Pauvres fleurs/Adolphe Nourrit à Lyon

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 157-160).



ADOLPHE NOURRIT
À LYON.
Après la guerre civile.


Pourtant, mon Dieu ! ce monde est plein de belles choses !
Jamais de votre amour les ailes ne sont closes ;
Attentif et penché sur vos enfans en pleurs,
Vous leur semez toujours de l’espoir et des fleurs !
Vous soufflez à leur soif ce limpide génie,
Qui porte dans son sein vos tables d’harmonie ;


Oui, mon Dieu ! vous parlez quand il chante, et souvent,
On vous écoute au fond de ces notes plaintives,
Que l’on entend rouler comme les feuilles vives,
Qu’éparpille un grand chêne en frémissant au vent !

Pareille à votre haleine au travers du feuillage,
Douce comme un parfum dans la brise des bois,
Claire comme un cri d’ange égayant son voyage,
Le soir, dans nos échos tombe sa jeune voix,

Sonore, sensible, profonde,
Plus fraîche, plus souple que l’onde,
Versant sur les vains bruits du jour,
Ses rythmes ruisselans d’amour !

Et cette hymne d’en haut, juive ou napolitaine,
C’est l’oiseau dans les fleurs, c’est l’eau d’une fontaine,
Qui perle son cristal en répandant ses flots ;
C’est du ramier brûlant les nocturnes sanglots,
C’est d’un ciel entr’ouvert la promesse lointaine ;

Des chants de liberté forts à briser des fers,
À soulever un monde, à créer des armées,
À balayer des rois les ombres alarmées,
Jusqu’aux vésuves des enfers.

Et cette belle image, indécise, inconstante,
Qui dit : « Je ris… je souffre !… et je doute… et je crois ! »
Des peuples en douleur est-ce l’ombre flottante,
Qui tourne alentour de la croix ?

Quelle femme n’a peur aux flambeaux de l’orgie,
Secoués sur ce front sublime, échevelé ?
Où prend-il de ses cris la terrible énergie,
Dont l’incrédule est ébranlé ?

Robert ! poême errant, sombre et brillante étoile,
Esquif humain, battu sous une double voile,
Âme en peine volée aux mains de son auteur,
Et criant sur l’abîme : « À moi, mon Créateur ! »


Oui ! dans sa grande voix c’est la terre qui prie,
Qui baigne ta pitié des pleurs des malheureux ;
Qui rallume sa foi pour l’épancher sur eux :
Fais-le content ! mais laisse à ses chants douloureux,
Le charme des vrais pleurs et la force attendrie,
Qui traduit l’homme triste, et porte jusqu’à toi,
Mon Dieu ! l’âme qu’il brûle et qu’il entraîne à soi !

Ainsi perdue et seule au milieu de la foule,
Que son timbre appelait comme un fleuve qui roule,
Pour ce peuple orageux dont le flot se taisait,
Je priais dans mon âme et mon âme disait :

« Pourtant, mon Dieu ! ce monde est plein de belles choses !
Jamais de votre amour les ailes ne sont closes ;
Attentif et penché sur vos enfans en pleurs,
Vous leur semez toujours de l’espoir et des fleurs ! »