Pauvres fleurs/Cantique des Mères

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 161-166).



CANTIQUE DES MÈRES.


Reine pieuse aux flancs de mère,
Écoutez la supplique amère,
Des veuves aux rares deniers,
Dont les fils sont vos prisonniers :
Si vous voulez que Dieu vous aime
Et pardonne au geôlier lui-même,
Priez d’un salutaire effroi
Pour tous les prisonniers du roi !


On dit que l’on a vu des larmes,
Dans vos regards doux et sans armes ;
Que Dieu fasse tomber ces pleurs,
Sur un front gros de nos malheurs.
Soulagez la terre en démence ;
Faites-y couler la clémence ;
Et priez d’un céleste effroi
Pour tous les prisonniers du roi !

Car ce sont vos enfans, madame,
Adoptés au fond de votre âme,
Quand ils se sont, libres encor,
Rangés sous votre rameau d’or ;
Rappelez aux royales haines,
Ce qu’ils font un jour de leurs chaînes ;
Et priez d’un prudent effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Ne sentez-vous pas vos entrailles,
Frémir des fraîches funérailles
Dont nos pavés portent le deuil ?
Il est déjà grand le cercueil !

Personne n’a tué vos filles ;
Rendez-nous d’entières familles :
Priez d’un maternel effroi
Pour tous les prisonniers du roi !

Comme Esther s’est agenouillée,
Et saintement humiliée
Entre le peuple et le bourreau,
Rappelez le glaive au fourreau ;
Vos soldats vont la tête basse,
Le sang est lourd, la haine lasse :
Priez d’un courageux effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Ne souffrez pas que vos bocages,
Se changent en lugubres cages ;
Tout travail d’homme est incomplet ;
C’est en vain qu’on tend le filet,
Devant ceux qui gardent leurs ailes.
Pour qu’un jour les vôtres soient belles,
Priez d’un angélique effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !


Madame ! les geôles sont pleines ;
L’air y manque pour tant d’haleines ;
Nos enfans n’en sortent que morts ;
Où commence donc le remords ?
S’il est plus beau que l’innocence,
Qu’il soit en aide à la puissance,
Et priez d’un ardent effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

C’est la faim, croyez-en nos larmes,
Qui, fiévreuse aiguisa leurs armes.
Vous ne comprenez pas la faim :
Elle tue, ou s’insurge enfin !
Ô vous ! dont le lait coule encore,
Notre sein tari vous implore :
Priez d’un charitable effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Voyez comme la Providence
Confond l’oppressive imprudence ;
Comme elle ouvre avec ses flambeaux,
Les bastilles et les tombeaux ;

La liberté, c’est son haleine,
Qui d’un rocher fait une plaine :
Priez d’un prophétique effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Quand nos cris rallument la guerre,
Cœur sans pitié n’en trouve guère ;
L’homme qui n’a rien pardonné,
Se voit par l’homme abandonné ;
De noms sanglans, dans l’autre vie,
Sa terreur s’en va poursuivie ;
Priez d’un innocent effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Reine ! qui dites vos prières,
Femme ! dont les chastes paupières,
Savent lire au livre de Dieu ;
Par les maux qu’il lit en ce lieu,
Par la croix qui saigne et pardonne,
Par le haut pouvoir qu’il vous donne :
Reine ! priez d’un humble effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !


Avant la couronne qui change,
Dieu grava sur votre front d’ange,
Comme un impérissable don :
« Amour ! amour ! pardon ! pardon ! »
Colombe envoyée à l’orage,
Soufflez ces mots dans leur courage :
Et priez de tout notre effroi,
Pour tous les prisonniers du roi.

Redoublez vos divins exemples,
Madame ! le plus beau des temples,
C’est le cœur du peuple ; entrez-y !
Le roi des rois l’a bien choisi.
Vous ! qu’on aimait comme sa mère,
Pesez notre supplique amère,
Et priez d’un sublime effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !


Lyon, 1834