Pauvres fleurs/À Pauline Duchambge

Pour les autres éditions de ce texte, voir À Pauline Duchambge (« En ce temps-là je montais dans ta chambre »).

Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 79-84).



À PAULINE DUCHAMBGE.


En ce temps-là je montais dans ta chambre,
Causer une heure et pleurer et chanter ;
Car nous chantions pour étourdir décembre :
Et puis nos pleurs coulaient de nous quitter.

Je te cherchais comme par la campagne,
Quelque hirondelle échappée aux autans,
Monte rapide au toit d’une compagne,
Lui raconter ses secrets palpitans.


Tout ce qui tient dans un sort d’hirondelle :
L’orage en haut. La moisson sans chaleur.
Un nid qui tombe. Un message infidèle.
Un rendez-vous brisé par l’oiseleur.

Nous disions tout l’une à l’autre sincère ;
Larme pour larme et le cœur dans le cœur.
Si le bonheur est de croire, ô ma chère,
Qu’un toit si simple abrita de bonheur !

Et d’où venaient nos plaintes racontées ;
Nos chants furtifs entravés de longs pleurs ;
Nos peurs d’enfant gravement écoutées ?
C’est que notre âge avait toutes ses fleurs !

Qui regardait sous mon aile blessée,
Le dard… celui qui me fait mal encor :
Qui, doucement essuyait ma pensée,
Du rêve amer qui fait aimer la mort ?


Comme aujourd’hui, c’était toi, mon autre âme,
Lueur vivante éclairant mon chemin ;
Ange gardien sous ton voile de femme
À qui Dieu dit : « Tenez-la par la main ! »

Ô jours d’hier ! ô jeunesse envolée,
Avant notre âme, autre oiseau gémissant,
Ouvrant à Dieu son aile d’exilée,
Rougie au plomb qu’on lui tire en passant !

Posée à peine aux lieux où sonne l’heure,
Sais-tu quel seuil mon pied triste a tenté ?
Tout seuil de Christ où chaque âme qui pleure,
A droit d’asile et d’hospitalité.

Le front baigné de soleil ou de bise,
Sans droit ni place au banquet étranger,
Je me sauvais dans les bras d’une église,
Seuls bras ouverts au malheur passager.


J’allais suspendre une heure à ces vieux dômes,
Où Dieu s’enferme et dit à tous : entrez !
Où le plain-chant des sonores fantômes,
Crie en tous temps : « Frères, quand vous voudrez !

J’allais verser nos humbles harmonies,
Sur le sommeil étouffé des prisons,
Berçant, calmant les âcres insomnies,
Avec l’amour qui bat dans tes chansons.

J’étais, je suis la voyageuse encore,
Lasse d’absence et de tous les séjours,
Que de ta chambre indigente et sonore,
L’écho tourmente et rappelle toujours !

Mon sort lancé vers l’étoile inconnue,
Serrait sa chaîne à chaque mouvement ;
Mes yeux rêveurs et mouillés sous la nue,
À ton rideau retournaient tristement.


Charme aimanté ! lampe qui se consume !
Cœur oppressé de chants mélodieux !
Oh ! sous ta cendre où l’ange se rallume,
M’attendras-tu pour nous enfuir aux cieux ?

J’irai te prendre, attends ! pauvre et chérie,
Dernier reflet de mon lointain doré ;
Replie encore ton aile endolorie :
Toi, si tu meurs, je crois que je mourrai !