Pauvres fleurs/Un Nouveau-né

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 13-18).



UN NOUVEAU-NÉ.


Bien venu, mon enfant, mon jeune, mon doux hôte !
Depuis une heure au monde : oh ! que je t’attendais !
Que j’achetais ta vie ! hélas ! est-ce ta faute ?
Oh ! non, ce n’est pas toi qu’en pleurant je grondais.
Toi, ne souffrais-tu pas, même avant que de naître ?
Ne m’as-tu pas aidée enfin à nous connaître ?
Oui, tu souffrais aussi, petite ombre de moi,
Enfant né de ma vie où je reste pour toi !


Du jour, par mes regards je t’allumai la flamme ;
La nuit je descendais au fond de ta prison ;
Des mauvais souvenirs te sauvant le poison,
J’aurais voulu te faire un ciel de ma pauvre âme !
J’aurais voulu voir Dieu pour te créer plus beau ;
Pour imbiber ton cœur de sa grâce profonde
Et pour faire couler un peu de son flambeau
Sur ta raison aveugle à ton entrée au monde !

Ne va pas l’oublier : je t’ai parlé de Dieu ;
Je t’ai fait de prière, enfant ! de tendres larmes ;
J’ai formé ton oreille aux échos du saint lieu ;
Je t’ai caché vivant à toutes nos alarmes,
Et j’allais au soleil couchant sécher mes pleurs,
Pour te rendre suave et pur comme les fleurs ;
Ou dans les roseaux verts je t’emportais pensive,
Pour t’abreuver du bruit de quelque source vive,
Qui m’ouvrant son cristal comme à l’oiseau plongeur,
Sur notre double fièvre épanchait sa fraîcheur.

Souviens-toi que souvent, seuls au fond d’une église,

Nous regardions long-temps les anges aux fronts blancs
Que je t’y promenais invisible, à pas lents,
Modelant leurs beaux traits sur ta forme indécise ;
J’ai bien fait ! nul enfant n’a rapporté des cieux
Tant de ciel inondant sa profonde paupière,
Et l’on n’a vu jamais, d’un front si gracieux,
Jaillir tant de rayons de vie et de lumière.
Qu’un si petit visage enferme de portraits !
De tout ce que j’aimai tu m’offres quelques traits :
Que d’anges envolés sans pouvoir les décrire,
Dans ton sourire errant reviennent me sourire !

Et je l’avais prédit, quand je sentais ton cœur
Éclore et battre faible à mon flanc créateur !
Quand mes heures veillaient autour de ta défense,
Dans mon humble abandon qui m’eût fait une offense !
Tout, c’était toi ! Mes yeux enfermés sous ma main,
N’ont appelé personne en ce monde inhumain,
Personne ! pour calmer, pour soutenir ma tête,
Et dérober mon fruit au vent de la tempête :
Oh ! mais : lorsqu’en ton nom je regardais les cieux,
Ton sourire passait dans les pleurs de mes yeux,

Dieu se montrait au loin sous cette ondée amère ;
Dieu, dans ma pauvreté me laissait être mère ;
Et j’envoyais à Dieu mes baisers ou mes cris,
Les doux cris d’une femme à qui Dieu donne un fils.

Ton berceau, vide encor, peuplait ma solitude ;
Un ange y respirait par moi sa nuit, son jour ;
J’y couvais son destin ; j’en étais le séjour !…
On ne meurt pas d’orgueil et de sollicitude !

Aussi j’ai cru tomber faible sur mes genoux
Quand on me leva seule et comme trop légère,
Cherchant le poids aimé d’une tête si chère ;
Car si près que tu sois l’air circule entre nous,
Adieu !… je ne suis plus l’heureuse chrysalide,
Où l’âme de mon âme a palpité neuf mois ;
Mais à ta frêle fleur si j’ai servi d’égide,
Homme un jour, reviens-y t’appuyer quelquefois.
Je suis ta mère : un nœud nous a tenus ensemble ;
C’est l’aimant divisé que l’aimant cherchera ;
La terre ne rompt pas ce que le ciel assemble :
Sous la vie, hors la vie, il nous réunira !

Des femmes me l’ont dit : oui ! la femme étonnée,
Quitte d’un doux fardeau vacille consternée ;
Nous n’osons pas le dire et nous pleurons tout bas :
Que de larmes l’enfant coûte à la mère ! hélas,
D’hier nous sommes deux ! Le souffle de ta bouche
Se mêle à chaque souffle étranger qui te touche,
Et je pleure et… pardon ! mon jeune bien-venu !
Au monde pour moi seul et du monde inconnu !

Dieu d’amour ! Dieu des mères !
Dieu des petits enfans !
Sur nos routes amères,
Où volent les chimères,
Où pleurent les vivans,
Dieu ! qui seul nous défends :

La plante délaissée,
Qui te regarde ici ;
La colombe offensée
Sous son aile blessée,
Et moi qui parle ainsi,
Tu nous aimes aussi !

Ma mère était ta fille,
Et ma mère pleura ;
Mais le sort se dessille ;
Ange de la famille,
Au sort qui l’aimera,
Mon enfant sourira.

Qu’il te doive toujours, sauveur né d’une femme,
Quelque songe d’en haut pour bercer sa jeune âme !

Toi, cher petit dormeur, notre monde te plaît :
Ton âme est toute blanche et n’a bu que du lait !
Depuis si peu d’instans descendu sur la terre,
Tes yeux nagent encor dans un divin mystère ;
Tu revois la maison d’où tu viens, ton beau ciel,
Et ton baiser qui s’ouvre en a gardé du miel !