Paulin (Tome 2p. 67-70).
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Deuxième partie


CHAPITRE VII.

RÉFLEXIONS.


Tout entière à la surprise, à l’effroi que lui causaient les accusations de son mari, madame de Hansfeld, pendant cet entretien, n’avait songé qu’à se disculper ; le prince sorti, elle put réfléchir plus profondément.

D’abord elle sentit s’augmenter son indignation contre un homme qui osait la croire coupable de forfaits si noirs, puis elle éprouva pour lui une sorte de reconnaissance en songeant que, moins réservé, moins généreux, il aurait pu parler haut de ces soupçons, auxquels le hasard donnait tant de vraisemblance.

Par un rapprochement bizarre, Paula se souvint en même temps de ces mots de M. de Morville : Mon amour ne saurait être heureux que si je pouvais obtenir votre main.

Entre ces paroles et les terribles accusations de son mari, madame de Hansfeld vit un rapprochement étrange, fatal, qui la frappa.

En admettant que les mystérieuses et homicides tentatives auxquelles le prince avait été exposé eussent réussi, elle se serait trouvée libre… elle aurait pu épouser celui qu’elle idolâtrait et le rendre ainsi le plus heureux des hommes.

Il n’y eut d’abord rien de criminel dans les pensées de Paula.

Que de fois les cœurs les plus purs, les caractères les plus élevés, se sont passagèrement laissé entraîner non pas même à des vœux, mais seulement à de simples suppositions qui, réalisées, eussent été de grands crimes.

Combien de femmes pieusement résignées, endurant avec une douceur angélique les plus mauvais traitements d’un mari brutal et méchant, ont dit : Hélas ! que n’ai-je épousé un homme généreux et bon !

Il n’y a rien de meurtrier dans cette supposition, elle n’exprime pas même l’espérance ou le désir de voir la fin des tortures que l’on souffre, et pourtant cette supposition contient le germe d’un vœu meurtrier… c’est l’instinct de conservation qui s’éveille et qui cherche vaguement les moyens de fuir la douleur.

Bien des êtres souffrants s’arrêtent à cette exclamation, et leur vie n’est qu’un long et triste gémissement.

D’autres, blessés plus à vif ou moins résignés, s’écrient : — Oh ! si j’étais délivré de mon bourreau !… — D’autres enfin : — Pourquoi la mort ne m’en débarrasse-t-elle pas ?

Que l’on suive attentivement les conséquences, la logique de ces plaintes, de ces espérances, de ces vœux… on arrivera toujours à un résultat véniellement meurtrier.

C’est toujours plus ou moins l’effrayante et fatale nécessité qui conduit Macbeth de crime en crime.

Que d’honnêtes gens ont frémi, épouvantés du nombre de crimes platoniques qu’ils étaient entraînés à commettre par une première pensée juste en apparence !

Pour Paula, une des idées résultant de son entretien avec M. de Hansfeld fut donc celle-ci :

— Mon mari, que je n’aime pas ; mon mari, que j’ai épousé par obsession ; mon mari, qui a de moi une opinion si infâme qu’il m’a crue capable d’avoir trois fois attenté à ses jours… mon mari aurait pu mourir…, et sa mort me permettait de récompenser l’amour le plus passionné.

En vain Paula, qui pressentait la funeste attraction de cette idée, voulut la fuir… Elle y revint sans cesse, et presqu’à son insu, de même qu’on revient sans cesse et malgré soi au point central d’un labyrinthe où l’on est égaré.

Nous le répétons, rien de plus effrayant que l’entraînement forcé de certaines réflexions.

À cette idée succéda celle-ci :

— La personne qui attentait avec acharnement aux jours de M. de Hansfeld doit vivre dans notre intérieur… Par quel motif veut-elle cette mort ?

Après quelques moments de méditation, Paula, frappée d’une clarté soudaine, se rappela certains mots mystérieux d’Iris, l’attachement aveugle, presque sauvage de cette jeune fille, la haine qu’elle avait quelquefois montrée contre le prince lorsqu’elle, Paula, lui disait ses regrets d’avoir épousé cet homme capricieux et fantasque ; plus elle y réfléchit, plus elle crut être sur la trace du véritable auteur de ce crime… Son premier mouvement fut bon… Épouvantée de l’opiniâtreté féroce avec laquelle Iris poursuivait sa trame homicide, craignant qu’elle ne s’arrêtât pas là, elle voulut l’interroger et la confondre.

Une heure après le départ du prince, Iris, mandée par sa maîtresse, entrait dans la chambre de celle-ci.