Pauvres fleurs/À Pauline Duchambge (2)

Pour les autres éditions de ce texte, voir À Pauline Duchambge (« Quand tu te ferais sœur grise »).

Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 107-109).



À PAULINE DUCHAMBGE.
Elle voulait quitter le monde.


Quand tu te ferais sœur grise,
Un bandeau blanc sur les yeux ;
Quand d’une prière apprise,
Tu tourmenterais les cieux ;
Quand sur les pauvres penchée
Mouillant leurs cris de tes pleurs,
Par ta blessure cachée,
Tu sonderais leurs douleurs :


Quand tu pourrais, sœur Morave,
Silencieuse à toujours,
Sous une loi morne et grave,
Immobiliser tes jours ;
Cesserais-tu, mon pauvre ange,
D’écouter vivre et souffrir,
Ton cœur, ce malade étrange
Qui n’a peur que de guérir !

Quand sur le marbre et la pierre,
Tu verserais l’oraison,
Pour évoquer la lumière,
Qui rallume la raison ;
Quand ta voix éteinte au monde,
S’enfermerait sans retour,
Une autre voix plus profonde,
Te crierait encore : « Amour ! »

Tous les cloîtres de la terre,
Mentent à ton désespoir ;
Dans son plus chaste mystère,
Dieu n’a pas de manteau noir,

Et le reclus prêt à rendre
Ses comptes au Créateur,
Ne pourra que trop comprendre,
Qu’il manque un cœur à ton cœur !

Reste au monde ! plaide encore !
Ton procès n’est pas fini ;
Pour un crime que j’ignore,
L’amour tendre y fut banni.
Aime en vain ; donne et pardonne,
À qui ne t’a pas compris ;
Souris à qui t’abandonne ;
Va ! l’on n’aime qu’à ce prix !