère aîné, mon bel Adolphe, poursuivit-elle à travers ses sanglots, ah ! si tu le rencontres, dis-lui que je lui pardonne, que son père lui avait pardonné avant son dernier voyage, dans lequel, hélas ! il a succombé, dis-lui de revenir, que je l’en prie, que mes bras lui sont ouverts, que je voudrais le voir une fois encore avant de rendre mon âme à Dieu ! »

Et je m’embarquai en compagnie de ce brave Jacot, mon ancien brosseur, qui s’est attaché à moi comme la hampe au drapeau, pour me servir de son expression.

Un voyage à travers l’Océan n’a rien de très-divertissant, n’en parlons pas.

Nous voici à New-York, une ville dont le site est merveilleusement beau et qui me semble destinée à conquérir le beau titre de capitale du monde commercial.

Nulle part je n’ai vu un port plus vaste, plus commode, nulle part un emplacement aussi bien disposé pour être l’emporium, comme on dit ici, du trafic de l’univers. Et cet emplacement n’est pas seulement avantageux aux gens du négoce, mais pour un artiste, pour un ami des charmes de la nature, il n’en est guère, à mon avis, de plus attrayant.

La ville, qui n’a que 200,000 âmes maintenant, en comptera peut-être un million dans vingt ans[1], et, avant la fin du siècle sera la cité la plus populeuse de notre planète. Pour le moment elle est très-mouvementée, très-affairée, très-enfiévrée, pas du tout agréable à un Français. De monuments publics, il y a peu ou point ; de lieux de divertissements, je n’en ai pas entrevu l’ombre. Chacun s’occupe, chacun songe to make business. Les seules distractions sont la bar ou le café (méchante traduction d’une méchante chose) ; on s’y enivre. Le soir, l’ivresse n’est pas déplacée. En plein soleil c’est une infamie. Ainsi sont les gens, un peu partout d’ailleurs : ils répugnent à se montrer sans un masque ou un voile sur la figure.

Élevons, mon cher, un autel à l’hypocrisie, ou plutôt quittons New-York et suis-moi dans l’intérieur des terres.

Là, je remarque une activité prodigieuse, un esprit d’entreprise inouï. On travaille avec une ardeur, dans une multiplicité de genres, dont un Européen n’a pas idée. En cinq ans, d’une forêt vierge, on a fait un village florissant, avec son église, sa maison commune, ses champs, ses promenades et jusqu’à ses parterres ornés de fleurs ; j’oublie de mentionner l’imprimerie et le journal, car, dans ce pays, dès qu’un groupe de cent individus s’est réuni, il lui faut sa presse et sa gazette. En admirant ce concert si harmonieux et si fécond pour la civilisation, je me suis pris à formuler un axiome : Plus grande est la somme de liberté donnée aux hommes, moins grands sont les moyens d’en abuser[2].

Pardonne-moi ce grain de vaniteuse philosophie.

Je passe à Niagara, simplement pour constater que M. de Chateaubriand nous a débité sur cette prodigieuse cataracte des bourdes dignes de la mythologie antique. Je ris encore comme un fou, en songeant à l’histoire de son sapajou se suspendant aux lianes de la chute (où il n’y a point de lianes) et repêchant dans le tourbillonnement des eaux des carcasses d’orignaux. Or le sapajou est un mythe dans l’Amérique septentrionale, et existât-il, que l’orignal est un quadrupède aussi gros qu’un bœuf !

Tiens, laissons cela, traversons le lac Huron, remontons la rivière Sainte-Marie et embarque-toi avec moi sur le lac Supérieur.

Ici, bien cher, commence mon odyssée. Tu n’en croirais pas tes oreilles, si j’étais là, près de toi, pour te la narrer (tu le vois, j’adopte déjà le style épique) ; mais tâche de ne pas douter du témoignage de tes yeux.

Note d’abord que nous quittons les établissements civilisés pour entrer dans le désert, où police, gendarmerie, ni le moindre garde champêtre n’est plus possible.

Je suis sur un petit vaisseau appelé la Mouette, ayant pour société mon intrépide Godailleur, qui jure, jour et nuit, contre le mal de mer, — d’eau, devrais-je dire, quoiqu’il n’en boive qu’à son corps défendant, — et cinq ou six Yankees, joueurs de cartes infatigables, les plus drôles d’originaux que j’aie jamais coudoyés sous la calotte des cieux.

Notre bâtiment a pour destination Kiouinâ, but de mon voyage. Nous arrivons sans encombre en vue de la presqu’île. Je me couche dans l’espérance de débarquer le lendemain et de faire connaissance avec ces valeureux Peaux-Rouges dont j’ai entendu réciter de si éclatantes prouesses.

Ami, donne-moi toute ton attention.

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit, »

je suis éveillé en sursaut. Des coups de fusil retentissent sur le pont du navire. Un bandit d’opéra-comique tombe dans l’entrepont. Je crois rêver, je me frotte les yeux. Mais, bon Dieu, je ne rêvais pas. Cet homme était vêtu de rouge des pieds à la tête et beau comme Apollon. On le nomme le Mangeux-d’Hommes ! Quelle désignation ! Il commande douze bandits, qu’il appelle ses Apôtres, et lui-même s’intitule — le monstre ! — Jésus.

Je n’invente rien. Les Douze-Apôtres existent, par malheur. Et pour repaire ils ont choisi les îles du lac Supérieur qui portent ce nom. Je ne plaisante pas, tout ceci est de l’histoire, de l’histoire contemporaine. Notre équipage fut tué, massacré. Je m’attendais à partager le sort commun, quand il plut au capitaine de me réserver pour… devine ?… lui servir d’ingénieur.

Oui, mon cher, me voici ingénieur en chef d’une troupe de brigands comme il ne s’en voit plus guère que dans les Apennins ou la forêt Noire. Mais ce n’est pas à leur creuser des souterrains qu’ils me destinent, du tout, du tout. Les écumeurs du lac Supérieur habitent, au grand soleil, un poste qu’ils ont enlevé à une compagnie américaine de pelleteries. Plus habiles et plus grands dans leurs projets que nos voleurs européens, ils convoitent la possession et l’exploitation des terrains cuprifères de la pointe Kiouinâ, où je devais faire mes opérations, et ils veulent que je dirige leurs travaux !

Singulière destinée que la mienne, n’est-il pas vrai ? Poursuivons mon récit. Je restai donc seul vivant de tous ceux qui s’étaient embarqués sur la Mouette, à moins que mon pauvre Jacot n’ait échappé une seconde fois à la cruauté des Apôtres, car, jeté à l’eau par le Mangeux-d’Hommes, il avait réussi à rentrer inaperçu dans le bateau et s’était caché sous mon lit ; mais, durant la nuit, il a disparu et je crains fort que, découvert pendant que je dormais, on ne l’ait impitoyablement égorgé. C’était le plus fidèle, le meilleur des serviteurs. Je ne puis penser à lui sans pleurer. Ne dis rien, cependant, je t’en prie, de tout cela à ma mère. Elle en mourrait d’effroi.

Quant à moi, on me conduit à la factorerie, occupée maintenant par ces misérables, qui vivent avec un grand nombre d’Indiennes, aussi cruelles, aussi débauchées qu’eux, quoique chacun ait une favorite, qui commande aux autres concubines et se fait orgueilleusement appeler madame ou mistress.

Là, les Apôtres firent une orgie à laquelle je dus assister. Après le festin, et en buvant des alcools, ils se mirent à chanter, les uns en français, les autres en anglais, car chacun ici parle et comprend ces deux idiomes, fort corrompus du reste, comme bien tu peux t’imaginer.

L’un des ivrognes se prend à entonner une sale diatribe contre notre patrie. J’aurais dû en rire. Mais je suis vif, j’ai la tête près du bonnet ; je me laisse emporter. Il me lance un vase à la tête et je roule sans connaissance sous la table.

Quand je repris mes sens, j’étais dans une caverne éclairée par une lampe.

Près de moi, attentive, se tenait une jeune Indienne, d’une beauté rare. Elle s’exprimait assez facilement dans notre langue, et m’apprit que dans ma chute je m’étais luxé la jambe. De plus, j’avais à la tête une blessure qui avait déterminé un accès de fièvre cérébrale. Cette jeune Indienne, cette noble fille me soignait ; elle me soigna au péril de ses jours, car ainsi que moi elle était captive, la bien-aimée du Mangeux-d’Hommes, j’ose à peine l’avouer, et cependant je suis sûr, j’ai l’intime conviction qu’elle n’est pas, n’a jamais été sa maîtresse. Meneh-Ouiakon, maîtresse d’un vil assassin ! elle si pure, si douce, si digne, la fille d’un sachem nadoessis, oh ! non, cela n’est pas possible, je le nie, je le déclarerais à la face de la terre !… Pourtant… Ah ! bannissons ces réflexions mauvaises, qui souillent la plus estimable des créatures ! Tu le vois, cher, j’aime Meneh-Ouiakon. Elle m’a sauvé la vie ; en ce moment même, peut-être est-elle exposée à mille dangers pour moi. Ah ! que le ciel me permette de la revoir, de contempler encore ses traits adorés, de lui prouver mon amour !

Pendant plus d’un mois, elle vint chaque nuit panser ma plaie et me consoler. Elle avait, je ne sais comment, gagné une vieille Indienne, ma geôlière.

Une fois elle me dit :

— Ami, il faut te tirer d’ici. Je te rendrai la liberté, je l’ai résolu. Je pars pour te chercher du secours.

Et, malgré mes supplications, malgré les périls, elle s’est échappée du fort, a entrepris un voyage de plusieurs centaines de lieues… Me sera-t-il donné de la retrouver ?

Je me rétablis, je sortis de ma prison et pus vaguer dans l’enceinte palissadée de l’ancien fort. Souvent je rencontrais le Mangeux-d’Hommes, il paraissait triste, soucieux ; et souvent aussi son regard s’arrêtait sur moi avec une expression indéfinissable qui me forçait à baisser les yeux. Cet homme est bien extraordinaire. Il exerce sur tout ce qui l’entoure une fascination que je ne puis concevoir et qui me gagne moi-même, malgré l’horreur qu’il m’inspire.

Son lieutenant a quitté la troupe. Je crains qu’il ne soit à la poursuite de Meneh-Ouiakon. Mais impossible de m’en assurer. Les secrets de la bande sont gardés avec une fidélité religieuse et ses règlements très-sévères observés avec une stricte ponctualité.

Je commençais à trouver lourde ma captivité, quand, il y a environ un mois, je vis les Apôtres faire de grands préparatifs. On m’annonça qu’on se disposait à une expédition, et que j’en ferais partie. Je prévis bien tout de suite de quelle nature serait cette expédition, et les barbaries qu’elle entraînerait. Il me répugnait grandement d’en être encore le témoin. Par malheur, je n’étais pas le maître.

Nous partîmes en canot et remontâmes vers l’ouest.

Le désir de m’évader s’empara d’abord de moi. Mais j’étais surveillé de près, et je savais que toute tentative d’évasion serait, sans miséricorde, punie de mort, si elle avortait. Où aller, du reste, au milieu de ce désert sans limite ? Que devenir ? Périr de faim, ou être scalpé par les Indiens, ou dévoré par les bêtes fauves.

Le lendemain de notre embarquement, je renonçai à cette idée et résolus d’utiliser le voyage, quel qu’il fût, au bénéfice de mon instruction.

À partir de ce moment, chaque fois que nous abordâmes, soit pour fumer une pipe[3], soit pour camper, j’étudiai la faune et la flore du pays.

Un soir, sur le bord d’une grande rivière qu’on appelle la Rivière-Brûlée, si j’en ai gardé la mémoire, je découvris une hutte abandonnée, puis une petite croix de bois, et au pied une fosse à demi couverts de mousse.

Dans la fosse gisait le cadavre d’un homme.

— C’est Cadieux ; c’est ce pauvre Cadieux ! cria l’Apôtre qui m’escortait.

— Qu’est-ce que Cadieux ? demandai-je.

Il me regarda avec plus d’étonnement que si je lui eusse demandé : « Qu’est-ce qu’un canot ? »

Je renouvelai ma question.

Alors, il me conta que Cadieux avait été un célèbre interprète canadien-français, connu dans toutes les parties du Far-West comme voyageur, guerrier et poète ; qu’il s’était attiré la haine d’une tribu sauvage l’hiver précédent, et qu’on supposait qu’il avait été massacré par elle.

Nous examinâmes le corps, qui n’était pas encore entré en décomposition. Il ne portait la trace d’aucune blessure récente, quoiqu’il fût criblé de vieilles cicatrices. Mais la maigreur du visage, et des membres indiquait une mort terriblement douloureuse. Le malheureux, traqué par ses ennemis, sans doute, qui l’entouraient sans le voir, car d’énormes rochers masquaient sa retraite, le malheureux, privé de son canot, avait succombé aux atteintes de la faim et peut-être aussi de ce mal terrible que les Canadiens-Français appellent la folie des bois[4]. Se voyant mourir, il avait creusé sa tombe et s’y était étendu.

Quoiqu’il en soit, ses mains croisées contre sa poitrine reposaient sur une large feuille d’écorce de cèdre.

Cette feuille, je n’aurais point voulu la toucher, mais mon Apôtre l’enleva, et je lui sais gré cette fois de sa brutalité, car elle m’a permis de conserver le dernier chant du trappeur-poète.

Sur l’écorce étaient gravées, en caractères grossiers, ces lignes si touchantes et si éloquentes dans leur simplicité primitive, que, comme les miennes, j’en suis certain, tes paupières se mouilleront en les lisant :


    Petit rocher de la Haute-Montagne,
    Je viens finir ici cette campagne !
    Ah ! doux échos, entendez mes soupirs,
    En languissant je vais bientôt mourir.

    Petits oiseaux, vos douces harmonies,
    Quand vous chantez, rattachent à la vie :
    Ah ! si j’avais des ailes comme vous,
    Je s’rais heureux avant qu’il fût deux jours !

    Seul en ces bois, que j’ai eu de soucis !
    Pensant toujours à mes si chers amis,
    Je demandais : Hélas ! sont-ils noyés ?
    Les Iroquois les auraient-ils tués ?

    Un de ces jours que, m’étant éloigné,
    En revenant je vis une fumée,
    Je me suis dit : Ah ! mon Dieu qu’est-ce ceci ?
    Les Iroquois m’ont-ils pris mon logis ?

    Je me suis mis un peu à l’ambassade,
    Afin de voir si c’était embuscade ;
    Alors je vis trois visages françois
    M’ont mis le cœur d’une trop grande joie.

    Mes genoux plient, ma faible voix s’arrête,
    Je tombe… Hélas ! à partir ils s’apprêtent :
    Je reste seul… Pas un qui me console,
    Quand la mort vient par un si grand désole !
 
    Un loup hurlant vient près de ma cabane,
    Voir si mon feu n’avait plus de boucane ;

    Je lui ai dit : Retire-toi d’ici,
    Car, par ma foi, je percerai ton habit.
 
    Un noir corbeau, volant à l’aventure,
    Vient se percher tout près de ma toiture ;
    Je lui ai dit : Mangeur de chair humaine,
    Va-t’en chercher autre viande que la mienne.

    Va-t’en là-bas, dans ces bois et marais,
    Tu trouveras plusieurs corps iroquois :
    Tu trouveras des chairs, aussi des os ;
    Va-t’en plus loin, laisse-moi en repos

    Rossignolet, va dire à ma maîtresse,
    À mes enfants qu’un adieu je leur laisse,
    Que j’ai gardé mon amour et ma foi,
    Et désormais faut renoncer à moi !

    C’est donc ici que le monde m’abandonne,
    Mais j’ai recours en vous, Sauveur des hommes !
    Très-Sainte Vierge, ah ! ne m’abandonnez pas,
    Permettez-moi d’mourir entre vos bras !

N’est-ce pas, ami, qu’il n’est guère d’élégie plus pathétique, plus saisissante, même parmi les plus correctement écrites ?

Pauvre ! pauvre Cadieux[5] !

Nous lui rendîmes les derniers devoirs, et je retournai, tout attristé, au camp.

L’émotion que j’ai éprouvée en copiant, d’après l’écorce originale, ce mélancolique adieu d’un bon et brave homme, m’empêche de continuer. C’est enfant, mais j’ai envie de pleurer. Permets, ami, que j’ajourne la suite de mon récit.

Affectueusement à toi,
Adrien Dubreuil.
  1. C’est le chiffre actuel.
  2. Voir l’Espion-Noir, par H.-E. Chevalier et F. Pharaon.
  3. Dans le langage des bateliers nord-ouestiers, cette locution exprime l’heure consacrée, chaque jour, vers le midi, pour se reposer à terre.
  4. Voir les Pieds-Noirs (Tom Slocomb).
  5. Historique.