Paulin (Tome 2p. 157-160).
Troisième partie


TROISIÈME PARTIE.


CHAPITRE XVII.

RÉSOLUTION.


La passion de madame de Hansfeld pour M. de Morville avait encore augmenté depuis sa dernière entrevue au bal de l’Opéra.

Cet amour était chez Paula un bizarre mélange de nobles exaltations et de funestes arrière-pensées. Elle aurait cru avilir l’homme qu’elle aimait, en souffrant qu’il se parjurât, et elle était résolue sinon d’ourdir, du moins de laisser tramer par Iris un complot infernal contre les jours de son mari, pour pouvoir épouser M. de Morville, sans que celui-ci faillît à son serment.

En vain Paula restait étrangère à cette machination, dont elle entrevoyait à peine les résultats ; elle sentait, à la violence même de ses hésitations, de ses craintes, de ses remords anticipés, quelle part criminelle elle prenait dans cette épouvantable action, uniquement conçue dans l’intérêt de son amour.

Chose étrange pourtant !… Si les révélations d’Iris avaient eu lieu quelques mois plus tôt, alors que le prince éprouvait toute la première ardeur de sa passion pour Paula, passion à la fois si aveugle et si clairvoyante, qu’elle ne pouvait s’affaiblir par l’apparente évidence des crimes de sa femme, dont il pressentait l’innocence ; si les révélations d’Iris, disons-nous, avaient eu lieu, lorsque le seul obstacle que Paula pût opposer à l’amour du prince était le souvenir de Raphaël… Raphaël toujours regretté, toujours adoré ; qu’arrivait-il ?

Arnold apprenait l’innocence de Paula ; Paula, l’indigne tromperie de Raphaël.

Que de chances alors pour que madame de Hansfeld partageât l’amour du prince qui méritait tant d’être aimé, qui s’était montré si vaillamment épris ! À force de soins, de tendresse, il se serait fait pardonner des soupçons dont il avait le premier si généreusement souffert ; Paula eût reconnu combien il avait, en effet, fallu de passion, d’opiniâtre passion à son mari pour continuer de l’aimer malgré de si funestes apparences : la vie la plus heureuse se fût alors ouverte devant elle, devant lui.

Malheureusement, les révélations d’Iris avaient été trop tardivement forcées ; plus malheureusement encore M. de Hansfeld aimait Berthe, et madame de Hansfeld M. de Morville. Ce double et fatal amour rendait leur position intolérable.

Madame de Hansfeld devait rester à jamais enchaînée à un homme qui ne l’aimait plus ; cet homme aimait une autre femme ; et pour faire oublier à Paula les odieux soupçons dont elle avait été victime, il ne pouvait que l’entourer d’égards froids et contraints.

Et séparée de lui par un obstacle insurmontable, elle voyait à travers le prisme enchanteur de l’amour un homme jeune, beau, spirituel, passionné… si passionné qu’il avait voulu lui sacrifier ces deux religions de toute sa vie : sa parole ! sa mère ! et Paula n’avait pas même la consolation de songer que l’accomplissement de ses devoirs ferait au moins le bonheur de M. de Hansfeld.

Celui-ci, trouvant de son côté réunies chez Berthe les grâces et les qualités les plus séduisantes, se livrait sans remords à cet amour, Paula lui ayant toujours manifesté son indifférence.

Telle était la position de M. et de madame de Hansfeld, au moment où celle-ci, pour ménager M. de Brévannes, qui pouvait la calomnier si dangereusement, allait le recevoir à l’hôtel Lambert, ainsi que Berthe.

L’exaltation de Paula était arrivée à ce point qu’elle ne pouvait supporter plus longtemps sa position. Elle avait fixé à M. de Morville le terme de huit jours pour lui faire part de sa résolution suprême, parce qu’elle voulait qu’avant huit jours le sort de sa vie entière fût décidé.

Ou elle aurait le courage de profiter des offres d’Iris, ou elle se tuerait… si le projet de la jeune fille lui semblait exiger une complicité pour ainsi dire trop directe, trop personnelle.

Rien ne semble plus étrange, et rien n’est pourtant plus réel que ces compositions, que ces atermoiements avec le crime… Les juges ne sont pas les seuls à y trouver des circonstances atténuantes.

Madame de Hansfeld venait de faire demander Iris : celle-ci entra.