Pauline de Montmorin, comtesse de Beaumont/03

Pauline de Montmorin, comtesse de Beaumont
Revue des Deux Mondes3e période, tome 58 (p. 835-862).
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PAULINE DE MONTMORIN
COMTESSE DE BEAUMONT

III.[1]
LA COMTESSE PAULINE DE BEAUMONT ET SA FAMILLE PENDANT LA TERREUR.

Le parti constitutionnel, successivement affaibli par ses fautes, n’était représenté à l’assemblée législative que par un petit groupe d’hommes non sans talent, mais sans influence. Si Montmorin avait perdu tout espoir dans une action politique, l’habitude du danger l’avait rendu plus fort et plus décidé, en même temps qu’elle lui avait donné le dédain des injures et presque l’insouciance des précautions nécessaires. En avril 1791, son ami Bertrand de Molleville lui avait, sur ce point, un jour cherché querelle : Fréteau avait assuré au comité diplomatique que Montmorin avait avoué que le prince de Condé et le cardinal de Rohan étaient sortis de France pour soulever les puissances étrangères. Aux reproches que lui faisait sur cette intempérance de langage Bertrand de Molleville, Montmorin répondit : — « Comment! vous qui me connaissez, avez-vous pu me croire capable de tenir un propos pareil? Ce que j’ai dit est précisément inverse, car, en parlant de la nécessité de réprimer enfin les excès qui avaient forcé le prince de Condé à abandonner le royaume, je me suis efforcé de montrer combien il était important d’employer tous les moyens possibles pour engager ce prince à revenir, parce qu’il était si profondément respecté, que l’idée de son émigration forcée indisposerait les puissances et finirait par soulever tous les alliés de la maison de Bourbon ; j’ai ajouté que si nous désirions terminer favorablement nos négociations avec les princes de l’empire possessionnés en Alsace, nous devions employer tous nos efforts afin de nous concilier le cardinal de Rohan, qui aura certainement la plus grande influence sur leur détermination. » Bertrand de Molleville répliqua qu’il fallait, sans perdre de temps, opposer un démenti formel et public au rapport de Fréteau : « J’y ai pensé, dit Montmorin, mais si Fréteau a concerté son rapport avec les autres membres du comité, ils sont capables pour soutenir leurs manœuvres d’opposer leur témoignage à mon assertion, qui, quoique vraie, n’en passera pas moins pour fausse. » — « Écrivez du moins à Fréteau, reprit Bertrand de Molleville, pour qu’il ait à se rétracter ou à rectifier son rapport, et menacez-le, s’il ne le fait pas, de faire imprimer votre lettre dans tous les journaux. » Montmorin approuva cet avis comme le plus modéré, et il écrivit le même jour à Fréteau, qui, dans sa réponse, convint de l’inexactitude. Il promit même de faire corriger l’erreur sur le procès-verbal et d’en instruire les membres les plus marquans de l’assemblée. Montmorin eut la condescendance de ne pas en exiger davantage. Il se refusa à publier les lettres échangées. La lassitude des choses et des hommes amène cette insouciance.

Les temps étaient proches cependant où la vie allait être menacée. La législative n’était qu’une courte préface avant la convention. Dès la première semaine de son existence, le comité diplomatique fut mené par les violens. Le ministre des affaires étrangères n’était plus qu’un chef de bureau. Montmorin avait de nouveau pris le parti de se retirer. Les dénonciations pleuvaient sur lui; Condorcet lui-même, Condorcet son ami, l’accusait, dans la séance du 18 octobre, à propos du projet de loi contre les émigrans[2].

Le comte de La Marck, dans une lettre à Mercy-Argenteau, était d’avis que Montmorin conservât encore son poste. Dans une quantité d’affaires, il pouvait surveiller le roi lorsque, comme le redoutaient les courtisans, il échapperait à la reine. Le grand seigneur brabançon la considérait comme seule capable de régner, et ses opinions sur Montmorin varièrent jusqu’au moment où le ministre conquit l’amitié de Marie-Antoinette.

L’insistance de Mallet du Pan et de Malouet fut plus efficace[3]. Ils décidèrent Montmorin, avant sa retraite, à présenter encore à Louis XVI un plan de conduite. Il consistait à se rendre à l’assemblée législative, et à déclarer que, les puissances étrangères ne croyant plus le roi libre, sa liberté devait être constatée ; le roi demanderait, en conséquence, à aller à Fontainebleau, ou à Compiègne, avec les gardes du corps, et à choisir un nouveau ministère n’ayant pas coopéré à la constitution. Ou l’assemblée eût refusé, et elle constatait ainsi la servitude du roi ; ou elle eût accepté, et alors un cabinet dévoué était constitué. Montmorin revint à trois reprises sur les avantages de cette conduite, il se jeta aux genoux de la reine ; les supplications furent inutiles. L’insuccès avait amené la résignation, et Montmorin fut suspecté de trop de finesse. Cette suspicion explique sa lettre du 26 octobre au comte de La Marck : « J’avoue que, malgré mon extrême répugnance, je me serais déterminé à rester si l’on m’en avait montré un désir positif ; mais on ne l’a pas fait, et, en vérité, la chose en valait la peine. Je m’occupe en ce moment du compte que je dois rendre à l’assemblée ; j’espère qu’il sera tel qu’il pourra être utile au roi et que les cours étrangères en seront contentes. Il me fera peut-être quelques querelles ici avec les journalistes Brissot et compagnie. Mais, en général, je crois qu’il ne me fera pas de tort devant l’opinion. » Il ne connaissait pas encore la nouvelle assemblée devant laquelle il se trouvait.

Gouverneur-Morris, en relations constantes avec Mme de Beaumont et son père, prévoyait l’avènement de la république sans croire à sa durée, et il suivait avec sympathie les efforts tentés pour sauver les jours de la famille royale ; il avait aussi préparé un plan pour être soumis à Louis XVI. Le 22 octobre, il alla le communiquer[4] à Montmorin et l’engagea à rester quelque temps encore en fonctions ; il voulait ne le voir sortir du conseil qu’après en avoir été président. Montmorin ne se rendit pas à ses raisons et lui fit une confidence grave. Il quittait le ministère parce qu’il ne jouissait pas complètement de la confiance de leurs majestés ; le roi et la reine, ajoutait-il, étaient gouvernés par des avis venant tantôt de Bruxelles, tantôt de Coblentz. Montmorin s’était vainement efforcé de les convaincre de la nécessité d’arrêter une ligne fixe de conduite. Rien ne leur ouvrait les yeux. Le roi, extrêmement choqué qu’un homme avec lequel il vivait dans la familiarité depuis son enfance persistât à donner sa démission, ne fit rien pour l’encourager à la retirer. Les instances de Bertrand de Molleville ne furent pas mieux accueillies.

Ce fut le 31 octobre 1791 que Montmorin donna lecture à la législative de son rapport sur la situation de la France vis-à-vis des puissances étrangères. Résumé fidèle des événemens extérieurs depuis le jour où Louis XVI, revenu de Varennes, avait été suspendu, le rapport exposait avec impartialité la situation, blâmait l’émigration, en indiquait les lieux de rassemblement, ne dissimulait pas la défiance des cours européennes vis-à-vis la révolution, tout en s’enfermant dans les bornes d’une discrétion exigée par l’intérêt public. Cet important document se terminait par ces lignes : « Je présente ces réflexions sur les inconvéniens de demander trop de détails au ministre des affaires étrangères avec d’autant plus de confiance qu’elles ne peuvent avoir pour objet de rendre plus facile l’exercice d’une place que je vais cesser d’occuper. Dès le mois d’avril dernier, j’avais donné ma démission à Sa Majesté; mais la distance qui me séparait de celui qu’elle me destinait pour successeur me força de continuer mon travail jusqu’à la réception de sa réponse, qui fut un refus. Depuis, je ne trouvai plus où placer ma démission, et l’espérance d’être encore de quelque utilité à la chose publique et au roi put seule me consoler de la nécessité de rester dans le ministère, au milieu des circonstances qui en rendaient les fonctions pénibles pour moi. Aujourd’hui, Sa Majesté a daigné agréer ma démission; le rapport qu’elle m’a ordonné de vous faire est le dernier devoir que j’aie à remplir envers les représentans de la nation comme ministre des affaires étrangères; et je me félicite, en terminant ma carrière ministérielle, de pouvoir vous donner l’espoir d’une paix que vous aiderez le roi à maintenir et à consolider par la sagesse de vos décrets. »

Le comte de Montmorin, en se retirant, avait espéré conserver la place de ministre d’état; on fit observer au roi que ce titre était contraire à la constitution et que l’assemblée ne manquerait pas de s’y opposer. Il eût aussi accepté la charge de gouverneur du dauphin, dont on avait autrefois parlé. Les circonstances ne permettaient pas de la lui confier. Montmorin se trouvait dès lors presque sans ressources; ses affaires privées étaient dans un tel désordre que ses dettes surpassaient de beaucoup son actif. La générosité l’avait toujours entraîné. Le roi, informé, lui assura la somme de 50,000 livres par an sur les fonds secrets et lui envoya, comme souvenir, son portrait en pied, pareil à celui qu’il avait donné à M. de Vergennes en 1786.

Montmorin s’enferma pendant quelques semaines dans sa campagne de Theil, près de Sens, avec ses enfans. Ce furent ses dernières heures de joie domestique; il s’occupait de réparations; il revit, comme pour échanger les suprêmes paroles, les amis fidèles, les Trudaine, et François de Pange. Il ne put séjourner longtemps en Bourgogne. Il dut rentrer à Paris, se présenter à la section de la Croix-Rouge[5]. Un extrait des registres du comité révolutionnaire constate que Montmorin envoya 300 livres pour les pauvres de son quartier et 300 pour ceux de Fontaine-Grenelle. Le 23 janvier 1792, il est obligé de se faire délivrer un certificat déclarant qu’il continue à demeurer rue Plumet.

Dans ce sombre hiver de 1792, pendant que le ministère Narbonne, de Lessart, se débattait entre les folles manœuvres de l’émigration et les irritations croissantes de la révolution, pendant que Bertrand de Molleville, devenu ministre de la marine, essayait de renouer à chers deniers les intrigues subalternes qui, jusqu’alors, avaient été si peu utiles, Montmorin était frappé au cœur dans ses affections.

Son fils le plus jeune, Auguste, partait pour l’Ile de France comme enseigne de vaisseau, ils ne devaient plus se revoir. Un coup de vent, à quelques mois de là, faisait sombrer la barque qui portait Auguste de Montmorin prêt à s’embarquer pour revenir à Brest. Il se noyait avant la fin tragique de sa famille. Il léguait à sa sœur Pauline une étoffe de soie pour une robe de bal, et cette étoffe devait lui servir de linceul. Nous avons la lettre d’adieu du jeune officier de dix-sept ans; elle est datée de décembre 1791[6] : « Vous me dites, mon cher papa, que je suis heureux d’aller dans un pays tranquille; mais quel bonheur puis-je trouver, lorsque je ne sais pas si vous êtes en sûreté!.. J’avais déjà écrit à maman et à mes sœurs. On m’avait appris la plupart des nouvelles que j’ai eues dans vos lettres ; mais on m’avait dit que M. Bertrand était déjà remplacé, et j’ai vu avec plaisir qu’il était encore ministre... Adieu, mon cher papa, n’oubliez jamais votre fils et croyez qu’il ne cessera jamais de vous respecter et de vous aimer tendrement. — AUGUSTE DE MONTMORIN. » En entrant dans la région que Dante appelle inconsolée, la première ombre devant laquelle nous nous inclinons est celle de ce pauvre enfant dont Pauline, sa sœur, écrivait : «Il était aussi courageux que doux, et comme il avait de beaux cheveux blonds ! »

Le 15 mars arrive : de Lessart, le successeur de Montmorin, est mis en accusation et conduit à Orléans. Dumouriez, Clavière et Roland sont ministres. Le roi appelle Montmorin; il lui dit qu’il ne peut considérer comme ses conseillers des hommes qui sont ouvertement ses ennemis[7]. Il se décidait à nommer un conseil secret auquel il abandonnerait la direction des affaires ; il en désignait, comme membres, avec Montmorin, l’archevêque d’Aix, M. de Boisgelin, l’abbé de Montesquiou et Malouet, et il fixait au lendemain minuit la première réunion. Montmorin répondit au roi que certainement les personnes choisies étaient pleines de dévoûment, mais qu’un comité secret était un danger de plus et ne présentait aucune ressource ; qu’il n’y avait pas de moyens de faire exécuter ses décisions; qu’on ne tarderait pas à s’apercevoir des réunions fréquentes et de leur influence sur les déterminations du roi; que les clubs mettraient alors infailliblement le peuple en insurrection contre le château ; qu’il fallait commencer par s’assurer les moyens de se défendre. Après avoir présenté ces observations, Montmorin se rendit successivement chez l’archevêque d’Aix, chez l’abbé de Montesquiou et chez Malouet. Sans qu’ils eussent pu se concerter, ils firent tous séparément la même réponse que Montmorin. Malouet la lui remit même par écrit ; il revenait à son projet de confédération des départemens et des gardes nationales, en s’appuyant sur la constitution et sur l’autorité défaillante de La Fayette. Il oubliait que les constitutionnels étaient un épouvantail, surtout pour la reine.

Montmorin, en devenant l’ami de Marie-Antoinette, ne devint jamais son vrai confident. Il avait été écarté de ce rôle par son acceptation sincère de la constitution. On se servait de lui vis-à-vis de la révolution : on le tenait à distance quand on s’entendait avec l’étranger. La prédiction de Mirabeau lui traversait alors la mémoire. Il relisait ces lignes que le grand homme d’état avait écrites, dans son désespoir de ne pas être compris : « Le roi et la reine y périront ; la populace battra leurs cadavres. Oui, oui, on battra leurs cadavres! »

A partir d’avril, ni Bertrand de Molleville, ni Malouet, ni Montmorin, ne purent ostensiblement se rendre aux Tuileries. Le château était garni d’espions, et les journaux dénonçaient chaque matin ce qu’on commençait à appeler le comité autrichien. La déclaration de guerre était inévitable; les généraux étaient désignés; les emplacemens des armées fixés. Le 20 avril 1792, date mémorable, les ministres obligèrent le roi à faire usage de son initiative pour aller lui-même à l’assemblée proposer la guerre contre l’Autriche; elle fut votée par acclamation. Montmorin put, à la suite de cette séance, voir Louis XVI. Il lui développa les considérations les plus sages sur l’émigration. Le premier des devoirs était de ne jamais livrer son pays à l’ennemi. La guerre civile, quelque cruelle qu’elle fût, était plus excusable. Mais, en se présentant sous les drapeaux de l’Autriche et de la Prusse, la noblesse devenait étrangère à la France. C’est ce qu’elle ne sentait pas. Montmorin eût compris la Vendée; mais il ne pardonnait pas Coblentz. Cette opinion nettement exprimée à Louis XVI achève de déterminer le véritable esprit politique de Montmorin. Ses paroles laissèrent-elles, comme on l’assure, une impression dans l’esprit du roi? Conçut-il pour la première fois la nécessité d’une défense à l’intérieur, en se séparant de toute alliance étrangère? En tous cas, il était trop tard. Les avis de quelques hommes d’intelligence et de cœur, se réunissant pour essayer d’endiguer l’impétueux torrent, pouvaient-ils désormais être autre chose qu’une désignation pour l’échafaud ?

Montmorin va chercher sa famille à Theil; elle ne veut plus le quitter. Accusé de prévarication, lui l’intégrité et la générosité mêmes, il avait envoyé à la législative (17 avril 1792) les états de dépenses de son ministère. La lumière fut bientôt faite ; nous la ferions au besoin après lui. Ses réparations à Theil sont connues; les mémoires ont passé sous les yeux de ses implacables adversaires[8]. Le prix de son hôtel de la rue Plumet, acheté de la succession Beaumanoir le 28 mai 1784, moyennant 220,000 livres, n’avait été soldé qu’au moyen d’un emprunt. Néanmoins les soupçons de concussion étaient répandus. Une visite avait été pratiquée au château par la municipalité de Sens. L’homme d’affaires, le fidèle Peyron, dont il est parlé dans la correspondance de Joubert, avait pris le parti d’ouvrir désormais devant les délégués de l’autorité municipale toutes les caisses qui venaient de Paris. Une note indique que le papier peint destiné à la chambre à coucher de Mme de Beaumont était l’objet d’observations et avait paru suspect.

Montmorin prévoyait le sort qui l’attendait; sollicité de passer en Suisse, il s’y refusa avec obstination. Il disait au comte de La Marck, le 19 avril : « Dès que la guerre sera commencée, il faut s’attendre à toutes les inquisitions imaginables. Les accusations se multiplieront contre tous ceux dont on voudra se de faire. Les premiers momens seront durs pour les honnêtes gens. Dieu veuille que le roi et la reine n’en soient pas les victimes ! »

La guerre était commencée. Dumouriez avait quitté le portefeuille des affaires étrangères pour commander l’armée du Nord. Le dernier effort de La Fayette lui-même ne devait pas réussir. La garde nationale l’abandonnait et sa mise en accusation était à la veille d’être demandée. Les ministres se succédaient les uns aux autres, tous plus faibles devant l’assemblée. C’était sous le ministère de M. de Narbonne que le dernier acte politique de Montmorin s’était accompli. Il avait obtenu de Louis XVI le désaveu officiel des armemens faits en son nom par les princes ses frères; mais ni ses proclamations, ni ses lettres, n’avaient produit d’effet. La mission secrète du baron de Vioménil et du chevalier de Coigny, envoyés à Coblentz pour témoigner aux émigrés la désapprobation royale, avait excité au plus haut degré leurs colères contre Montmorin. Considéré par eux comme jacobin, et sur les bancs de la législative comme aristocrate, il put, sans se tromper, répondre à Bertrand de Molleville, qui l’engageait à se pourvoir de papiers pour sa sûreté : « C’est un passeport pour l’autre monde qu’il me faudrait. Toutes ces précautions sont inutiles ; quoi que je fasse, je n’échapperai pas aux gens qui m’en veulent. Je suis sûr d’être assassiné dans moins de trois mois. »


II.

Montmorin s’obstinait à ne pas abandonner Louis XVI, et il restait à son poste d’honneur, comme une sentinelle perdue. Malouet, Bertrand de Molleville et lui formaient, sans qualité, une sorte de conseil affectueux et résolument dévoué. Ils ne pouvaient pas être longtemps à l’abri des délations.

On répandait partout le bruit de l’existence d’un comité autrichien. Tous les pièges étaient tendus pour donner de la consistance aux méfiances surexcitées. Au commencement de mai 1792, Bicher de Serizy se rendit chez Begnault de Saint-Jean-d’Angély, son collègue à la législative, et le pria, au nom de la princesse de Lamballe, d’assister à un comité chez elle le vendredi, à six heures du soir. Il ajouta que Malouet, Bertrand et Montmorin s’y trouveraient. Regnault était dupe d’une perfidie[9]. Il ne s’en aperçut pas; ses doutes sur l’existence du comité autrichien disparurent ; et sa dose de vanité fut suffisante pour lui faire considérer l’invitation comme la chose la plus naturelle. Il courut chez Malouet, qui lui répondit : « Je ne connais pas Mme de Lamballe et je ne suis d’aucun comité. — Ce n’est pas un comité public, reprit Regnault, mais un comité qui se tient secrètement chez la princesse; elle m’a fait l’honneur de m’y inviter. — Je vous proteste, répliqua Malouet, que tout ce que vous me dites est absolument nouveau pour moi je n’ai jamais mis le pied chez la princesse de Lamballe ; à peine la connais-je de vue, et je ne suis d’aucun comité. — Que dois-je donc penser, repartit Regnault, du message que j’ai reçu de Richer de Serizy? — Je présume, répondit Malouet, que c’est une plaisanterie, ou qu’on a voulu vous tendre un piège, et je vous conseille de vous tenir sur vos gardes. » Ils se quittèrent : Malouet alla raconter à Bertrand de Molleville cette aventure ; ce dernier fit partir un courrier pour Anet, où se trouvait la princesse de Lamballe, et l’informa de ce qui se passait. Elle lui répondit qu’elle ne connaissait même pas Richer de Serizy et Regnault de Saint-Jean-d’Angély. De quel comité politique pouvait être cette insouciante jeune femme? Montmorin avait cru sage de mépriser jusqu’alors les clameurs et les faiseurs de motions. Mais une accusation formelle le fit sortir de son flegme habituel. Cette accusation émanait d’un journaliste, Carra, rédacteur des Annales patriotiques. Il articulait nettement le crime de trahison contre Bertrand de Molleville et Montmorin, et il invoquait à l’appui les témoignages de Merlin, de Bazire et de Chabot. Montmorin et Bertrand déposèrent une plainte en diffamation entre les mains du juge de paix de la section Henri IV. Cet honnête et courageux magistrat a mérité de ne pas être oublié. Il se nommait La Rivière. Il ouvrit une enquête. Les trois députés désignés reconnurent l’exactitude de la déclaration de Carra. Le juge de paix se présenta alors à la barre de l’assemblée (18 mai 1792). Il demandait que le comité de surveillance lui remît tous les titres, notes et renseignemens qu’il pouvait avoir. Une discussion s’engagea. Bazire attaque la plainte comme étant nulle en sa forme, parce que les plaignans s’étaient qualifiés ministres d’état. La législative passe à l’ordre du jour, sur une observation de Dumolard, réclamant justice pour tous. Le lendemain, 19 mai, Romme dénonce le juge de paix, qui venait de décerner un mandat d’amener contre Bazire, Chabot et Merlin. Tous les trois protestaient contre l’atteinte portée à l’inviolabilité parlementaire. La Rivière se rend de nouveau à l’assemblée, et déclare qu’aux termes de l’article 8, section V de la constitution, tout citoyen devait répondre quand il était interrogé, au nom de la loi et que le mandat d’amener n’était qu’une mesure de procédure et de police. Louis XVI, prévenu par Montmorin, intervient alors dans une lettre lue à la tribune par Duranthon, garde des sceaux, lettre qui sollicité les députés à accomplir leur devoir avec impartialité. La colère de l’assemblée est à son comble. Guadet, appuyé par Lasource, n’hésite plus et propose la mise en accusation du juge de paix. Genty proteste vaillamment, mais est accueilli par les cris : « A l’Abbaye! à l’Abbaye. » La motion, malgré lui, est adoptée au milieu des applaudissemens. Le malheureux La Rivière est transféré à Orléans; il devait, le même jour que de Lessart et Brissac, être égorgé par la bande de Fournier l’Américain. « Encore, comme disait Malesherbes, après sa condamnation, encore si cela avait le sens commun[10]! »

Avoir l’acharnement de cette éloquente et idéaliste Gironde contre un magistrat intègre, à lire ces discours enflammés contre Montmorin, on reconnaît que les imaginations troublées par une méfiance absolue, au moment où la guerre mettait en jeu l’existence de la nation, ne voyaient dans les constitutionnels, parce qu’ils étaient attachés au roi, que des ennemis irréconciliables. L’issue de ces accusations acceptées sans contrôle et qui étaient dans l’air n’était plus douteuse. Montmorin courait avec intrépidité à la mort.

Dans la séance du 20 mai, Gensonné et Brissot avaient dénoncé encore le comité autrichien. Deux jours après, les débats solennels commencent; c’est Gensonné qui parle le premier. « J’ai demandé la parole sur la lettre du roi, dit-il, parce que l’ordre donné au ministre de la justice et transmis par lui au commissaire près le tribunal de Paris m’a paru violer la constitution et la loi, et qu’il est de votre devoir de rappeler à leur exacte observation tous les fonctionnaires publics qui tenteraient de s’en écarter. Cette démarche qu’on a fait faire au roi, l’ordre donné au ministre de la justice, l’invitation au corps législatif de se dessaisir des pièces relatives aux conspirations, les rapports de cette démarche avec l’accusation intentée par les ex-ministres Bertrand et Montmorin, avec la conduite du juge de paix La Rivière, ne peuvent laisser aucun doute sur l’obsession qu’exercent encore sur l’esprit du roi les agens de cette conspiration que depuis longtemps l’opinion publique a désignée sous le nom de comité autrichien. » Malgré le talent puissant de Gensonné, l’assemblée était en majorité indécise, lorsque Brissot, l’ennemi personnel de Montmorin, prit la parole pour préciser les faits. Il faut lire son discours tout entier dans le Moniteur. L’accusation y est développée avec art et perfidie : il cite la correspondance diplomatique avec M. de Noailles, ambassadeur à Vienne; il isole les phrases, il isole même les mots; dans la lettre du 3 août 1791, il extrait un fragment; il ne le réunit pas à la lettre entière pour en juger l’esprit; il le subdivise au contraire en petites parties, qu’il détache pour les commenter séparément. Sans hésiter, il transforme en ennemis de la révolution ses premiers chefs, en ennemis de la constitution de 91 ses principaux auteurs. Il se souvient des tablettes de Zadig, dont les fragmens mal rapprochés pouvaient offrir un sens coupable. Il essaie de cet artifice sur la correspondance de Montmorin ; il prend une ligne dans sa lettre du 3 août, une autre ligne dans sa lettre du 19 septembre, et il compose ainsi une phrase qu’il récite sans interruption, invitant bien à en peser les mots ; il en altère même la signification; et Montmorin ayant écrit qu’il ne voulait faire ni l’apologie, ni la censure des nouveaux principes dont l’empereur d’Autriche redoutait l’expansion (lettre du 3 août, pages 31 et 32), Brissot lit : « Je ne ferai ni l’apologie ni la censure des pouvoirs nouvellement créés. » En avançant dans l’examen de cette dénonciation, on frémit de voir sur quelle légèreté est fondé un décret d’accusation. Brissot dit-il, par exemple, que Montmorin s’opiniâtrait à conserver dans leurs places des personnages hostiles, tels que M. de Castelnau, résident de France à Genève ; on fouille les pièces et l’on voit que ce poste a été supprimé en 1791. Brissot reproche-t-il à Montmorin d’avoir laissé dans l’oubli le patriote Genêt, chargé d’affaires à Saint-Pétersbourg ; on apprend que le ministre lui a au contraire accordé une gratification et qu’il a été ensuite envoyé en Hollande.

L’assemblée, au surplus, ne fut pas convaincue. Kersaint, ayant demandé qu’on mît aux voix le décret d’accusation, la motion fut rejetée ; l’impression des discours de Gensonné et de Brissot, avec les pièces certifiées conformes, fut ordonnée; et l’affaire fut renvoyée aux comités réunis de diplomatie, de surveillance et des douze.

Dans la séance du 28 mai, Chabot annonce que Montmorin s’est embarqué à Boulogne-sur-Mer avec la princesse de Lamballe et M. de Caraman. Gensonné aussitôt s’écrie de son banc : « La fuite de Montmorin doit prouver pour quels motifs les personnes qui ont voté l’ajournement semblent en ce moment si empressées d’entendre le citoyen Chabot. » La nouvelle était fausse : Montmorin publie une lettre dans laquelle il déclare courageusement qu’il n’a point et n’aura jamais le dessein de quitter la France, et qu’il ne quittera même point Paris avant que l’assemblée ait approfondi la dénonciation lancée contre lui. Chabot fait alors des excuses, mais promet de prendre sa revanche. Cependant les discours et les annexes, dont l’impression avait été ordonnée, sont distribués. Dans la séance du 2 juin 1792, le représentant Mayern se plaint de ne trouver dans les pièces justificatives que des fragmens de lettres, fragmens façonnés avec art, ajoute-t-il, et accommodés à la dénonciation. Le même jour, Montmorin fait remettre à la législative un mémoire en réponse à ses accusateurs. Il avait fait imprimer lui-même, en totalité, les pièces dont les extraits avaient servi de fondement au réquisitoire de Brissot. Citées pour prouver des crimes, elles n’attestent que des services. Partout, dans cette correspondance, le ministre justifie les mesures prises par l’assemblée nationale, proteste au nom de son énergie et de sa prudence, ne parle des princes émigrés que pour désavouer, au nom du roi, toutes leurs démarches, dissuade l’empereur de faire des tentatives pour rendre au monarque son ancienne autorité, annonce qu’elles seraient sans objet, prévient qu’elles seraient d’ailleurs sans succès et qu’on augmenterait la fermentation générale. Il représente qu’aucune puissance étrangère à la France ne peut y changer l’ordre de choses établi, qu’on peut dompter facilement un parti, mais non pas une nation nombreuse, exaltée et puissante. Montmorin voulait conserver la paix et l’alliance de l’Autriche; il voulait maintenir le traité de 1756 conclu contre la Prusse. Brissot et ses amis désapprouvaient passionnément cette politique. Ils en avaient le droit, mais, comme répondait Montmorin : « Tout ce que cela prouve, c’est que M. Brissot regarde comme criminels de haute trahison ceux qui ne pensent pas comme lui. » Le mémoire se terminait ainsi : « La seule faveur qui me reste à demander à mes lecteurs, c’est de vouloir bien lire les pièces entières de ma correspondance, et de me juger d’après l’impression qu’ils recevront de cette lecture. »

L’impression fut, en effet, profonde; lorsque le surlendemain, Chabot, au nom des comités, donna communication de son rapport, lorsqu’il essaya de répandre des doutes, même sur la fidélité de Rochambeau, de Dillon, de La Fayette, les murmures d’indignation le forcèrent à supprimer des pages entières. Comme conclusion à ce long débat sur le comité autrichien, l’assemblée se contenta de renvoyer les nouvelles pièces énoncées dans le rapport, à l’examen des comités compétens.

Montmorin pouvait se croire sauvé. Pour assurer son repos à la campagne, il avait fait distribuer dans l’Yonne par l’intermédiaire de Peyron de nombreux exemplaires de sa défense. A Paris, un homme de cœur, l’ami de sa fille Pauline, François de Pange, s’était hardiment jeté dans la mêlée. Après une vive polémique avec Brissot, le jour même où il montait à la tribune pour accuser Montmorin, François de Pange, dans le soixante-quinzième supplément du Journal de Paris, lui adressait cette philippique : « Vous allez prouver à l’assemblée, dites-vous, l’existence du comité autrichien? Au moment où l’Autriche est en guerre avec la France, ce mot ne peut désigner qu’une société d’ennemis publics. Le comité de surveillance a déclaré n’avoir pas les preuves de l’existence d’une telle société; mais vous vous êtes engagé à les fournir. Vos espions sont-ils donc meilleurs que les siens ? » Et le vaillant journaliste continue de flétrir, en citant ses phrases, l’ancien adulateur du roi. L’article finit par ces mots : « Je ne vous retiens plus, homme du 10 mars ; paraissez à la tribune ! »

Dès que le mémoire de Montmorin paraît, François de Pange prend la plume et signe à la fois, dans le numéro trente-six de l’Ami des patriotes et dans le quatre-vingt-cinquième supplément du Journal de Paris, une éloquente apologie de l’ancien ministre.

« Attaqué de la sorte (nous citons les dernières lignes), M. de Montmorin n’a pas eu de peine à se justifier; toutes ses réponses sont simples, parce qu’on n’a pas besoin d’emphase quand on dit la vérité; elles sont claires et courtes, et c’est dans cette discussion qu’on a vu, pour la première fois peut-être, la réplique de l’accusé être plus brève que l’écrit accusateur. — Brissot s’est présenté au combat avec de faibles moyens, mais il avait pour auxiliaire l’art d’interpréter et de noircir les plus secrètes pensées, celui de transposer les phrases, celui d’altérer les termes et surtout le courage cynique de mentir imperturbablement... Quand Brissot emploie tous les prestiges de la charlatanerie et toutes les ressources de l’imposture pour tromper et avilir l’assemblée nationale, pour faire jeter dans les fers et livrer peut-être à des bourreaux un citoyen irréprochable, je demande comment je dois qualifier ce J.-P. Brissot et quel délit il dénoncera jamais qui soit plus grave que le sien. — Je sais que, puisqu’il est député, la constitution le déclare inviolable et je n’appelle pas sur lui la vengeance des lois. Mais puisse au moins le mépris de toutes les âmes généreuses faire de ce vil tyran une éclatante justice ! Ce mépris vengeur est un sentiment libre qu’aucune loi ne saurait contraindre. Il est doux de l’exhaler sur les plus puissans coupables et de ternir ainsi leurs scandaleux triomphes. Il est juste d’en atteindre jusqu’à la tribune nationale l’orateur effronté qui la profane par des calomnies. »

Pour n’oublier aucun nom, parmi les amis de Montmorin qui le défendirent publiquement à cette heure difficile, rappelons aussi que Suard fit paraître dans les soixante-dix-septième et soixante-dix-huitième numéros du Journal de Paris un long article signé seulement de ses initiales, sur le prétendu comité autrichien et ses dénonciateurs.

M. de Toulongeon, dont l’ouvrage n’est que le témoignage d’un esprit modéré et honnête, mêlé aux premières scènes de ce drame, s’est trouvé à portée de recueillir des renseignemens précis. Il affirme qu’on a calomnié les intentions et les démarches de ces derniers conseillers de Louis XVI, Malouet, Malesherbes, Bertrand de Molleville, Montmorin. « Ils n’avaient, dit Toulongeon, d’autres mobiles que la constitution anglaise[11]. » Sans doute, son adaptation à l’état social de la France était devenue impossible; mais est-ce un crime de l’avoir tentée, et cet essai mérite-t-il les sévérités de l’histoire? Il en est plus d’un, dans cette rupture irrévocable entre le monde ancien et le monde nouveau, il en est plus d’un qui, resté sur l’autre rive, avait essayé de jeter un pont entre les deux sociétés séparées désormais par un abîme ; ne leur lançons pas d’outrages, car ils avaient gardé de la vieille France les qualités supérieures, délicates et chevaleresques. Pourquoi donc, sur l’interprétation isolée de deux lettres publiées dans la correspondance de Mirabeau et du comte de La Marck, accuse-t-on encore Montmorin de trahison? L’une de ces lettres, écrite de la main de Mme de Beaumont, est du 22 mai 1792; l’autre, dictée à un ami, est du 19 juin suivant. Depuis six mois, Montmorin n’était plus aux affaires étrangères; c’est au milieu des dénonciations les plus violentes qu’il continue d’instruire des faits quotidiens le comte de La Marck, suivant son habitude depuis plus d’une année. Les importantes correspondances publiées dans ces derniers temps n’ont apporté aucun argument à l’appui de ces jugemens de parti-pris ou insuffisamment fondés[12]. S’il est aujourd’hui démontré que, pendant toute la durée de son règne, Marie-Antoinette avait regardé le comte de Mercy comme son propre ministre, s’il est avéré qu’elle n’avait jamais oublié cette recommandation de Marie-Thérèse, au moment de leur séparation, de rester bonne Allemande ; il est non moins certain que Montmorin n’était pas instruit de cette double politique que représentait, notamment à Vienne, le baron de Breteuil, de cette politique qui fit directement appel à l’intervention armée des souverains, et qui avait pour mission confidentielle de démentir l’acceptation officielle de la constitution. Sans doute, quand la révolution eut elle-même engagé la guerre, quand la reine eut adressé à Mercy le billet du 26 mars 1792, qui contient le plan de campagne de nos armées, Montmorin ne croit pas le comte de La Marck un ennemi de la France et ne suspend pas des relations qui auraient dû, dès cette heure, prendre fin ; sans doute il donne à son confident les impressions de la cour, partageant avec elle cette courte vue qu’il suffira d’une promenade militaire pour sauver Louis XVI, et surtout Marie-Antoinette ; sans doute il ne croit plus qu’il y ait un autre moyen de relever la nation, et que « ce n’est pas en elle- même qu’elle peut trouver les ressources nécessaires pour sortir du précipice où l’ont jetée les fous et les enfans[13]. » Mais avoir la préméditation de trahir La Fayette, son ancien ami ! Une phrase, dans une lettre intime, ne suffit pas pour convaincre d’infamie : « Les nouvelles que nous avons ici de Coblentz sont que les émigrés seront employés. Si cela est, j’en serai très fâché. On ne saurait, selon moi, les mettre trop à l’écart pour agir. » Telle est sa pensée politique dominante. Le surplus, inspiré par la passion de voir la famille royale échapper à l’échafaud, peut être critiqué, blâmé, mais ne peut servir de fondement à la condamnation de l’histoire pour connivence directe avec les généraux autrichiens. Le comte de Montmorin, héritier d’un des noms les plus fiers de l’aristocratie, ne voulait ni sa disparition, ni son effacement dans le gouvernement. Il n’est certainement pas un des ancêtres de la démocratie moderne ; mais c’est un honnête homme, et l’un des esprits qui comprirent le mieux, aux débuts de la constituante, les nécessités d’une monarchie contrôlée et libérale. Nous subissons trop encore aujourd’hui, dès qu’il s’agit de la révolution, les défiances aveugles que le danger de la patrie expliquait alors, mais ne justifiait pas toujours.

III.

Deux mois nous séparent des massacres de septembre. La France entrait visiblement dans la république : c’était la conséquence de la guerre. Barnave, découragé et triste, avait pris congé de Marie-Antoinette ; il avait dit adieu à Montmorin avec les plus funestes pressentimens. Il se retirait dans le Dauphiné, attendant que le bourreau vînt l’y chercher.

La journée du 20 juin faisait prévoir celle du 10 août. Montmorin s’était mis en évidence; il était signalé comme ayant eu la main sur le pommeau de son épée, à côté du roi, pendant qu’on le coiffait du bonnet rouge. Les journaux l’attaquent, dès lors, avec une rage nouvelle. Il n’avait plus d’autre ambition, dans ces dernières semaines de la monarchie, que d’être un serviteur fidèle; cependant il rencontre La Fayette et échange avec lui quelques paroles désespérées. Après avoir expédié de son camp à l’assemblée une lettre où il attaquait à la fois le ministère Dumouriez et la société des Jacobins, le général était allé à Paris. Il avait paru à la barre, avait parlé de l’indignation de l’armée. Puis il avait rendu un dernier hommage au roi et à la reine, qui continuaient à ne voir en lui qu’un démagogue. La Fayette, méditant déjà son volontaire exil, était reparti pour la frontière.

La vie de la famille royale étant l’unique préoccupation de Montmorin, il s’était assuré le dévoûment de M. de Liancourt, commandant à Rouen quatre régimens, et, de concert avec Malouet, il avait arrangé avec l’ordonnateur de la marine au Havre, M. de Mistral, l’armement d’un yacht destiné à porter en Angleterre Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfans. L’intendant de la liste civile, Laporte, avait remis au roi une lettre explicative de Malouet. On ne put en tirer toujours que ce mot : « L’affaire de Varennes est une leçon ; nous verrons. » Lorsque Laporte transmit ce dernier refus : « Allons, s’écria Montmorin, il faut en prendre notre parti ; nous serons tous massacrés, et ce ne sera pas long. »

Paris était tout entier debout depuis les premiers échecs de nos armées: les enrôlemens volontaires commençaient, les défilés des sections se succédaient avec enthousiasme. Le manifeste du duc de Brunswick, bien loin d’affaiblir l’esprit public, l’excitait. De quelle utilité pouvaient être désormais les réunions à l’hôtel de la rue Plumet? Lally, Clermont-Tonnerre, La Tour du Pin, Bertrand de Molleville y venaient, et aussi Malesherbes, et enfin Gouverneur-Morris. Ils étaient instruits en détail de tous les préparatifs du 10 août. Montmorin, infatigable de cœur, avait écrit au roi pour lui en faire part; il lui disait qu’il n’y avait plus à reculer, que soixante-dix amis résolus se trouveraient, avec des chevaux, aux Grandes-Écuries. Ne recevant pas de réponse, Montmorin s’était une dernière fois glissé au château. Madame Elisabeth, trompée, lui assurait que l’insurrection n’aurait pas lieu, que Santerre et Pétion s’y étaient engagés. La résignation était de plus en plus la forme du courage de Louis XVI.

Le même soir, après le souper, ce groupe d’hommes distingués et sans force était réuni dans le jardin de M. de Montmorin, discutant tristement toutes les chances de la situation. Malesherbes s’écria : « Je ne vois plus qu’une mesure de désespoir. Le roi s’étant interdit tout autre moyen de défense, il ne peut plus être question que de le préserver des assassins. Le parti révolutionnaire est armé contre lui, parce qu’il le suppose armé contre eux, et vous voyez quelles sont nos armes, puisque Sa Majesté se refuse à tout. » Malesherbes en était là, raconte Malouet, lorsqu’on vit arriver un domestique des Tuileries avec un paquet pour Montmorin. Le roi lui envoyait une lettre de Guadet et de Vergniaud, et une autre du premier valet de chambre Thierry.

La généreuse Gironde, républicaine pourtant, faisait une tentative pour sauver la tête de Louis XVI en amenant son abdication. Elle proposait la régence de Louis XVII, avec un conseil nommé par l’assemblée. Le projet était irréalisable; il était d’ailleurs repoussé par Marie-Antoinette. Montmorin pensait que si Louis XVI persistait à se refuser à tout projet d’évasion, l’acceptation de la proposition des Girondins, malgré l’humiliation personnelle qui suivrait son exécution, était peut-être la seule ressource.

On possède le procès-verbal, écrit de la main de Lally-Tollendal, d’une autre séance tenue le 4 août dans ce même jardin, entre les mêmes amis[14]. Chacun rendait compte de ce qu’il avait découvert; Lally avait reçu une lettre anonyme, dans laquelle on lui racontait une conversation chez Santerre ; on y annonçait le projet de marcher sur les Tuileries, de tuer le roi dans la mêlée, de s’emparer du prince royal. Au moment où les confidences touchaient à leur fin, accourut Malesherbes. Il venait presser Mme de Montmorin et Pauline de Beaumont de se retirer à la campagne. La crise approchait et Paris n’était plus la place des femmes. Elles ne voulurent pas partir. Elles songèrent à demander asile à Mme de Nanteuil, rue Neuve-des-Mathurins. Seule, Mme de La Luzerne se rendit pour quelques semaines à Luciennes. Calixte avait donné sa démission d’officier de l’armée active et entrait, comme garde national, dans le bataillon royaliste des Filles-Saint-Thomas. Ce même jour, 4 août, le Mémorial de Gouverneur-Morris indique qu’il se rendit chez Montmorin et qu’il le trouva profondément abattu[15]. Montmorin tenta encore de causer avec le roi; on le renvoya à M. de Montciel, qui s’occupait aussi d’une sortie. Montmorin lassait Louis XVI de son attachement.

Le 10 août arriva. La veille, il y avait eu un dernier lever à la cour pour les derniers fidèles. Lorsque l’attaque commença, averti par le canon et le tocsin, Montmorin sortit à pied de son hôtel avec sa femme et Pauline. Il se réfugia d’abord rue de Grenelle, chez la marquise de Nesle. Ne se jugeant pas en sûreté, il chercha un autre refuge, le lendemain, chez Mme de Nanteuil. Elle le confia à sa nourrice, Hélène Leclerc, femme de Pierre-Louis-Mary Gazier, rue Faubourg-Saint-Antoine, n° 128.

Des pièces signées Montmorin avaient été trouvées dans le sac des Tuileries. Le 16 août, une visite domiciliaire fut opérée rue Plumet ; les scellés furent apposés. Fauchet avait déjà proposé sa mise en accusation. Blotti tout le jour au fond d’une chambre, Montmorin ne sortait que la nuit pour acheter des journaux, ou pour remettre dans un endroit convenu d’avance des lettres émouvantes qu’il écrivait à sa femme, à sa fille. Quelques fragmens en sont conservés aux Archives, reliques précieuses et qu’on ne touche qu’avec émotion. On voit que, sous l’adresse de M. Barruel, ancien précepteur des enfans, les billets pouvaient quelquefois s’échanger[16].

On nous permettra de citer quelques lignes de Mme de Beaumont, datées du 15 août. Les noms sont dissimulés de peur d’une surprise ou d’une trahison. « Mille et mille remercîmens du petit mot que vous m’écrivez, veuillez le renouveler tous les jours. Les nouvelles des gens qui me sont chers sont plus nécessaires à mon existence que l’air que je respire. Parlez de moi à ceux qui m’intéressent. Sans mes deux acolytes (sa mère et son frère) je serais auprès d’eux. (Elle n’ose nommer son père.) Je les aime bien tendrement. Adieu, je ne puis vous en dire davantage. Je vous demande, à mains jointes, un mot tous les jours. » « ma charmante souveraine, répond le pauvre père du fond de sa cachette, combien il me tardait de vous écrire! Votre joli petit billet m’a tant fait de plaisir ! Ne nous laissons pas abattre, ne parlez pas de moi à l’étourdy. » Un autre billet est à l’adresse de son secrétaire, M. Lemoinne. Enfin, dans un autre, le dernier, on lit ces mots : « De vos nouvelles, je vous en prie, et de celles de nos amis Trudaine. » Souvenir des temps fortunés et des soirées de la place Royale ! On savait Montmorin traqué comme une bête fauve et le comte de Mercy-Argenteau écrivait de Spa au prince d’Arenberg : « Je suis en peine de M. de Montmorin; mais, à en juger par l’énoncé des derniers journaux, il pourrait encore échapper à ses assassins[17]. »

Il ne put leur échapper. On le découvrit par l’imprudence de son hôtesse. Dans ce temps de disette et de pauvreté, elle achetait les plus belles volailles, les meilleurs fruits et les portait chez elle sans précaution. On soupçonna bientôt qu’elle recelait un aristocrate. Cette conjecture se répandit parmi la populace du quartier, presque toute composée d’agens des jacobins. Peltier prétend que l’indiscrète affection de Mme de Nanteuil éveilla aussi les soupçons : elle allait le voir et laissait sa voiture à une certaine distance[18]. Montmorin fut arrêté, au moment où il s’y attendait le moins, le 21 août 1792. On trouva sur la table quelques journaux, le Logographe, journal du soir, les Débats, le Patriote français, deux assignats de 50 livres et soixante-cinq de 5 livres. En le fouillant, on saisit une fiole d’opium, suprême recours dans un moment de désespoir.


IV.

Il ne se fit pas illusion sur l’issue du combat, et voulut néanmoins se défendre pied à pied. Interrogé d’abord par le comité de sûreté générale sur le point de savoir s’il n’avait pas tenu un conseil secret sur les affaires publiques avec des membres de l’assemblée constituante, il s’expliqua avec une rare présence d’esprit. L’interrogatoire porta ensuite sur la politique étrangère depuis la révision de l’acte constitutionnel. Le mémoire publié à la suite des accusations de Brissot renfermait les principales justifications; Montmorin s’y référa. Sur la coalition des puissances étrangères et sur les mesures à prendre pour en prévenir l’effet, il répondit avec sa correspondance officielle; chacune de ses réponses fut nette, précise, et ne pouvait donner prétexte à accusation. Néanmoins l’assemblée l’appelle à sa barre; une confusion s’était faite entre l’ancien ministre et son cousin le marquis de Montmorin, gouverneur de Fontainebleau, et qui avait son appartement aux Tuileries. On allait jusqu’à attribuer au premier les ordres donnés aux Suisses dans la journée du 10 août; il n’eut pas de peine à expliquer cette confusion de noms. L’interrogatoire ne prit d’intérêt que lorsqu’il fut dirigé par Brissot et Gensonné. On comprend aux premières paroles qu’un duel à mort est engagé[19].

Nous ne citerons que les questions essentielles :

« BRISSOT. — J’observe à M. de Montmorin que la correspondance de Vienne des mois de septembre et octobre de 1791 annonce que l’empereur et le roi de Prusse s’étaient ligués contre la France; que l’un et l’autre auraient prêté des sommes considérables aux frères du roi, qui les empruntait en son nom et pour se rétablir dans ses anciens droits ; que cependant M. de Montmorin, dans son discours du 31 octobre, a caché tous ces faits à l’assemblée nationale. Je demande pourquoi,

« MONTMORIN. — La correspondance annonçait une convention entre les cours de Vienne et de Berlin ; le motif en était la détention du roi. Je prévins à plusieurs reprises le comité diplomatique de l’assemblée constituante. Sur mes provocations, l’on hâta les armemens. Lorsque j’eus l’honneur de parler à l’assemblée constituante, le 31 octobre, à l’occasion de ma démission, les choses avaient changé de face. L’empereur, qui avait provoqué la coalition par une circulaire dont je n’ai eu connaissance que par les papiers publics, l’empereur avait, par une autre circulaire, écrit aux mêmes puissances de suspendre l’effet de la première. Il avait même répondu à la lettre par laquelle le roi lui annonçait l’acceptation de la constitution, qu’il n’existait à cette époque aucun mouvement extraordinaire de troupes. J’ai donc dit la vérité lorsqu’on quittant le ministère, au mois d’octobre, j’ai annoncé à l’assemblée que nous avions des espérances de paix fondées. »

Gensonné, voyant que Montmorin peut être sauvé, intervient alors et lui demande comment, ayant été ministre des affaires étrangères jusqu’au 31 octobre, il a pu ignorer que les sollicitations des princes français auprès des puissances étrangères se faisaient au nom du roi et de concert avec lui.

« MONTMORIN. — Les sollicitations des princes français n’ont commencé à être réellement très vives qu’en juillet et août 1791. Je savais bien que c’était pour le roi qu’ils sollicitaient; je n’ai jamais su qu’ils aient pris son nom et je me plaignis amèrement, dans une dépêche à la cour de Vienne, de ce que l’on avait accueilli une intervention de leur part pour laquelle ils étaient absolument sans titre.

« GENSONNE, s’adressant au président de l’assemblée, Lacroix, — Je vous prie, monsieur le président, d’observer à Montmorin qu’il est convenu dans une de ses réponses qu’en juillet et août derniers, les sollicitations auprès des puissances étrangères étaient très vives. Montmorin, dans son dernier compte-rendu, a bercé la nation par de fausses espérances de paix rejetées sur la prétendue exagération des journaux et des sociétés populaires. La mauvaise humeur des puissances ennemies jette encore les fondemens d’un système de trahison que la cour a ouvertement suivi depuis cette époque et que les papiers trouvés dans le secrétaire du roi ont complètement dévoilé. »

Ces papiers, que l’on connaît aujourd’hui, absolvent Montmorin en prouvant sa bonne foi; il n’était pour rien dans les intrigues secrètes des Tuileries; aussi sa réponse à la question posée par Gensonné est-elle concluante : « Je dirai d’abord qu’à l’époque du mois de juillet, les sollicitations des princes français devinrent vives, et que la position dans laquelle se trouvait le roi paraissait faire accueillir ces sollicitations avec quelque succès : après l’acceptation de la constitution, j’ai dû croire qu’il allait en résulter un nouvel ordre de choses. Nos agens, qui avaient été repoussés jusqu’alors, furent écoutés comme ils l’avaient été précédemment. Ils annonçaient les dispositions des cours où ils étaient envoyés comme pacifiques; ils peignaient même les cours comme soulagées de n’avoir plus à se livrer à une guerre. L’on ne saurait taxer de pusillanimité les dernières dépêches que j’ai écrites à Vienne. Elles étaient de nature à forcer cette cour à s’expliquer. J’ai dit ce qui existait alors. Je pourrais alléguer une preuve bien positive, c’est qu’aujourd’hui même que la guerre existe depuis le mois d’avril, à peine les préparatifs des puissances étrangères sont-ils achevés. »

L’interrogatoire terminé, Lasource, chargé de dresser le rapport au nom des comités, propose que le marquis de Montmorin, le gouverneur de Fontainebleau, soit mandé sur-le-champ afin que les deux cousins n’aient pas le temps de se concerter. « Il y a encore un Montmorin, vieillard de quatre-vingt-sept ans, qui habite Le Havre, » reprend ironiquement l’ancien ministre des affaires étrangères. Lasource baissa la tête. A la séance du soir, 23 août, le marquis de Montmorin est, en effet, introduit; on avait trouvé dans son appartement au château, après le pillage du 10 août, le manuscrit du compte-rendu d’une conversation entre cinq ou six députés dont les noms étaient inconnus ; on avait de plus saisi les quittances de diverses sommes touchées de la liste civile pour des dépenses relatives aux faisanderies. On l’interrogea sur ces deux points; ses explications furent catégoriques et devaient écarter tous soupçons. Néanmoins, sur la proposition de Bazire, il fut conduit à l’Abbaye pour être traduit devant le tribunal criminel. Le marquis devait subir, à un jour d’intervalle, le même sort que son infortuné parent.

Les Mémoires de Soulavie nous apprennent un détail curieux[20]. Après avoir passé devant le comité de surveillance, l’ancien ministre était resté dans la chambre d’instruction sous la garde de deux gendarmes. Il aurait pu s’évader. Soulavie, occupé de recherches historiques, travaillait dans cette pièce; ils furent quelques instans seuls et leur conversation a été recueillie. Montmorin s’était tenu constamment debout; Soulavie lui offrit sa chaise.

« C’est la première marque de bonté que je reçois depuis mes malheurs, dit Montmorin.

« SOULAVIE, après quelques paroles de politesse. — Je n’aimais pas l’excès de la puissance royale sous l’ancien régime, ni la faiblesse du gouvernement avant la révolution.

« MONTMORIN. — Nos opinions se trouvent analogues. N’ai-je pas contribué à la liberté? N’ai-je pas, par un tendre attachement à Louis XVI, demeuré constamment à côté de lui? On ne connaît pas le roi; il est aussi innocent que je le suis. Je n’ai voulu la guerre de la France contre aucune puissance. Je la regarde comme la cause de tous nos maux. Cependant me voilà détenu. M. Brissot m’a attaqué hier bien injustement dans l’assemblée. M. Lasource, membre du comité, est chargé de faire un rapport. Ah! monsieur, si l’humanité a toujours sur votre cœur de l’influence, rendez-moi service de me faire connaître ici les griefs secrets de ces messieurs; je ne crains pas la mort, mais le sort de Mme de Montmorin,

« SOULAVIE. — Je suis étranger à toutes les opérations de ce comité.

« MONTMORIN. — Que me conseillez-vous et quel mal pensez-vous que Brissot puisse me faire?

« SOULAVIE. — Tous les maux qu’il pourra. Il sait ce que vous avez fait : ennemi de tous les ministres des affaires étrangères, de Vergennes, de Montmorin, de Lessart, de Chambonas, de Dumouriez, il les croit tous instruits de ses aventures; il ne s’est cru en repos que lorsqu’il a eu placé un ministre des affaires étrangères de son bord. Vous êtes mal gardé ; vous n’avez en ce moment-ci qu’un seul militaire, je vous exhorte de vous évader.

« MONTMORIN. — M’évader après la séance de l’assemblée c’est m’exposer à être massacré. La prison est pour moi un asile que je préfère. Que pensez-vous que tout ceci pourra devenir? « SOULAVIE. — L’ennemi approche; je ne crois pas le roi en sûreté.

« MONTMORIN. — L’infortuné monarque est perdu; je ne vois qu’un moyen de le rétablir un jour : c’est une déclaration de la république; cette déclaration seule peut sauver le roi. Cette république sera terrible contre l’ennemi; elle sauvera le territoire intact; elle sera déchirée par les factions intestines. La révolution se purgera ainsi de ses immondices. Vous avez vu au 14 juillet La Fayette et d’Orléans se brouiller. Peu de jours après, vous avez vu le parti de Mirabeau et de Lameth se diviser. Les jacobins et les feuillans étaient frères avant la révision. Les jacobins, à l’époque de la déclaration de guerre, se sont encore divisés en parti de Robespierre et en parti de Brissot. C’est l’âme de la révolution que la scission et le trouble... Terminons la conférence par un service signalé que vous pouvez me rendre. Je suis dans des peines cruelles sur Mme de Montmorin. Dans quelles souffrances l’interrogatoire de l’assemblée nationale ne l’aura-t-il pas jetée? Faites-moi la grâce de passer chez elle. Elle demeure au milieu de la rue Neuve-des-Mathurins. Elle sera glacée d’effroi en voyant arriver du comité quelqu’un de ma part; mais dites-lui un mot qui la rassurera, c’est que je me porte bien.

« SOULAVIE. — Je vous demanderai, de mon côté, une autre grâce. Vous n’avez rien pris depuis vingt-quatre heures; je sors et je vais vous faire servir à dîner.

« MONTMORIN. — Je resterai encore dans cet état, n’ayant aucun besoin.

« SOULAVIE. — Afin que vous mangiez sans crainte, j’irai chercher le dîner moi-même.

« MONTMORIN. — Vous ne pourriez plus me rendre aucun service, car votre pitié vous rendrait très suspect, et je désire de vous que les pièces de mon ministère soient par vous remises au comité. Convaincu de mon patriotisme, je ne balance pas à faire cette proposition.

« SOULAVIE. — Je ne puis toucher aux papiers du comité, mais les voilà dans ce coin. Qui vous empêche de les mêler comme un jeu de cartes? Les députés s’occupent bien de papiers! Ils sont ici pendant deux ou trois heures occupés à se quereller; après quoi, ils paraissent à l’assemblée et coulent la journée avec des femmes ou dans les plaisirs. Dans le moment actuel, il s’élève une rivalité entre eux et la municipalité. C’est ce qui pourrait vous arriver de plus heureux.

« MONTMORIN. — Soyez patriote, monsieur; vous serez pour moi un défenseur officieux bien précieux. Abandonné de toute la terre, égaré et fugitif dans Paris, arrêté et conduit à ce comité, la Providence vous a envoyé pour me sauver, et vous le pouvez en calmant les esprits du comité. »

Ainsi se termina ce colloque, curieux à consulter pour qui veut juger équitablement Montmorin. Le soir même, Soulavie rendit visite à la comtesse; il la trouva mourante de désolation et de terreur dans son lit. « Je ne suis pas Mme de Montmorin, lui dit-elle, craignant une embûche, mais je lui ferai porter les nouvelles que vous me donnez de son mari. » Soulavie, ému par tant de douleur, se retira sans insister pour la convaincre de son identité.

Le 31 août, Lasource lisait son rapport à la législative; il concluait, au nom des comités réunis, à la mise en accusation. Le seul grief retenu était le silence gardé par le ministre vis-à-vis des mouvemens et des desseins des princes rebelles. Tous les prétextes n’étaient-ils pas bons pour se débarrasser de l’ami du roi? Ce n’était pas impunément que Montmorin avait répondu un jour à Brissot que sa méchanceté et sa générosité lui étaient également indifférentes. Brissot ne lui pardonnait pas. En attendant le jugement, on conduisit Montmorin dans les cachots de l’Abbaye. Est-il vrai qu’il obtint que son fils Calixte vînt partager sa captivité? Est-il vrai qu’il écrivit une lettre suppliante à Danton? M. de Lamartine énonce ces faits, mais nous n’en avons pas trouvé de preuve. Est-il vrai enfin que, désespéré de la justice des hommes et n’ayant plus sur lui le poison qu’il avait emporté dans sa retraite de la rue Saint-Antoine, Montmorin brisa à coups de poing une table de bois de chêne? N’y a-t-il pas eu une confusion avec son cousin? L’éditeur des Mémoires sur les journées de septembre donne cet acte de colère comme certain, et l’attribue au père de Pauline de Beaumont.

Nous sommes arrivés au jour néfaste. C’est le 2 septembre[21]. Les nouvelles des armées françaises étaient mauvaises. L’ennemi était à quarante lieues de Paris. Verdun venait de capituler, Longwy était pris; on entendait de nouveau de toutes parts cet effrayant tocsin dont le souvenir était resté gravé dans les âmes depuis la nuit du 10 août. Les officiers et les soldats qui s’étaient rendus ce jour-là au peuple et qui avaient été mis sous la protection de la nation sont d’abord massacrés. On vient prendre Montmorin dans sa prison et on le met en face de ce tribunal qui s’était installé sur le lieu du crime. Maillard présidait. Montmorin déclare aussitôt qu’il ne reconnaît pas de pareils commissaires pour ses juges, qu’ils n’avaient été nommés par aucune loi, que l’affaire pour laquelle il était détenu était soumise à la décision d’un tribunal régulièrement constitué, et qu’il espérait bien que sa décision changerait l’opinion que le peuple avait de lui. Jusqu’à la dernière minute de sa vie, sa conscience s’élevait ainsi contre ses dénonciateurs. Un des acolytes de Maillard interrompt brusquement le prisonnier et dit : « Monsieur le président, les crimes de Montmorin sont connus; mais, puisqu’il prétend que son affaire ne nous regarde pas, je demande qu’il soit envoyé à la Force. — Oui, oui, à la Force ! » crient à la fois tous les juges. Est-il bien sûr qu’un éclair de joie ait alors illuminé le visage de la victime et qu’elle ait espéré échapper aux mains des bandits? « A la Force! » était à la fois l’arrêt et le signal de mort. Le grand seigneur sardonique et dédaigneux se réveilla : « Monsieur le président, dit-il, puisqu’on vous appelle ainsi, je vous prie de me faire avancer une voiture. — Vous allez l’avoir, » lui répond froidement Maillard. Il fit un signe à l’un des assistans, qui sortit aussitôt pour avertir les assassins qu’ils allaient avoir un aristocrate de choix. Le misérable rentra dans la salle et dit à Montmorin : « La voiture est à la porte. » Montmorin réclame divers objets et des souvenirs qui étaient restés dans son cachot. Il veut les emporter. On lui répond qu’ils lui seront envoyés. Il sort, et Maillard écrit aussitôt en marge du registre d’écrou : Mort. Montmorin tombe à la porte au milieu d’une meute de forcenés. Ils se jettent sur lui, le renversent et le frappent à coups de sabre ou de pique. M. Ignace de Barante, dans ses notes inédites, raconte qu’au moment où on l’égorgeait, il mordit la main d’un des bourreaux, un nommé Cumont; un autre septembriseur, Boinnet, lui abattit les doigts à coups de hache et les mit dans sa poche pour les montrer dans tous les cafés du voisinage. Percé de coups en plein corps, tailladé et labouré de plaies, Montmorin respirait encore; les assassins alors l’empalèrent et le portèrent ainsi comme un trophée jusqu’aux portes de l’assemblée.

Telle fut la fin, nous pouvons dire tel fut le martyre du comte Marc de Montmorin Saint-Hérem, qui, le premier, fut ministre des affaires étrangères de la révolution.


V.

Mme de Montmorin avait tout appris. Les horribles détails de ce long supplice lui avaient été racontés; Pauline de Beaumont ne les ignora pas davantage. Elle partit avec sa mère, sa sœur et son frère pour Rouen, où M. de Liancourt les recueillit. Mais y séjourner fut impossible. La peur, l’image encore saisissante de la journée de septembre, et ce sentiment naturel qui porte dans ces heures d’infinie détresse ceux qui s’aiment à se réunir, déterminèrent la famille Montmorin à demander l’hospitalité en Bourgogne à leur voisin, à leur parent, le comte Mégret de Sérilly, ancien trésorier de l’extraordinaire des guerres, propriétaire du château de Passy-sur-Yonne.

L’hiver de 1793 se passa dans cette solitude[22]. François de Pange la traversa en fuyant la terreur. Quelques amis venaient la nuit, de Villeneuve ou de Sens, apporter des nouvelles ou des livres. Lombard de Langres ayant donné à lire à Mme de Montmorin les Contes moraux de Marmontel, aperçut, quand elle les lui renvoya, une note marginale écrite de sa main, dans laquelle elle priait Dieu de la faire mourir. Ses vœux allaient être exaucés, et de quelle façon ! L’infidélité d’un domestique attira sur Passy et ses hôtes l’attention du comité de sûreté générale institué par la convention.

M. de Sérilly avait un frère, Mégret d’Étigny, officier supérieur aux gardes françaises, qui se trouvait à Paris le 10 août. Un de ses amis, un de ses frères d’armes, le baron de Viomesnil, était de ceux qui avaient défendu l’épée à la main aux Tuileries la personne du roi. Blessé à la jambe d’un coup de feu, Viomesnil s’était traîné chez M. d’Étigny, rue Coq-Héron, n° 65; il y avait succombé à ses blessures quelques jours après. Lorsque le conventionnel Maure fut envoyé en mission dans le département de l’Yonne, une lettre d’un valet de chambre lui dénonça M. d’Étigny pour avoir donné asile au baron de Viomesnil. En même temps que cette dénonciation appelait sur le château de Passy les fureurs des terroristes, un autre incident analogue les attirait aussi sur une illustre famille de la même province.

Le comte de Brienne, frère du cardinal, était à Sens avec ses neveux. Maure apprend qu’un ancien officier des gardes du corps s’y trouvait. MM. de Loménie le connaissaient, et se crurent obligés d’aller lui rendre visite. L’entrevue fut amicale. La pitié était alors un crime. Ordre vint de Paris d’arrêter à la fois la famille Mégret et la famille de Loménie[23]. Le cardinal, l’ancien ministre, vivait encore. Seul des archevêques de France il avait prêté serment à la constitution civile du clergé. Le souverain pontife lui ayant enjoint par un bref de se rétracter, M. de Brienne s’était tenu pour insulté et avait renvoyé au pape son chapeau de cardinal. Il était descendu à présider le club des jacobins de Sens, le bonnet rouge sur la tête. Instruit du mandat d’arrêt qui ne faisait pas d’exception pour lui, il avala en se couchant une pastille de Cabanis dont il avait eu la précaution de se munir depuis le commencement de la révolution. Le lendemain on le trouva mort dans son lit. Le reste de la famille fut conduit à Paris et enfermé à la prison des Madelonnettes.

Les commissaires du comité révolutionnaire se transportèrent le lendemain au château de Passy. Ils y trouvèrent Mme et M. de Sérilly, Mme de Montmorin, ses deux filles, Mme de Beaumont et Mme de La Luzerne, et Hugues Calixte de Montmorin, son fils. Folle de frayeur, la vicomtesse de La Luzerne s’était précipitée dans sa chambre[24]. On ne put tirer d’elle aucune parole. Sa mère et son frère, à qui les commissaires demandèrent si elle était habituellement dans cet état, répondirent que, depuis un an, elle avait la tête égarée. Le chirurgien du bourg voisin, Edme Garnier, fut appelé et certifia que, depuis cinq semaines, elle avait le pouls faible et l’œil hagard[25]. On confisqua sur la jeune femme quelques lettres écrites en anglais par son mari, attaché à l’ambassade française à Londres, et qui n’avait pu rentrer. On trouva enfin dans le coffre de son secrétaire une casserole de cuivre où il y avait des clous de fauteuil et des anneaux de lit qui étaient tout rouillés. Quand on l’interrogea sur ses intentions, elle prononça d’une voix éteinte ces paroles: « J’ai voulu faire du vert-de-gris pour m’empoisonner, si je suis toujours malheureuse. » Les forcenés la laissèrent sous la garde de sa sœur, Mme de Beaumont, qui dut signer le procès-verbal.

Quand, le lendemain, les recruteurs de la guillotine voulurent transporter à Paris tous les hôtes du château, Mme de Beaumont se présenta : on ne voulut pas d’elle. Elle insista et monta dans la voiture ; sa pâleur, sa maigreur frappèrent les regards. Les agens de la convention, après une demi-heure de marche, jugèrent que cette ombre serait un embarras. Ils l’abandonnèrent sur la route à peu de distance de Passy.

Sa mère, sa sœur, son frère furent compris avec les Loménie de Brienne, dans l’affaire de la princesse Élisabeth. Le réquisitoire de Fouquier-Tinville commet les plus grossières erreurs. Il ne prenait même plus la peine de vérifier le nom et le domicile : ainsi Calixte Montmorin est indiqué comme domicilié à Passy, près Paris ; sa mère qui était une Tanne est appelée Tanesse ; elle est inculpée textuellement : « d’avoir été la femme du scélérat qui a trahi la France pendant toute la révolution et qui a subi la terrible vengeance du peuple; d’avoir été ainsi la complice de tous les crimes de son infâme mari. Enfin elle paraît (sic) avoir entretenu des correspondances avec le traître La Luzerne, son gendre. » Calixte Montmorin était, dit-on, au château le 10 août : « La preuve en résulte d’une arme qu’on a trouvée chez lui et qui servit ce jour-là à poignarder plusieurs citoyens; c’est une arme à deux dards, dont il avait été fabriqué alors une si grande quantité, et qui en même temps qu’elle était instrument de l’assassinat médité contre le peuple était aussi un signe de ralliement parmi les conjurés. Quant à la femme La Luzerne, elle a entretenu la correspondance la plus active et la plus suivie avec son mari. Les lettres existent, et la femme La Luzerne convaincue de ce délit, a cherché à prévenir le jugement que la loi a porté contre elle. »

La malheureuse ne s’était pas empoisonnée ; mais, atteinte d’une fièvre chaude, elle avait été transportée dans un hôpital de la prison Saint-Lazare ; elle y mourait la veille de l’exécution. Les lettres de son mari, écrites en anglais, n’avaient pas même été traduites et néanmoins avaient paru suspectes.

Tout est odieux et déchirant dans cet horrible procès. Mais l’héroïsme reparaît chez la mère et chez le fils. De même que le père avait été sardonique et hautain avec Maillard, la mère est sublime dans un mensonge devant le tribunal révolutionnaire; elle avait entendu avec bonheur prononcer son arrêt de mort. Dans ce moment terrible, elle trouva l’occasion d’acquitter envers Mme de Sérilly la dette de la reconnaissance. Mme de Sérilly s’était évanouie au prononcé de sa condamnation. Mme de Montmorin, voyant sa cousine tomber sans connaissance, dit au tribunal : « Messieurs, Mme de Sérilly vient de perdre la parole, elle ne peut vous dire son état ; moi, je vous déclare qu’elle est enceinte. » Et Mme de Sérilly fut transférée de la Conciergerie à la maison de l’hospice de l’Évêché. Elle n’en fut pas moins inscrite sur la liste des suppliciés. Son extrait mortuaire fut dressé. Lorsqu’après thermidor elle fut appelée en témoignage dans le procès de Fouquier-Tinville, elle apparut comme un fantôme, son acte de décès à la main[26]

Le soir même (21 floréal) à six heures du soir, l’exécution des condamnés eut lieu. Le bruit s’étant répandu dans Paris que Madame Elisabeth allait être conduite à l’échafaud, Mme Beugnot voulut se placer sur son passage afin de prier pour elle et de recevoir son dernier regard. Elle se rendit dans ce dessein au coin de la rue Saint-Honoré. Le sinistre cortège s’avançait. Il était ce jour-là composé de six charrettes. Mme Beugnot jette un coup d’œil sur la première. Qui voit-elle? Le comte de Brienne qu’elle connaissait et dont elle se sent reconnue. Elle s’évanouit. Pour raconter ces détails, un ami des Montmorin était là aussi dans la foule. C’était M. Lemoinne, l’ancien secrétaire du ministre. Il suivit les voitures jusqu’à la place de la Révolution. Dans la dernière étaient Mme de Montmorin et son fils. Quoique âgée de quarante-neuf ans à peine, Mme de Montmorin paraissait en avoir soixante. Ses cheveux avaient blanchi. Elle était calme et satisfaite de quitter ce monde. Calixte de Montmorin, debout, tête nue, tenait dans sa main un objet qu’il portait fréquemment à ses lèvres. Sa sœur Pauline, la confidente des premiers troubles de l’amour, lui avait vu emporter, au moment de l’arrestation à Passy, le petit ruban bleu que Mme Hocquart lui avait laissé dérober un soir à Luciennes. Il avait vingt-deux ans. Sa dernière pensée allait où il avait laissé son cœur. Quand les charrettes s’arrêtèrent, respectueux envers Madame Elisabeth, Calixte s’inclina devant elle. A chaque fois que le couperet de la guillotine descendait, il criait : « Vive le roi ! » avec un courageux domestique de la maison de Brienne, compris lui aussi dans la fournée. Dix-neuf fois il poussa le cri de : « Vive le roi! » Lorsque la vingtième victime monta les marches, il essaya bien de crier, mais, cette fois, le cri s’arrêta dans sa poitrine : c’était sa mère ! Calixte fut guillotiné après elle. Leurs corps furent enterrés à Mousseaux le même soir[27].

Le procès-verbal est conçu en ces termes : « Ils ont, en notre présence, subi la peine de mort à l’heure de six de relevée. Signé : Château. Enregistré gratis le 23 floréal an II. Signé: Judée. » Toute réflexion, tout commentaire affaibliraient la grandeur de ce drame. On s’explique maintenant comment Pauline de Beaumont répétait fréquemment ce verset de Job : « Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée au misérable, et la vie à ceux qui sont dans l’amertume du cœur? »


A. BARDOUX.

  1. Voyez la Revue du 15 juin et du 15 juillet.
  2. Correspondance de Mirabeau et de M. de La Marck, t. III.
  3. Voir Mémoires de Mallet du Pan, t. I, p. 248.
  4. Mémorial de Gouverneur-Morris.
  5. Archives nationales, papiers séquestrés.
  6. Ibid.
  7. Mémoires de Malouet, chap. XVIII.
  8. Archives nationales. Inventaire de M. de Montmorin.
  9. Mémoires secrets de Bertrand de Molleville, chap. XXIIIe
  10. Souvenirs de Mathieu Dumas.
  11. Histoire de France depuis 89, par M. de Toulongeon. Voir Pièces justificatives.
  12. Correspondance de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette, par MM. Geffroy et d’Arneth.
  13. Correspondance avec M. le comte de La Marck, t. III.
  14. Voir les notes du tome II de l’Histoire de la Révolution de M. Thiers.
  15. Mémorial de Gouverneur-Morris.
  16. Archives nationales, papiers séquestrés.
  17. Archives nationales, FJ, 4,625.
  18. Peltier, Dernier Tableau de Paris.
  19. Moniteur, séance du 22 août 1792.
  20. Soulavie, Mémoires historiques, t. II.
  21. Procès-verbaux de la commune de Paris. Journées de septembre. Journiac de Saint-Méard, Mon Agonie de trente-huit heures.
  22. Archives nationales W 363, n° 787. — Mémoires de Lombard de Langres, t. Ier, chap. II.
  23. Mémoires du comte Beugnot, t. Ier, p. 313.
  24. Archives nationales. — Procès-verbal.
  25. Archives nationales, affaire Élisabeth Capet.
  26. Mémoires de Lombard de Langres. — Mémoires du comte Beugnot, t. Ier.
  27. Archives nationales. — Procès de Madame Elisabeth.