Paysages historiques de France
Revue des Deux Mondes3e période, tome 106 (p. 408-428).
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PAYSAGES HISTORIQUES
DE FRANCE

III.[1]
LES LÉGENDES DE LA BRETAGNE ET LE GÉNIE CELTIQUE.

La Bretagne est de toutes nos provinces celle qui offre encore de nos jours la race la plus pure, les plus vieilles traditions, la physionomie la plus originale. Si la Provence est le pôle latin de la France, la Bretagne en est le pôle celtique. L’une lui a transmis le courant classique de la Grèce et de Rome ; l’autre lui a renvoyé le courant plus mystérieux, mais non moins puissant, qui jaillit de sa source primitive avec le reflux des races sœurs du nord-ouest de l’Europe. La Provence se souvient d’avoir été le royaume d’Arles, le pays de la langue d’oc et des troubadours contre les barbares du Nord. La Bretagne oublie moins encore qu’elle a été l’Armorique, le royaume de Breiz-Izel contre ces mêmes Franks, et qu’un de ses rois, Noménoé, poursuivit un empereur carlovingien jusque sous les murs de Paris. Celtes, Latins et Franks, trois races, trois génies, trois mondes si opposés qu’ils paraissent irréconciliables. Et pourtant le génie français n’est-il pas justement le résultat de leur harmonie ou de leur équilibre instable ? A toutes les époques de notre histoire, on les voit se battre, se mêler et s’unir sans jamais se confondre totalement. S’il me fallait caractériser d’un aperçu sommaire la trinité vivante qui constitue cet être moral qu’on appelle la nation française, je dirais que le génie frank, par la monarchie et la féodalité, en constitua l’ossature et le corps solide le génie latin, qui nous a si fortement imprimé son sceau et sa forme par la conquête romaine, par l’Église et par l’Université, y joue le rôle de l’intellect. Quant au génie celtique, c’est à la fois le sang qui coule dans ses veines, l’âme profonde qui agite son corps et sa conscience seconde, secrète inspiratrice de son intellect. C’est du tempérament et de l’âme celtiques de la France que viennent ses mouvemens incalculables, ses soubresauts les plus terribles comme ses plus sublimes inspirations.

Mais, de même que la race celtique primitive eut deux branches essentielles dont les rejetons se retrouvent çà et là, les Gaëls et les Kymris, de même le génie celtique se montre à nous sous deux faces. L’une joviale et railleuse, celle qu’a vue César et qu’il définit par ces mots : « Les Gaulois sont changeans et amans des choses nouvelles. » C’est l’esprit gaulois proprement dit, léger, pénétrant et vif comme l’air, un peu grivois et moqueur, facilement superficiel. L’autre face est le génie kymrique, grave jusqu’à la lourdeur, sérieux jusqu’à la tristesse, tenace jusqu’à l’obstination, mais profond et passionné, gardant au fond de son cœur des trésors de fidélité et d’enthousiasme, souvent excessif et violent mais doué de hautes facultés poétiques, d’un véritable don d’intuition et de prophétie. C’est ce côté de la nature celtique qui prédomine en Irlande, dans le pays de Galles et dans notre Armorique. On dirait que l’élite de la race s’est réfugiée dans ces pays sauvages, pour s’y détendre derrière ses forêts, ses montagnes et ses récits et y veiller sur l’arche sainte des souvenirs contre des conquérans destructeurs. L’Angleterre saxonne et normande n’a pu s’assimiler l’Irlande celtique. La France gauloise et latine a fini par s’attacher la Bretagne et même par l’aimer. L’importance de cette province est donc capitale dans notre histoire. Elle représente pour nous le réservoir du génie celtique. Génie de résistance indomptable, d’exploration hardie. Noménoé, Du Guesclin, Duguay-Trouin, Lanoue, La Tour d’Auvergne, Moreau, l’incarnent. C’est de Bretagne aussi que la France a reçu plus d’une fois les mots d’ordre de son orientation philosophique, religieuse ou poétique. Abailard, Descartes, Chateaubriand, Lamennais, furent des Bretons. Mais ce n’est que dans notre siècle qu’on a compris le rôle le plus intime de la Bretagne dans notre histoire. En assistant à la résurrection de la poésie celtique, la France a en quelque sorte reconnu son âme ancienne, qui remontait pleine de rêve et d’infini d’un passé perdu. Elle s’est étonnée d’abord devant cette apparition étrange, aux yeux d’outremer, à la voix tour à tour rude et tendre, enflée de grandes colères ou frémissante de mélancolie suave, comme la harpe d’Ossian, comme le vieil Atlantique d’où elle venait. « Qui es-tu ? — Jadis j’étais en toi, j’étais la meilleure partie de toi-même, mais tu m’as chassée, répond la pâle prophétesse. — En vérité ? je ne m’en souviens plus, dit l’autre, mais tu remues dans mon cœur des fibres inconnues et tu me fais revoir un monde oublié. Allons, parle, chante encore ! Peut-être m’apprendras-tu quelque secret de ma propre destinée… » Ainsi la France, se souvenant qu’elle fut la Gaule, s’est habituée à écouter la voix de la Bretagne et celle du vieux monde celtique.

Il y a une trentaine d’années, M. Ernest Renan résumait ici même les belles publications de M. de la Villemarqué et de lady Charlotte Guest. Dans cet article, resté célèbre, sur la poésie des races celtiques, il définissait de sa plume d’or le génie de sa race. Négligeant peut-être un peu trop son côté mâle et ne s’attachant qu’à son côté féminin, il en distillait la fleur pour l’enfermer dans un flacon ciselé. Ce beau travail, qui fut pour nombre de personnes une révélation, n’est pas à refaire. Le but que je me propose est différent. Un voyage rapide à travers la Basse-Bretagne a évoqué devant moi quelques-unes des grandes légendes où le génie celtique a trouvé sa plus forte expression. Plusieurs sont demeurées à l’état fruste dans la tradition populaire ; d’autres ont été détournées de leur sens primitif par les trouvères normands ou français et par les gens d’église. Beaucoup de grands personnages communs à la tradition galloise, cambrienne et bretonne, comme par exemple Merlin l’Enchanteur, ont eu dans la poésie du moyen âge le même sort que cet illustre magicien. La fée Viviane, voulant le garder pour elle, l’entoura neuf fois d’une guirlande de fleurs en prononçant une formule magique qu’elle lui avait dérobée. Il s’endormit d’un profond sommeil et ne se réveilla plus. Mais lorsqu’on touche le sol breton, les âges lointains et leurs créations revivent d’une singulière intensité, avec leur couleur sauvage ou mystique et parfois leur sens profond, éternel, legs prophétique qu’ils ont fait aux âges futurs. Ajoutons que la poésie populaire, encore vivante en Basse-Bretagne, a été recueillie avec une scrupuleuse et pieuse exactitude par M. Luzel dans ses Gwerziou et ses Sorniou. Ce sont comme les derniers soupirs de l’âme celtique qui se raconte elle-même dans son rêve[2].

Dans cette courte promenade à travers la Bretagne d’aujourd’hui, j’essaierai donc d’esquisser une histoire du génie celtique en ses périodes vitales et de pénétrer dans son arcane à travers ses grandes légendes.


I. — TEMPS PRÉHISTORIQUES, LE MORBIHAN ET LES MONUMENS DE KARNAC.

Pour entrer de plain-pied dans le vieux monde celtique, il faut aborder la Bretagne par le midi. Le sombre Morbihan et l’âpre Finistère ont conservé quelque chose de leur physionomie ancienne. Sans doute les noires forêts, où des houx grands comme des chênes formaient des haies colossales, les marais où le buffle, le cerf et l’élan plongeaient leurs naseaux fumans, ont disparu. Mais les mêmes vagues enveloppent toujours les mêmes îles sauvages et les côtes déchiquetées à l’infini ; les innombrables dolmens, les menhirs dressent toujours leurs profils bizarres sur les landes ; les costumes des habitans rappellent encore un passé lointain ; et leur langue singulièrement primitive, à l’accent guttural, aux voyelles franches, aux consonnes sonores, tantôt rude comme un cri d’oiseau de mer, tantôt douce comme un gazouillis de fauvette, est la vieille langue celtique, presque la même qui retentit au port de Kaërnarvon, au pays de Galles et sur les flancs du Snowdon, la montagne sacrée des bardes. Entrons donc en Morbihan pour y trouver quelques souvenirs de l’enfance de cette race qui se perd dans la nuit des temps.

La Loire, riante à Blois, majestueuse à Tours, s’attriste aux ardoisières d’Angers, près du sombre château du roi René, d’où les Plantagenets régnèrent si longtemps sur la France. Il semble qu’elle regrette ses berges boisées, ses châteaux somptueux paresseusement mirés dans ses eaux dormantes, séjours voluptueux de rois et de favorites. A Nantes, elle tourbillonne, furieuse, comme si elle se souvenait des noyades de Carrier. Bientôt elle se trouble, elle jaunit et se crispe à la houle des grosses marées. Adieu les doux méandres dans les molles contrées. Les rives s’écartent et s’aplatissent. Voici déjà les lourds navires de Saint-Nazaire qui reviennent des Antilles et du Mexique. Le bateau danse, secoué par la lame. Déjà la Loire submergée n’est plus ; on roule sur l’océan. C’est ainsi qu’à l’embouchure du fleuve, la France de la renaissance et du moyen âge se perd peu à peu dans un autre monde, plus ancien et plus rude.

De Saint-Nazaire au Croisic, la côte et la race bretonne apparaissent. De larges plages blanches et fauves, en sable fin, encadrées de rochers qui s’écroulent dans la mer en escaliers de géans. Des dunes, encore des dunes, où l’herbe maigre essaie en vain de pousser. Sur l’une d’elles s’élève en redoute le village de Bourg-de-Batz. Montons sur le clocher de l’église, une tour de soixante mètres, terminée en coupole, qui domine au loin le pays. Le soleil de juillet brûle les sables, et partout un vent froid souille du large, chassant des brumes lumineuses sur la mer échevelée. La terre plate, pailletée de flaques d’eau carrées, continue la mer à perte de vue. Ce sont les monotones marais salans. Ce pays, conquis sur la mer, faisait jadis partie de l’archipel des Vénètes, que César vint battre ici avec sa flotte. La dune même qui porte le village de Bourg-de-Batz aurait été alors, selon la tradition, cette île où les prêtresses namnètes se livraient à des danses nocturnes qui épouvantaient les navigateurs, et d’où elles partaient mystérieusement dans leurs barques pour rejoindre leurs époux par les nuits de pleine lune. Le castrum romain a chassé les sorcières gauloises de leur retraite. Aujourd’hui l’église chrétienne s’y dresse hautaine et solitaire. Je remarque que le chœur en est singulièrement bâti. Au lieu de continuer en droite ligne la nef, il oblique à gauche. On sait que par cette structure, les architectes du moyen âge voulurent imiter la tête du Christ penchée sur la croix. Elle est plus fréquente en Bretagne qu’ailleurs et trahit certainement le goût inné de cette race pour le symbolisme et la piété attendrie qu’elle apporte dans son sentiment religieux.

Bourg-de-Batz était célèbre autrefois par ses costumes multicolores et ses mœurs originales. On ne se mariait qu’entre gens du bourg et c’étaient les jeunes filles qui faisaient les demandes de mariage par l’intermédiaire du tailleur. Une ronde furieuse des femmes autour des feux de la Saint-Jean y rappelait encore les danses des prêtresses gauloises. Aujourd’hui, tout cela disparaît peu à peu devant la civilisation envahissante des stations balnéaires. Une vieille femme me montre pour quelques sous, dans sa maison, une collection d’affreuses figures de cire affublées de costumes de noce et me vend une chanson populaire imprimée. Musée, imprimerie, exploitation, voilà bien la fin des mœurs originales. Ici, comme dans le reste de la Bretagne, deux types parfaitement distincts me frappent dans la population, le type brun à pommettes saillantes, aux traits épais et forts ; le type blond, aux yeux bleus, aux traits énergiques et fins. L’un rappelle lointainement le type touranien, l’autre, le type aryen dans ce qu’il a de plus noble. Bien des races se sont mêlées sur ces côtes. Le type qui prédomine parmi les femmes est très pur : la figure allongée, le nez mince et droit ; de grands yeux tranquilles et chastes, le geste sobre, hiératique. A côté de ce type, j’en ai vu un autre, plus méridional, qui rappelle la charmante Velléda de Maindron : nez busqué, yeux hardis, taille mince et larges flancs avec la démarche onduleuse des cavales ; l’antique druidesse à côté de la madone.

La vraie Bretagne ne se révèle que plus loin, dans l’intérieur des terres, aux approches de Vannes. Un changement graduel se fait dans la physionomie du paysage. Aux champs cultivés succèdent de vastes pâturages semés de petit bois, comme en Normandie. Mais l’inégalité du terrain, ses mouvemens brusques, son inquiétude constante annoncent le sol de la vieille Armorique. A chaque instant, le granit perce et se hérisse en pierres grisâtres. Et puis ondulent à perte de vue les collines recouvertes de bruyères violettes. Les landes maigres alternent avec les combes savoureuses. De distance en distance, des fissures s’ouvrent dans le grand plateau de granit qui forme la presqu’île armoricaine. Là, coulent profondément encaissées des rivières brunes. Elles serpentent mystérieusement entre les bois épais et les claires prairies et forment parfois des vallées charmantes. Les villages nichés sur ces collines ou dans ces plis de verdure se distinguent à peine des rochers ; car ils sont tous bâtis en granit gris. Grises aussi les églises, aux porches profonds, embroussaillés d’une végétation de pierre en gothique flamboyant… Les nefs sont souvent basses et humbles comme la dévotion de cette race fidèle à sa terre et à ses affections. Mais la hauteur des clochers carrés, à flèches aiguës et ajourées, à quatre tourillons qui rognent sur ces campagnes, semble attester que dans ces populations la pensée religieuse domine souverainement et tyranniquement toutes les autres. Une lande, un dolmen, un calvaire, un fin clocher et la mer qui gronde au loin, c’est toute la Bretagne. Austérité chrétienne bâtie sur la sauvagerie celtique. Le pays tout entier a l’air de se souvenir et de prier. Vaste sanctuaire d’où la vie moderne est absente et qui s’immobilise dans la pensée de l’éternité.

C’est une vieille ville celtique que Vannes avec ses rues montueuses, ses maisons de granit et ses toits d’ardoise couverts d’une mousse jaune. On parle breton dans les rues. Les Vannetaises portent encore la grande cornette et le fichu bleu sur leur robe noire. Mais hâtons-nous vers le but. Dépassons Notre-Dame-d’Auray, la ville sainte des chouans et acheminons-nous vers l’archipel du Morbihan, vers cette petite mer intérieure, qui grâce à son isolement, à son labyrinthe de promontoires et d’îles fut une des grandes citadelles et une des nécropoles des âges préhistoriques. Avant d’arriver à Karnac, la lande commence aride, pierreuse, infinie. Des moutons noirs tondent le pré caillouteux. L’ajonc triste aux fleurs jaunes, l’ajonc noir dessine ses zigzags épineux au bord des routes. On est saisi de cette mélancolie du paysage breton si bien décrite par M. Renan. « Un vent froid plein de vague et de tristesse s’élève et transporte l’âme vers d’autres pensées ; le sommet des arbres se dépouille et se tord ; la bruyère étend au loin sa teinte uniforme ; une mer presque toujours sombre forme à l’horizon un cercle d’éternels gémissemens. »

À Karnac, l’église elle-même a un air d’insolite et sauvage vétusté. Son porche latéral est bâti avec des blocs de granit taillés en d’énormes menhirs et ressemble à l’entrée d’une caverne. La piété royaliste des habitans a élevé sur ce portail un baldaquin de pierre qui figure une couronne colossale. Elle rappelle plutôt un débris du monde antédiluvien. On dirait les défenses enchevêtrées de rennes ou de cerfs gigantesques, charriés au sommet d’un roc par un déluge, et l’on se croit transporté aux époques anciennes du globe. Non loin du bourg, s’élève sur une colline un immense tumulus formé de pierres sèches amoncelées, sous lequel des fouilles ont fait découvrir des haches dites celtae, en pierre polie de jade, des ossemens calcinés et des grains de collier. Une chapelle surmonte le vieux galgal, où l’on allume les feux de la Saint-Jean et où les femmes des marins viennent prier pour leurs maris. De cette hauteur, qui commande un vaste horizon, on domine le plus grand sanctuaire celtique du continent. Horizon de landes, de plages désolées, de bras de mer et de presqu’îles qui s’embrassent et s’enchevêtrent tristement. Le golfe du Morbihan, Belle-Ile, le promontoire de Quiberon se perdent dans la brume. L’œil est attiré, au premier plan, par des phalanges de pierres levées, semées en ligne droite et à distances égales dans les champs de bruyères. Ce sont les célèbres alignemens de Karnac. Ils se divisent en trois groupes, celui du Ménec, celui de Kermario et celui de Kerlescan ; le premier de onze rangées, le second de dix, le troisième de treize, comprenant un total de 1,991 menhirs. Il y en avait le double autrefois ; on en a fait des églises, des maisons et des routes. Ils atteignent en moyenne une hauteur de dix à douze pieds. Vue d’en haut et de loin, cette armée de rocs ressemble à un jeu d’échecs disposé là par des géans. L’impression n’est guère plus saisissante lorsqu’on approche et qu’on arpente les champs entre leurs rangées monotones. A la longue seulement, l’étonnement et la curiosité se mêlent à la sorte d’ennui que cause la vue de ces pierres fameuses, d’une énigmatique et d’une insolente régularité. Leur nudité farouche défie l’investigateur. Elles ont l’air de dire : « Vous ne saurez pas qui nous sommes, mais vous ne nous ôterez pas de là. » Parcourez ensuite l’archipel du Morbihan, l’île aux Moines, l’île d’Arz, la presqu’île de Rhuys et vous retrouverez partout ces pyramides informes, ces grands tumulus et ces tombelles qui font onduler la crête des collines ; allez voir la colossale table des Marchands coquettement posée sur trois rochers pointus comme pour jouer avec les lois de la pesanteur ; admirez le gigantesque menhir de Lokmariaquer, renversé par la foudre et brisé en quatre morceaux dont un seul mesure douze mètres ; songez que beaucoup de ces pierres ont dû être amenées là par mer, — car les géologues ont constaté que la plupart ne sont pas des roches du sol ; — pensez à tout cela, et vous vous demanderez quelles volontés opiniâtres, quels bras puissans ont taillé, transporté, dressé ces blocs énormes ; ce qu’ils signifiaient pour ces hommes primitifs, quelle civilisation, quelle religion se rattache à ces premiers monumens de notre sol.

Parlant de ces menhirs, Geoffroy de Monmouth, le chroniqueur des plus vieilles traditions celtiques, dit : « Ces pierres sont magiques. Des géans les apportèrent autrefois. » Mais quels géans ? Peut-être ces Hyperboréens venus des régions boréales dont parlent les traditions grecques, premiers dompteurs du cheval et du chien, inventeurs des haches de silex, de la fronde et de l’arc, grands chasseurs d’aurochs qui allaient devant eux, ivres de lumière et d’espace. Peut-être élevèrent-ils ces pierres en souvenir de leur victoire, comme un temple en l’honneur du soleil qu’ils adoraient. Peut-être leurs successeurs les Celtes se rassemblaient-ils ici, armée vivante et tumultueuse, au milieu de cette armée immobile de pierres, qui signifiait pour eux la présence symbolique des grands ancêtres. Peut-être est-ce dans ce lieu qu’avant de partir pour une de leurs expéditions ils élisaient le brenn, le chef, et relevaient sur leurs boucliers, à la lueur des éclairs, au roulement de la foudre, invoquant les dieux et les bravant du choc de leurs armes. Quoi qu’il en soit, les symboles primitifs sont par eux-mêmes un langage universel et compréhensible. La pierre dressée, le menhir, me semble le signe japhétique de la race blanche à sa formidable aurore. Audacieuse affirmation de l’homme indompté et son premier cri vers Dieu. Révolte et adoration, cette race porte dans son cœur les deux forces centrifuge et centripète qui sont les deux forces initiales de toute évolution naturelle et historique. Le menhir en est le témoignage, et voilà peut-être pourquoi il exerce cet inquiétant prestige sur l’imagination populaire et sur l’esprit des savans.

Avant de quitter le Morbihan, allons faire une visite à l’île de Gavrinis. — Fouetté par la pluie et la grêle, j’ai traversé la lande de Lokmariaquer, sinistre comme celle de Macbeth. Maintenant une barque à voile m’emporte dans la petite mer intérieure où un brick, norvégien dort à l’ancre au milieu du golfe. Le ventre des nuées basses rampe sur les côtes. Averse sur averse ; les rafales couchent la voile sur le flot. Nous louvoyons sous le grain. Pour égayer mon pêcheur maussade, j’entonne la belle chanson bretonne : « Il vente ! il vente ! C’est l’vent d’la mer qui nous tourmente ! » Et voici, le ciel s’éclaircit. Nous voguons sur un grand lac bleu d’acier d’où émergent des îles brunes. Ce ne sont pas les blanches sirènes de la Méditerranée, mais des filles osseuses de la vieille Hertha, des Nornes noires ou de vieilles druidesses accoudées et couchées au bord de cette mer écartée. Elles ont vu tant de choses qu’elles regardent passer les siècles avec indifférence et nous plaignent d’avoir perdu l’antique foi des ancêtres. Car, rangées en grand cycle, ces îles ont fidèlement conservé, comme des colliers sur leurs seins ou comme des casques sur leur tête, les tombeaux des ancêtres immémoriaux.

Nous voilà dans l’île de Gavrinis. Une allée montante, bordée d’une double haie d’ajoncs conduit au sommet de cet îlot couronné par le plus beau tumulus de Bretagne. C’est une colline formée de pierres amoncelées à huit mètres de hauteur. On pénètre avec une chandelle dans un corridor maçonné en larges tables de granit. Cette allée couverte, ce long dolmen souterrain aboutit à une sorte de chambre mortuaire comme dans les tombeaux égyptiens. Elle est éclairée de côté par un orifice triangulaire. Les parois et le plafond sont grossièrement sculptés de rainures parallèles dont les circonvolutions forment des lignes bizarres, sorte de tatouage où l’on distingue des haches. Du haut de ce tumulus, la vue s’étend sur tout l’archipel du Morbihan. Il domine la mer à pic, comme à Saint-Malo la tombe de Chateaubriand. Elles sont sœurs, ces deux tombes bretonnes, solitaires fiancées du sauvage océan, bercées de son murmure infini.

Les tumulus étaient, pour les Gaulois, les endroits sacrés par excellence. L’idée de l’immortalité de l’âme, si vivante chez eux, se rattache au culte des morts illustres. L’ancêtre, toujours présent par le tombeau, devient le protecteur de la race. De cet archipel partit la flotte des Vénètes qui alla combattre César et peut-être défila-t-elle devant cet îlot pour recevoir la consécration des prêtres et des prêtresses groupés sur ce tumulus et entourés de toute une population de vieillards, de femmes et d’enfans. Ils étaient venus de loin pour voir partir les lourds navires, charpentés en chêne, hauts comme des tours de siège, chargés de tout leur espoir, où reluisaient les cottes de mailles, les casques et les javelots de leurs fils, de leurs maris et de leurs pègres. Druides et druidesses, les bras étendus, avaient invoqué les ancêtres d’une longue clameur et jeté sur les navires une pluie de verveines, de primevères et de trèfles. — Hélas ! toute cette flotte ne devait pas revenir. Le terrible proconsul la coula à fond : les sénateurs vénètes moururent dans les tortures. Toute la population fut vendue à l’encan, sous la lance, et dispersée dans le monde. — Ainsi périt la noble nation des Vénètes. Mais la conscience de l’Armorique a survécu dans ce cri : Me zo deuzar armoriq. « Et moi aussi, je suis Breton ! »


II. — LA BRETAGNE PAÏENNE, LA POINTE DU RAZ ET LA LÉGENDE DU ROI GRADLON.

La Gaule asservie, latinisée, colonisée, le génie celtique se réfugia en Armorique. Pendant trois siècles, elle subit le joug des légions et du fisc romain, avec d’incessantes révoltes. Une partie de la population se réfugia en Grande-Bretagne, cet asile des druides et des bardes. Mais, au IVe siècle, Mériadek revint en Armorique et en chassa les Romains. Du IVe au IXe siècle, la Bretagne resta indépendante. Cette époque, appelée la période des rois dans l’histoire de notre province celtique, est remplie par des guerres intestines. Quelquefois un chef réunit tous les autres sous son autorité et réussit à délivrer le pays d’une invasion de Franks ou de Normands. Il prend alors le titre de pen-tiern, de conan ou de roi d’Armorique. Aussi les noms de Mériadek, de Gradlon, de Noménoé et d’Alain Barbe-Torte résument-ils l’histoire bretonne de ces temps. Epoque héroïque, barbare et sauvage, où éclate le côté païen de l’esprit celtique.

Si le Morbihan est le sanctuaire d’un monde préhistorique, le Finistère, avec les prodigieux récifs et les baies profondes de la côte ouest, est le centre principal de cette Bretagne bretonnante, indépendante et païenne. Il nous en reste une série de traditions qui plongent dans le fin fond du paganisme et une légende originale. Allons la chercher dans le cadre océanien où elle est née, à cette pointe du Raz, extrémité du monde occidental, qui lance au beau milieu de l’Atlantique un dernier et formidable écueil dont la sauvagerie avait déjà frappé d’une terreur religieuse les voyageurs anciens.

Enfermé entre ses côtes comme dans une forteresse, le Finistère offre à l’intérieur les vallées les plus vertes, les coins les plus exquis de la Bretagne, comme les bords de l’Isole et de l’Ellé chantés par Brizeux. Quimper, avec son élégante cathédrale ouvrée à jour, est niché dans un frais bassin de collines boisées ; du haut du Mont-Frugy on voit l’Odet serpenter dans une mer de forêts mamelonnées. Cependant, en Bretagne, le grand personnage, le maître, le tyran de la terre et des hommes, c’est l’Océan. On devine partout sa présence, même quand on ne le voit pas. On le sent dans ces rivières brunes et noires, où le reflux remonte quelquefois à dix lieues, où des goélettes sont attachées sur les quais ou couchées sur la vase comme des cormorans malades. On le sent dans l’arbre tordu et ployé par la tempête, dans le vent salé qui crispe la lande, dans l’oiseau de mer qui vient y chercher le brin d’herbe pour son nid. On le rencontre dans ces marins aux yeux francs et hardis, à la chemise rabattue, au col nu brûlé par le soleil, la fleur et l’orgueil du pays, qui se promènent dans les villages de l’intérieur ; il revient sans cesse dans la conversation des vieilles accroupies au seuil des chaumes et des hommes assis sous les portes des petits cabarets, la pipe aux dents, le bonnet de laine sur l’oreille. On le retrouve, l’inévitable Océan, jusque dans l’église où prient les femmes agenouillées. Car suspendues à la voûte de la nef, en ex-voto, voici une foule de navires, aux flancs rouges et noirs, destinés à obtenir la protection de la Vierge, de l’Étoile de mer. Ne sont-ce pas les barques de l’Isis égyptienne ? Ah ! pour les yeux qui les regardent, que d’âmes ils ont menées dans l’autre monde, ces navires poudreux !

Il a son sourire aussi, le dieu terrible, et c’est dans la baie de Douarnenez qu’il faut aller le chercher. Une sirène, cette baie, lorsqu’on sort du port pour errer sur ses plages, où des sources claires filtrent des granits noirs, où les sveltes lavandières descendent sur les sables fauves ; une sirène dangereuse avec ses lointains fuyans, avec les lignes cadencées de ses anses et de ses caps, où, par les beaux soirs de pourpre et de safran, les ondes du large se brisent et chantent dans une coupe de saphir. C’est là que la tradition la plus accréditée place la ville d’Ys, la cité submergée. Mais avant de raconter son histoire, allons trouver l’Océan là où il règne dans sa souveraineté absolue. On atteint la pointe du Raz, depuis Audierne, par l’intérieur des terres. D’abord, quelques fonds de verdure, et, çà et là des bouquets d’arbres, égaient encore la campagne. Mais à mesure qu’on monte sur le plateau, le paysage s’appauvrit et se dénude. Oh ! qui rendra la tristesse de ces rideaux de pins ébranchés par le vent qui profilent sur le ciel gris leurs maigres colonnades, et celle du clocher de Tugeau qui se dessine sur la mer dans une cassure de terrain, et l’air d’abandon des sémaphores où paît une chèvre misérable attachée à un poteau ? Après Lescoff, on ne voit plus que de loin en loin un moulin à vent ou une bergère assise avec un fuseau sous une haie d’ajoncs. Enfin, on aperçoit le grand phare qui occupe l’extrémité de la pointe du Raz. Un sourd mugissement qui vient d’en bas annonce la proximité de la mer et par saccades fait trembler tout le promontoire. Quelques pas encore, et brusquement, derrière le phare, l’Océan apparaît de trois côtés. D’un seul coup il s’est emparé de l’horizon et vous écrase de son immensité circulaire. Ici la terre finit, rongée, engloutie par le flot tout-puissant. Derrière ce rocher pointu qu’on voit devant soi et qui forme le bout du cap, on sent le vide de l’espace. On se croit lancé par-dessus l’enveloppe liquide du globe sur un écueil, au beau milieu de l’Atlantique. Il n’y a plus que la mer et le ciel, et entre les deux des nuages noirs sombres sur l’abîme.

Tristis usque ad mortem, c’est la première et la dernière impression de la pointe du Raz. Elle s’exprime dans ce proverbe breton : « Secourez-moi, grand Dieu, ma barque est si petite et la mer est si grande ! et dans cet autre : « On ne peut rien contre la mer ni contre Dieu. » Un sentier étroit, vertigineux, grimpe autour du cap sauvagement découpé. Bientôt on aperçoit sous ses pieds ce qu’on appelle l’enfer de Plogoff. En travaillant un angle rentrant du roc, les vagues ont creusé une caverne et percé le promontoire de part en part. La rampe descend assez bas pour qu’à un point on voie un trou de lumière dans la caverne ; c’est son issue de l’autre côté du cap. A cet endroit, le granit est rouge ; sous l’eau, il est tapissé de lichens d’un blanc verdâtre et cadavéreux, ce qui donne à cette bouche de l’abîme quelque chose de particulièrement sinistre. Toujours les vagues y mènent une danse effrénée et s’y engouffrent avec de véritables détonations. Mais il faut s’asseoir à la pointe aiguë du cap, au tournant du sentier, pour goûter la beauté sauvage du panorama, qu’aucune vue océanienne ne surpasse en grandeur. On dirait qu’on se trouve sur le pic d’une montagne submergée dont la crête se prolonge sous l’eau et en ressort avec ses dents ébréchées. On plane sur un archipel d’îlots et de récifs. A vos pieds, sur un écueil, au ras du flot, c’est le phare de la Vieille. A deux lieues de là, cette mince ligne noire, qui le dirait ? c’est l’île de Sein, la célèbre île des neuf vierges prophétesses de l’Armorique ancienne. Entre les deux, c’est le Raz, où un courant formidable entraîne les navires et que « nul n’a passé sans mal ni frayeur, » disent les Bretons. Cependant, il n’y a pas d’autre chemin pour doubler le cap. Car au-delà de l’île de Sein, une chaîne de récifs s’étend à huit milles. Le phare d’Armen la termine. Et plus loin, vers l’île d’Ouessant, perdu comme une bouée dans la solitude désolée de l’Atlantique, c’est le phare des Pierres-Noires. A droite et à gauche, en arrière du cap, il y a sept lieues de côtes, mais estompées par les brumes, mangées par l’eau, elles paraissent invraisemblables, irréelles. Et s’accentue cette sensation de pleine mer, de marée montante et d’engloutissement de la terre dans le grand Océan. Mais il est superbe, il se redresse tout blanc de vagues, les jours de grande tempête, le vieux cap, quand les montagnes liquides se précipitent à l’assaut sur son éperon de granit. Alors personne ne pourrait tenir sur ses pentes escarpées. Les rafales d’écume balaient le promontoire à trois cents pieds au-dessus de la mer. Dans l’enfer de Plogoff, ce sont des salves d’artillerie. Le roc est secoué comme par un tremblement de terre, et dans le mugissement des eaux, dans l’incessante trépidation du sol et de l’air, dans la convulsion de tous les élémens, on ne voit, on n’entend plus rien.

Je suis allé me promener une grande heure, par un beau soir, dans la baie des Trépassés. C’est une large plage de sable qui termine un vallon désert. L’Atlantique s’encadre ici entre la pointe du Raz et la pointe du Van. Ses larges lames bleues et transparentes déroulent leurs volutes nacrées sur la grève nue, avec une majestueuse monotonie. Les rayons obliques du soleil couchant jettent de l’or dans ces crinières d’Océanides. Et ce sont mille voix confondues dans un profond murmure, une polyphonie de rythmes et de mélodies dans une symphonie grandissante. La mer, — si désespérante là-haut, redevient ici l’enchanteresse caressante, la grande endormeuse de la souffrance humaine. Car sa musique parle des choses éternelles. Car l’âme, en se recueillant au fond d’elle-même, se dit qu’au milieu de ses naufrages et de ses abandons, il y a en elle aussi quelque chose qui ne meurt point et qui la relie à l’Éternel. Ce lieu abandonné des humains, où la solitude de la terre se rencontre avec la solitude de l’océan, est, selon d’antiques légendes, le rendez-vous des âmes en peine. « Le peuple de ces côtes, dit le poète Claudien, entend les gémissemens des ombres volant avec un léger bruit. Il voit passer les pâles fantômes des morts. » Selon Procope, les pêcheurs entendent heurter à leur porte à minuit. Ils se lèvent et trouvent sur la plage des barques vides qui se chargent d’hôtes invisibles. Poussés par une force inconnue, les pêcheurs prennent place au gouvernail. Le vent les emporte avec une rapidité étourdissante. Lorsqu’ils touchent à l’ile de Bretagne, ils ne voient toujours personne. Mais ils entendent des voix qui appellent les passagers par leurs noms. Les barques s’allègent tout à coup ; les âmes sont parties. Selon la tradition chrétienne, encore vivante dans le peuple, la baie des Trépassés est le rendez-vous des âmes des naufragés. Le jour des Morts, on les voit courir sur la lame comme une écume blanchâtre et fugitive, et toute la baie se remplit de voix, d’appels, de chuchotemens. Une touchante imagination populaire fait se rencontrer ici les âmes de ceux qui se sont suicidés par amour et perdus dans la mort. L’ne lois par an, ils ont le droit de se revoir. Le flux les réunit, le reflux les sépare, et ils s’arrachent l’un à l’autre avec de longs gémissemens.

Mais la plus curieuse tradition de ces côtes est celle de la cité submergée. La légende de la ville d’Ys est l’écho de l’Armorique païenne du IVe et du Ve siècle. On y sent passer comme un ouragan la terreur des vieux cultes païens et celle de la passion des sens déchaînée dans la femme. À ces deux terreurs s’en mêle une troisième, c’est celle de l’Océan, qui joue dans ce drame le rôle de Némésis et du Destin. Le paganisme, la femme et l’Océan, ces trois désirs et ces trois peurs de l’homme, se combinent dans cette singulière tradition et finissent en une tempête d’épouvante.

Par une après-midi orageuse, je contournais avec un ami le haut des rochers qui s’échelonnent en promontoires, depuis la pointe de Brézélec jusqu’à celle du Van. Pas de côte plus féroce dans toute la Bretagne. La mer la déchiquette à l’infini. Là, ce sont de petits fiords, longs corridors où l’œil plonge d’en haut, à pic. Ailleurs, les rochers s’avancent comme des castels féodaux. De loin, la pointe du Van ressemble à une forteresse massive, où le lichen noir trace des stries verticales. Quand on approche, c’est un labyrinthe d’îlots enchevêtrés qui ressemblent à des animaux antédiluviens ; mastodontes et mammouths gigantesques, couchés dans la mer. Les ravines, qui dévalent du haut de la lande, finissent en précipices, en gargouilles, en criques, où incessamment mugit, tourne, joue, travaille le flot. Ces ravines parfois ont leur flore, pâle flore rongée par la bise saline, fleurs jaunes d’ajoncs ou de genêts. Certains rochers qui descendent en entonnoir dans des criques mordues par la vague sont revêtus de petites fleurs blanches, étoilées. Rien de plus triste que ces fleurs tapissant l’abîme ; on dirait la dernière illusion attirante et trompeuse au bord du fond amer et noir de la vie. Quelquefois, perdue dans la lande, une ferme isolée rappelle le doux home ; ou, debout en lace de l’infinie désolation de la mer, une chapelle en ruines se dresse comme une pensée immuable fixée sur l’invisible. De fortes ondées, envoyées par un orage montant du large, nous forcèrent à nous réfugier dans une ferme, à côté d’un moulin à vent, dont les deux bras noirs, immobiles, ressemblaient à des faux monstrueuses. La porte de cette ferme était fabriquée avec la plaque en tôle provenant d’un steamer échoué, et la chaudière rouillée de ce même navire était couchée dans la cour. Le paysan, grave comme un chouan, nous fit asseoir près de la cheminée basse où grésillait un feu de lande. Les étincelles tourbillonnaient dans le foyer, et par les trous de la porte de fer, débris d’un naufrage, sifflait la tempête. De temps en temps, on entendait les grondemens de la mer lointaine comme les coups d’un assaut répété. L’histoire du roi Gradlon et de sa fille m’était revenue à la vue de cette côte superbe et terrible. Je vais la dire telle que je la vis pendant cette heure, en regardant le feu et en écoutant la mer.

Dans cette partie de la Bretagne que nous nommons Finistère et que les Romains avaient nommée corne de la Gaule, cornu Galliae, dont quelques-uns dérivent Cornouaille, régnait, au Ve siècle, le roi Gradlon. C’était un de ces chefs de clan, pirates et conquérans, qui, en prenant fait et cause pour les Bretons contre les Germains envahisseurs, devenaient quelquefois conans ou rois de tout le pays d’Armor. Jeune encore, il avait passé en Grande-Bretagne ; il avait guerroyé chez les Cambriens contre les Saxons ; il avait poussé jusque chez les Pietés et les Scots. De sa dernière expédition dans le Nord, il avait ramené un cheval noir et une femme rousse. Le cheval, qui s’appelait Morvark, était superbe et indomptable. Il ne se laissait monter que par la reine Malgven et par le roi Gradlon. Lorsque d’autres le touchaient seulement, il se cabrait en frémissant ; sa crinière se hérissait toute droite sur son cou, et il fixait les gens de ses beaux yeux noirs, presque humains, mais farouches, pendant qu’une flamme légère semblait sortir de ses naseaux, si bien qu’on reculait épouvanté. Non moins redoutable et belle était la reine du Nord, avec son diadème d’or, son corselet en mailles d’acier, d’où se dégageaient des bras d’une blancheur de neige et les anneaux dorés de sa chevelure qui retombaient sur son armure d’un bleu sombre, moins bleue et moins chatoyante que ses yeux. De quel exploit, de quel crime ou de quelle trahison cette proie splendide était-elle le prix ? Personne ne le sut jamais. On disait que Malgven était une magicienne, une sène irlandaise ou une saga Scandinave qui avait fait périr son premier possesseur par le poison, pour suivre le chef armoricain. Triomphante, heureuse, elle régnait sur le cœur de Gradlon. Mais à peine celui-ci fût-il devenu roi de Cornouailles, que Malgven mourut subitement, ne laissant au roi qu’une fille née en mer pendant leurs aventures, et qui s’appelait Dahut.

A partir de ce moment, le roi tomba dans une tristesse noire. Il se plongea dans le vin et la débauche, mais sans parvenir à oublier Malgven. Cependant Dahut grandissait et ressemblait à sa mère. Seulement sa beauté avait quelque chose d’effrayant. Sa peau était plus blanche, sa chevelure d’un roux plus foncé. Son œil changeant comme la mer roulait des désirs plus immenses et lançait des éclairs plus prompts. Elle seule avait le don d’égayer Gradlon. En la regardant, il croyait revoir Malgven. Quelquefois, la main enroulée dans les cheveux fauves de sa fille, ses yeux las, perdus dans les yeux étincelans de vie de Dahut, il lui disait : « Ah ! fille de mon beau poché, perle de mon noir chagrin, par toi seule je tiens à la vie ! » Elle lui souriait, dangereusement enjouée ; mais dans ses yeux, son âme reculait en un rêve insaisissable et trouble. Elle prit sur son père un empire absolu. Toute petite, elle éprouvait pour l’Océan une singulière attraction. Sitôt qu’elle l’apercevait de loin, ses yeux, ses narines se dilataient. Elle en respirait les effluves et semblait vouloir se précipiter vers les plages. Afin d’être plus près de son élément préféré, elle persuada à Gradlon de faire construire une ville, au bord de la mer, dans une grande et magnifique baie qui regarde l’Océan, tout au bout de l’Armorique. Le roi y consentit. Des milliers d’esclaves lurent employés à ce travail. On construisit une digue immense pour protéger la ville contre les flots, et derrière cette digue un bassin destiné à recevoir les eaux de l’Océan dans les grandes marées. Une écluse était pratiquée dans la digue ; en l’ouvrant à la marée montante, on laissait entrer l’eau nécessaire au renflouement des barques. On la fermait à marée haute pour ne la rouvrir qu’au reflux. Alors le bassin se vidait et on péchait à foison sur la vase, monstres marins et poissons.

Dahut fit construire pour elle et son père un palais magnifique, dominant la ville, sur un rocher, au bord de la mer. Quelquefois, quand le soleil couchant enflait la vague, les pêcheurs voyaient, de loin, une forme blanche descendre sur la plage déserte, au pied du rocher couronné par les tours massives du château royal. C’était Dahut, qui voluptueusement se baignait dans cette crique sauvage et se livrait à de singulières incantations avec son élément favori. Après s’être longtemps jouée sur les vagues, comme une sirène, elle en sortait lentement, et toute nue, debout sur le sable fin, luisante comme la nacre, elle peignait ses longs cheveux roux en laissant ruisseler l’écume sur ses flancs et en chantant un chant sauvage. Un soir, le vent apporta ce refrain aux oreilles d’un pêcheur :

« Océan, bel Océan bleu, roule-moi sur le sable, roule-moi dans ton flot. Je suis ta fiancée, Océan, bel Océan bleu !

« Sur un beau navire, au milieu des vagues, ma mère m’a enfantée, au milieu des vagues vertes et transparentes. Quand j’étais petite, tu mugissais sous moi, tu me berçais sur ton large dos et tu grondais, furieux. Mais quand je passais la main sur ta crinière, tu t’apaisais dans un murmure délicieux.

« Océan, bel Océan bleu, roule-moi sur le sable, roule-moi dans ton flot. Je suis ta fiancée, Océan, bel Océan bleu !

« Toi qui retournes comme tu veux les barques et les cœurs, donne-moi les beaux navires des naufragés, les navires pleins d’or et d’argent ; donne-moi tes poissons nacrés, tes perles d’opale ; donne-moi surtout le cœur des hommes farouches et des pâles adolescens sur qui tombera mon regard. Car, sache-le, aucun de ces hommes ne se vantera de moi. Je te les rendrai tous et tu en feras ce que tu voudras. A toi seul j’appartiens tout entière.

« Océan, bel Océan bleu, roule-moi sur le sable, roule-moi dans ton flot. Je suis ta fiancée, Océan, bel Océan bleu ! »

Un jour, après avoir chanté ainsi, Dahut jeta une bague dans les flots. Une lame vint mouiller ses pieds et l’enveloppa jusqu’à la taille.

La ville d’Ys prospéra et devint la plus riche de Cornouailles. Le vieux roi Gradlon vivait au fond du palais et ne sortait de sa mélancolie que pour se plonger dans l’ivresse. Sa fille Dahut gouvernait au gré de ses désirs. L’Océan jetait et brisait par centaines les navires sur ses côtes ; on pillait les richesses ; les survivans du naufrage devenaient esclaves. Les pêches étaient miraculeuses. Le seul dieu adoré à la ville d’Ys était le dieu de Dahut, l’Océan. Tous les mois, on le célébrait par une cérémonie solennelle. Dahut, assise sur le rivage et entourée de la foule, trônait au milieu de bardes qui invoquaient le dieu terrible. Alors on ouvrait l’écluse, et le flot bouillonnant entrait. Lorsqu’on y jetait le filet, on en retirait des rivières de poissons. Pendant ce temps, Dahut distribuait à la foule ces coquillages roses qui passaient pour des talismans. En même temps, ses yeux parcouraient la foule et des pensées troubles y glissaient comme des vagues. Parfois ils se fixaient sur quelqu’un. Alors il semblait à cet homme que le crochet aigu d’un hameçon descendait dans son cœur et qu’une corde tendue par une main savante l’attirait doucement, mais sûrement, vers la fille du roi, qui le guettait. Bientôt il recevait un message de Dahut pour se rendre, la nuit, au château marin. Ah ! ce château ! on en contait merveilles et terreurs. Du dehors, c’était bien une forteresse de pirates, plantée là pour narguer la mer. Mais au dedans, que se passait-il ? Personne n’avait jamais vu reparaître aucun des amans de Dahut. De temps à autre seulement, les gens du pays voyaient un cavalier, monté sur un cheval noir, traverser la nuit les campagnes avec un sac qui retombait des deux côtés de la selle. Il gagnait au triple galop la pointe du Raz, au-delà de la baie des Trépassés ; il jetait sa charge dans le gouffre de Plogoff. Pendant ce temps, Dahut s’oubliait aux bras d’un nouvel amant. Au risque de chavirer, des pêcheurs curieux rôdaient autour du château des Maléfices. De ses trous noirs sortaient des chants lascifs avec des huées et des lueurs d’orgie qui semblaient insulter à la colère du flot.

Malgré le mystère et la terreur dont s’enveloppait Dahut, le bruit de ses crimes avait percé dans le peuple. Sourdement, les parens et les amis des victimes s’étaient ligués : la révolte grandissait. Un soir, à la nuit tombante, la ioule, armée de fourches, de piques et de pierres, se présenta à la porte du château en vociférant :

« Roi Gradlon, rends-nous nos parens, nos frères et nos fils, ou livre-nous ta fille. C’est Dahut que nous voulons ! »

Pendant ce temps, Dahut, étendue sur une couche moelleuse, entre des colonnes de jaspe et des tentures de pourpre, se laissait aller à une langueur délicieuse, à une volupté toute nouvelle et presque attendrie. Une de ses mains jouait avec les cordes d’un luth donnant sur les coussins, l’autre errait, légère, dans les cheveux noirs et longs du page Sylven, agenouillé devant elle et qui la regardait éperdument.

— Sais-tu pourquoi je t’aime, toi ? lui disait-elle. Je n’ai peur de personne, car je sais que tous les hommes ont peur de moi. Je les hais tous quand ils m’ont tenue dans leurs bras. Pourquoi faut-il que je t’aime, toi, insensée que je suis ? Tu le sauras, écoute. Un jour, poussée par la curiosité, je voulus aller à Landévenec, au tombeau de saint Gwénolé, qui, disait-on, faisait des miracles. Mais au moment où j’entrai dans la crypte noire, ma lumière s’éteignit et, devant le sarcophage, j’aperçus un jeune homme tenant un flambeau. Il me regardait avec des yeux candides et farouches, comme tu me regardes en ce moment ; mais sa main menaçante me défendait d’approcher. J’eus peur et je sortis. Un vieux barde de mon père m’attendait. Je rentrai avec lui dans la crypte, après avoir rallumé mon flambeau. Il n’y avait plus personne. Ma peur s’en augmenta et je demandai au barde ce qu’il pensait de ce signe. Il me dit : Si jamais tu rencontres quelqu’un qui ressemble à ce fantôme, détourne-toi de lui ; il te porterait malheur. En te voyant l’autre jour, à la porte de mon père, ton flambeau à la main, je vis que tu ressemblais, trait pour trait, au beau fantôme de la crypte. J’eus peur… je frissonnai… et voilà que je t’aime, en dépit du présage. Oui, je t’aime ! ne fût-ce que pour braver le saint ! Ils sont morts, les autres… tous ; mais toi, je veux que tu vives. Qu’on essaie de t’arracher d’ici !

Les deux bras de Dahut se fermèrent sur la tête de Sylven. Un craquement sinistre interrompit leurs baisers. On donnait l’assaut au château des Maléfices, et les gens du roi répondaient par une grêle de pierres.

— Entends-tu, dit Sylven, ces cris féroces ? Ils te réclament pour te déchirer. Viens t’enfuir avec moi au bout de l’Armorique !

— Attends encore, dit Dahut. Monte à la tour et dis-moi la couleur de l’Océan.

Sylven monta sur la tour et dit en revenant :

— Il est vert foncé, le ciel est tout noir.

— Tout va bien, dit Dahut ; laisse crier le peuple et verse-moi du vin dans ma coupe d’or.

Au bout d’un instant, elle le renvoya sur la tour et Sylven dit en revenant :

— Le ciel devient blafard, l’Océan est fauve et blanc d’écume. Il bouillonne du large. Il monte ! il monte !

— Tant mieux ! s’écria Dahut avec un éclair dans ses yeux violets. Mon cœur se gonfle, il monte avec l’Océan ! Ah ! j’aime la tempête !

Comme un ramier palpite sous les griffes de l’épervier, Sylven frémissait sous l’étreinte de la fille de Gradlon. À ce moment, il y eut un tel coup de bourrasque que la forteresse trembla. Sylven eut un sursaut :

— Vraiment, dit-il, ce soir, l’Océan me fait peur !

Dahut se mit à rire éclatant, et, brandissant sa coupe d’or, elle en lança le contenu par la fenêtre :

— A la santé de l’Océan, mon vieil époux ! N’aie donc pas peur de lui. Il a beau rugir, ce n’est qu’un vieillard impuissant. Il écume de rage, mais je sais comment on le maîtrise. Je veux qu’il serve ma vengeance. Il ne t’aura pas comme les autres, l’Océan. C’est moi qui t’aurai, c’est moi qui te veux ! Car c’est toi que j’aime, toi seul, entends-tu ? Allons ! pour la dernière fois, monte sur la tour et dis-moi ce que tu vois.

Quand Sylven revint, il était pâle comme cire.

— L’Océan, dit-il, est noir comme la poix. Il fait un bruit de mille chaînes. Ses vagues sont comme des montagnes avec des tours crénelées d’écume. En même temps, on entendit à la porte du château un cliquetis d’armes et de pierres lancées, et, au milieu de cent malédictions, ce cri :

— Mort à Dahut !

— Ils l’ont voulu ! dit la fille de Gradlon. L’heure est venue ; je vais noyer la révolte avec la ville. Viens !

Sortie du château par une porte secrète, malgré le vent et les vagues, elle entraîna son page sur la digue.

— Tire la barre de l’écluse ! dit à Sylven la forcenée.

A peine eut-il tiré la barre que l’eau, brisant l’écluse, se précipita par l’ouverture. Une vague immense emporta l’amant de Dahut. Celle-ci poussa un cri sauvage. Il lui sembla qu’on lui arrachait l’âme du fond des entrailles. Prise d’épouvante, elle n’eut que le temps de s’enfuir auprès de son père.

— Vite ! ton cheval ! L’Océan rompt ses digues ! L’Océan me poursuit !

Le roi Gradlon se jeta sur son cheval, sa fille en croupe, derrière lui. Déjà les grandes ondes déferlaient sur les murs submergés de la ville d’Ys. L’étalon Morvark se mit à bondir sur les galets ; le flux courait derrière lui. Et de loin, on entendait une voix terrible comme le meuglement de mille taureaux. Jaloux et furieux d’amour, l’Océan sauvage hurlait après sa fiancée. « Il me veut ! sauve-moi de lui, mon père ! » criait Dahut. Et le cheval se cabrait sur l’eau bouillonnante. Mais à chacun de ses bonds, une nouvelle lame lancée après lui éclaboussait la croupe du cheval et de la femme. Morvark galopait au pied d’immenses rochers. Déjà on ne voyait plus la plage ; toutes les criques écumaient, et les vagues bondissaient contre les falaises comme des licornes blanches. Dahut enlaçait son père toujours plus étroitement. Tout à coup une voix cria derrière lui : « Lâche le démon qui te tient ! » Mais Dahut, les ongles crispés dans la chair du vieux roi, suppliait haletante : « Je suis ta fille ! Ne jette pas au gouffre la chair et le sang de ma mère… Emporte-moi, fuyons au bout du monde ! »

À ce moment, Gradlon aperçut une forme pâle debout sur un rocher. C’était saint Gwénolé. Le cheval passa comme un éclair. Mais le roi entendit derrière lui la voix tonnante du saint le poursuivre d’un cri : « Malheur à toi ! »

Enveloppé par la marée montante, Morvark avait grimpé sur un écueil. Le poil hérissé, le cheval regardait devant lui une chose terrible. A la lueur de la lune rouge, Gradlon vit le gouffre de Plogoff. La bouche d’enfer revomissait les vagues monstres englouties avec les brisans. A chaque hoquet, elle rendait une forme humaine. Cadavre ou fantôme ? Gradlon reconnut les amans de sa fille. Ils jaillissaient du flot avec des gestes accusateurs, puis retombaient et semblaient appeler à la sarabande du gouffre la cruelle sirène, la femme-vampire, — toujours désirée ! « Sauve-moi ! » criait la fille de Gradlon, la tête cachée dans le manteau de son père. Mais Gradlon, fasciné par la vue du gouffre, dit à sa fille : « Regarde ! » Elle regarda… Alors les mains glacées de Dahut se détendirent, elle lâcha prise et roula dans les vagues qui se disputaient pour la saisir. Aussitôt l’océan se calma. Il s’enfuit joyeux, emportant sa proie, avec le bruissement sourd d’un grand fleuve et le murmure d’une cataracte lointaine. La plage était libre. En quelques bonds sauvages le cheval gagna le haut du promontoire.

Inerte et brisé, le vieux roi se retira à Quimper. Saint Corentin le prêcha. Gradlon, par lassitude, se laissa convertir à la foi chrétienne. Mais l’eau du baptême ne put chasser sa mélancolie. Il s’assit sur la paille, au fond d’un donjon, toujours hanté par sa fille. Morvark, de son côté, baissait la tête tristement ou mordait ses gardiens. Quand Gradlon mourut, son cheval devint sauvage de chagrin ; il rompit tous ses liens et courut sur la lande. La nuit, les paysans entendent trembler leur cabane au trot de son sabot. Et le jour, pourquoi court-il les plages blanches d’écume ? Pourquoi le voit-on, au haut des falaises, flairant l’abîme et hennissant ? Que cherche-t-il, de ses yeux de feu, là-bas, sur l’océan couleur d’aigue-marine ? Sans doute ce que cherchent les marins, les bardes et les vagabonds, la fée Dahut qui peigne ses cheveux d’or au milieu des vagues, sur un écueil, parmi les goémons jaunes et blancs. Quant au roi Gradlon, il a sa statue équestre au gable du grand portail de la cathédrale de Quimper, cette page flamboyante d’architecture héraldique. Les paysans kernévotes, qui, le dimanche avant la messe, stationnent sur la grande place, avec leurs larges braies et leurs chapeaux bretons, sont encore fiers de leur vieux roi, si haut perché à la pointe de l’ogive, montant son cheval de mer et de bataille. Peut-être ont-ils le sentiment confus que ce cheval symbolise l’antique et libre Bretagne.


EDOUARD SCHURE.

  1. Voyez la Revue des 15 février et 1er août 1890.
  2. Soniou Breis-Izel, chansons populaires de la Basse-Bretagne, recueillies et traduites par M. Llzel. — Ce beau recueil est précédé d’une introduction de M. Le Braz, qui, poète lui-même et grand folkloriste, a su donner un tableau vivant et complet de la poésie populaire dans la Bretagne celtique d’aujourd’hui.