Imprimerie générale A. Côté et Cie (p. 167-239).

IV

Les temps modernes


De 1800 à 1850.


MONSIEUR CHARLES MARIE BOUCHER DE BOUCHERVILLE


14ème Desservant et 6ème Curé.


M. Charles Marie Boucher de Boucherville était fils de Sieur René-Amable Boucher de Boucherville et de Dame Madeleine de Simblin. Il était né le 29 décembre 1781 et fut ordonné prêtre par Mgr Denaut, à Boucherville, sa paroisse natale, le 6 janvier 1805, jour des Rois, qui était un dimanche cette année là. Il fut d’abord vicaire de Mgr Denaut à Longueuil, puis vicaire à Québec, en 1806, d’où il fut appelé à la cure du Château Richer, le 21 décembre 1807, par Mgr Plessis.

Aussitôt après la sépulture de M. Derome, le 1er  oct. 1808, Mgr Plessis écrivit à M. de Boucherville : « Vous avez appris la mort de M. le curé de Charlesbourg. Il s’agit de le remplacer. J’ai jeté les yeux sur vous ; cela vous coûte et à moi aussi. Mais des raisons supérieures m’obligent de remplir cette place sans délai. Je crois que vous y convenez, que vous y pourrez faire plus de bien qu’au Château-Richer, parceque la place est plus importante et la mission plus vaste. La voix publique vous y nomme, quoique je n’aie communiqué à personne le dessein que j’avais de vous la donner. L’encan de M. Derome doit évacuer dès cette semaine le presbytère. Arrangez-vous de manière à y faire l’office le 9 de ce mois, sauf à retourner au Château-Richer les jours suivants pour régler vos affaires. »

M. de Boucherville se rendit au désir de Mgr Plessis, mais il le fit avec peine et regret, car il était déjà bien attaché aux paroissiens du Château-Richer, quoiqu’il ne les eut desservis que pendant neuf mois, et puis il aimait le petit côteau au bord du fleuve, sur lequel l’église et le presbytère de cette paroisse sont bâtis, et où il rêvait de longues années de bonheur ; mais le prêtre est un soldat et il ne peut être heureux, dans le vrai sens de ce mot, et utile qu’au poste qui lui est assigné.

Peu de temps après son arrivée à Charlesbourg, le 23 oct. 1808, M. de Boucherville se fit autoriser par les marguilliers à faire faire quelques bancs dans le jubé, conjointement avec le marguillier en charge, J.-Bte Bedard, et à remplacer le bedeau Biom par Joseph Bedard, septième bedeau connu de la paroisse, qui entra en fonction, le jour de la Toussaint, à raison de dix-huit piastres par année. C’est la première fois, que dans les comptes, il est parlé de piastres, et Joseph Bedard est aussi le premier bedeau de la paroisse qui ait porté l’habit d’ordonnance que fit faire M. de Boucherville, et qui a été le même à peu près dans toutes les paroisses jusqu’à ces derniers temps, c’est-à-dire, une cloque de drap bleu avec triple collet de drap rouge bordé de gallon blanc de fil de soie ou d’argent.

Sous M. Borel, les paroissiens furent admis aux assemblées pour recevoir les comptes des marguilliers ; mais, comme pendant son règne et celui de son successeur, M. Derome, on n’a pas laissé d’actes des élections des marguilliers, on peut croire avec raison que jusqu’à M. de Boucherville, les notables n’avaient pas été admis aux assemblées faites pour ces élections. Pour la première fois donc, le 27 décembre 1808, à l’élection de Jacques Galarneau, la première élection que présida M. de Boucherville, on vit, non seulement les marguilliers, mais aussi quelques anciens de la paroisse assister à l’assemblée. La porte à laquelle les notables frappaient depuis longtemps pour être admis aux assemblées pour les élections des marguilliers fut donc enfin ouverte à Charlesbourg. On sait combien cette admission des notables aux assemblées des marguilliers suscita d’opposition et de trouble dans la plupart des paroisses.

Le 10 septembre 1807, on retira du coffre-fort quarante et un louis et cinq shellings, (£41 5s. 0). C’est la première fois encore qu’il est question de louis et de shellings dans les comptes, cependant ces comptes de la fabrique continuent à être tenus, comme auparavant, par livres, sous et deniers, jusqu’en 1815, ensuite par louis, shelling et denier, et enfin aujourd’hui, par piastres et centins.[1]

En 1812 il y avait à Charlesbourg un détachement de miliciens, placé en quartiers d’hiver dans les demeures des paroissiens et dont les officiers se plaignirent de ne pas avoir à l’église les places qui leur convenaient. Mgr Plessis, auquel ces plaintes avaient été communiquées, écrivit, le 10 janvier 1812, à M. de Boucherville : « Par une lettre officielle en date d’hier il m’a été signifié que le désir de Son Excellence le gouverneur (alors Sir George Prévost) était que les officiers du détachement qui est en quartier d’hyver dans votre paroisse eussent des places pour y assister au service divin, sans être obligés de demeurer dans les allées. Comme je ne connais aucun banc approprié à cette fin, je désirerais que vous leur procurassiez quelques chaises en dehors et auprès du balustre, en attendant que Son Excellence ait déclaré s’il serait plus conforme à son intention qu’on leur fit occuper le banc seigneurial. »

À cette lettre M. de Boucherville répondit : « La politesse et les égards que méritent MM. les officiers du détachement résidant à Charlesbourg m’ont fait prévenir dès les commencements les ordres contenus dans votre lettre d’hier. J’ai offert à M. Pinguet, et par lui aux autres officiers, des chaises dans tel endroit de la nef de l’église qu’ils voudraient les placer. Que pouvais-je faire de plus, n’ayant pas de banc pour moi-même ? Leur refus me fait croire que le but de l’application qu’ils ont faite à Son Excellence était d’obtenir des places dans le banc du capitaine de milice ; ce qui me semble plus convenable, d’autant que ce banc appartient au gouvernement, comme dans les autres campagnes. Plus de politesse ou plus de docilité à mes avis de la part du capitaine de milice (de la paroisse) aurait prévenu ce petit trouble. » [2]

Comme on l’a vu, les 40 heures existaient déjà à Charlesbourg lorsqu’on a enterré Louis Jacques dans la chapelle de la Congrégation, en 1735 ; mais il n’y avait aucun document propre à faire voir que cette confrérie, avait été établie par l’autorité ecclésiastique Sur la demande donc de M. de Boucherville les 40 heures furent établis de nouveau par un mandement de Mgr Plessis, du 21 janvier 1814, pour remédier aux désordres en général et surtout à un désordre particulier : les superstitions. « Entre le grand nombre de familles chrétiennes et vraiment édifiantes qui se trouvent parmi vous, dit Mgr Plessis, il se trouve des superstitieux qui, n’ayant pas une juste idée, de la Ste Religion qu’ils professent, la font consister dans des choses vaines, croyant apercevoir des effets surnaturels où il n’y en a pas, et, dans le délire d’une imagination égarée, emploient pour la guérison des maladies, ou pour la connaissance des secrets de la nature, des moyens aussi insignifiants que criminels et réprouvés par la religion… » Ce mandement devait être lu tous les ans jusqu’à ordre du contraire. Cette lecture, qui humiliait les paroissiens, fut discontinuée à la demande de M. le curé Payment adressée à Mgr Turgeon, alors Administrateur et pendant sa visite épiscopale, le 12 juin 1850.

Il est à croire que M. de Boucherville s’était exagéré ce désordre dont le bonhomme Tintin était probablement le plus coupable auteur. Mais qu’était-ce donc que ce bonhomme Tintin ? Son véritable nom était Augustin Côté, né à Saint-Pierre, Île d’Orléans, l’Île des sorciers, et le bonhomme Tintin se donnait comme bien savant dans l’art de la sorcellerie. C’est sous ce rapport qu’il a laissé un souvenir presqu’impérissable, surtout dans la partie de Charlesbourg qui avoisine Saint-Ambroise et dans cette dernière paroisse. Ce bonhomme Tintin, marié à Charlesbourg en 1ères noces, le 10 mai 1803, et en 2mes noces, le 8 avril 1834, et mort, le 11 avril 1851, habitait depuis plus de 50 ans une petite maison sur la terre actuelle de Sieur Édouard Paquet et au bord du chemin royal du village de Saint-Bernard. Il avait une petite boutique de forgeron annexée à sa maison et cette boutique, comme sa maison, était le lieu de repos de bien des passants, et le rendez-vous surtout des jeunes gens qui aimaient à s’amuser aux dépens des choses ineffables qu’il débitait sur la magie et la sorcellerie auxquelles il croyait plus qu’aux articles du Credo. Sur les dernières années de sa vie, ce bonhomme Tintin, auquel les infirmités de ses jambes ne permettaient d’aller qu’en sautant, au moyen de deux petites cannes, ne parlait que de sautereaux qu’il croyait voir agir partout. Ces sautereaux, selon lui, étaient des espèces de diablotins que les bons vivants, qui prenaient plaisir à ses folies, lui conseillaient de persécuter et de conjurer par des moyens plus ou moins ridicules et amusants pour eux-mêmes. Ainsi, ils l’avaient engagé à percer ces sautereaux avec une vieille baïonnette qu’il appelait sa franche carabine, et on le voyait souvent occupé à les persécuter ainsi en prononçant, avec une force qui allait crescendo, ces mots cabalistiques et d’usage en tout : abraki, abraka ête abrac ête abra… D’autres fois ils lui firent croire qu’il fallait les étourdir en frappant sur une vieille chaudière… Un jour quelques-uns de la troupe joyeuse représentèrent avec de la craie, au-dessus de la porte de la boutique de Tintin, un crapaud, qu’il prit pour un sautereau sous cette forme, et ils lui firent croire qu’il n’y avait qu’un moyen de le conjurer : c’était de l’ébouillanter. Bien leur en prit, car Tintin, comme toujours, les crut et s’approchant, d’après leur conseil, aussi près que possible de la porte au dessus de laquelle était figuré le crapaud, avec un vaisseau rempli d’eau bouillante, il lança cette eau en criant que le crapaud pleume. Mais l’eau retomba sur lui-même et, comme on peut bien le penser, ce ne fut pas le crapaud qui fut plumé… On n’en finirait pas si nous entreprenions de raconter tous les tours et détours qui ont été faits à propos de ce bonhomme Tintin ; mais le peu que nous venons d’en dire suffira pour prolonger le souvenir de ce curieux personnage, au sujet duquel nous nous sommes souvent amusé, comme bien d’autres, dans notre enfance et auquel nous aimons à donner une petite place dans ces notes historiques, pour faire connaître son nom aux descendants de ceux qui font connu et se sont si bien amusé à ses dépens.

Le 6 octobre 1816, à la demande de M. Antoine Bedard, alors curé de Saint-Ambroise, la fabrique de Charlesbourg décida de prêter deux cents louis, £200, à la fabrique de Saint-Ambroise et les marguilliers de l’Œuvre furent autorisés à « passer l’acte et mettre les conditions convenables avec les capitaines s’ils se trouvent à la passation de l’acte. »

On peut trouver un peu étrange de voir les capitaines de Charlesbourg et de Saint-Ambroise, invités à prendre part aux délibérations de la fabrique en leur qualité de capitaines ; mais il faut bien remarquer qu’autrefois, et à peu près jusque vers 1837, le capitaine de la paroisse était un personnage important. Il avait, au nom du gouvernement, un banc gratis dans l’église, ce banc était le premier de la seconde rangée du côté de l’épître ; il avait, ou prétendait avoir, le droit de recevoir le pain bénit, et encore un gros morceau, après le seigneur ; au temps de la domination française il était chargé de publier ou de faire publier les ordonnances, et souvent de les faire exécuter ; de tenir la main à l’exécution de tous les règlements pour les chemins ; il était aussi chargé de conduire à la prison, (et elles étaient rares et éloignées alors les prisons) ou au moins au plus proche capitaine, les prisonniers qu’on menait ainsi, comme on le disait alors, de capitaine en capitaine ; de plus il était tenu de faire faire l’appel nominal, le jour de la Saint-Pierre à la porte de l’église avant la messe, de tous les miliciens de la paroisse et d’en faire lui-même la revue. C’était un spectacle qui nous amusait bien et que nous trouvions en même temps bien solennel lorsque, dans notre enfance, nous voyions le Major J. Bte. Renaud, à la prestance digne et imposante et que relevait encore ce jour-là son habit d’ordonnance et l’épée qu’il portait au côté, passer en revue les miliciens de la paroisse que les sergents mettaient en lignes plus ou moins droites. Ces bons miliciens, pleins de cette gaieté française qui ne laisse pas le caractère des Canadiens, répondaient à l’appel de leurs noms en y ajoutant souvent le mot pour rire ; le tout se terminait par le cri de Vive le roi ! comme témoignage et comme preuve de leur loyauté, assez louche dans ce temps-là.

Le Major Renaud était un homme d’un esprit vif et piquant, d’une rare facilité d’élocution et, lorsqu’il parlait en public surtout, le timbre de sa voix forte et solennelle charmait l’oreille de ses auditeurs et les captivait. Il aurait figuré avec avantage parmi les représentants du peuple ; mais son ambition se borna à prendre les intérêts généraux de sa paroisse et à guider ses coparoissiens dans la revendication de leurs droits comme Canadiens et comme sujets de l’Empire Britannique.

C’était un fort joûteur dans les questions débattues de la politique du temps, ainsi que dans les questions qui regardaient le droit rural sur lequel il pouvait rendre des points à plusieurs avocats.

Nous l’avons entendu une fois entre autres, avant 1837, réfuter un des premiers citoyens de Québec, qui était venu un dimanche haranguer à la porte de l’église les paroissiens de Charlesbourg en faveur des célèbres 92 résolutions contre lesquelles le Major Renaud se prononçait avec conviction et vigueur. Il remporta dans cette circonstance une victoire complète et entraîna les applaudissements de presque tous ceux qui l’avaient écouté. Le souvenir de cette lutte oratoire nous a laissé la conviction que ce n’était pas un homme facile à désarçonner, lorsqu’on le rencontrait sur un des deux terrains que nous venons de mentionner.

Le Major Renaud était cultivateur et se faisait gloire de son état. Il disait, avec un juste sentiment d’orgueil, que les cultivateurs ne devaient pas se faire les serviteurs des Messieurs de la ville. Aussi, lorsqu’il vendait sur le marché un voyage de foin, il allait le mener à la demeure du bourgeois qui l’avait acheté ; mais il exigeait alors que ce bourgeois fit décharger lui-même le voyage et placer ce foin au fenil par ses propres serviteurs.

Dans le cours de l’année 1813 M. de Boucherville présenta à Mgr Plessis une requête, signée des congréganistes, exposant que ces congréganistes ne savaient pas si la congrégation, existant dans la paroisse, avait été canoniquement érigée et ils suppliaient l’évêque de vouloir bien donner à la dite congrégation un titre d’érection canonique, lui accordant tous les privilèges et indulgences propres à cette confrérie.

Mgr Plessis érigea, en conséquence la Congrégation dans la paroisse de Charlesbourg « pour être à toujours gouvernée par le curé ou prêtre desservant ou vicaire de la dite paroisse, avec tels officiers qu’il s’associera conformément aux règles qui seront établies, attribuant dès maintenant et accordant à perpétuité aux membres de la dite Congrégation toutes les indulgences plénières et partielles ci-devant accordées par les Souverains Pontifes aux Congrégations érigées dans les collèges des Jésuites. » Cette érection fut accordée, le 20 janvier 1814.

M. de Boucherville fit plusieurs tentatives auprès de ses paroissiens pour les décider à bâtir une nouvelle église, mais inutilement. On ne croyait pas que le temps était venu de s’occuper de cette construction ou plutôt, à tort ou à raison, on ne voulait pas que M. de Boucherville dirigeât ces travaux. Ce n’était pas la crainte d’être obligés de faire de forts déboursés qui les retenait, car la générosité pour l’entretien du culte, pour l’éducation et les bonnes œuvres en général, est une vertu des paroissiens de Charlesbourg et en preuve, le 6 janvier 1818, à la demande de Mgr Plesis, il fut décidé que la fabrique prêterait, sans intérêt, £100 ou $400 « pour l’édification de l’église du faubourg Saint-Roch. »

Le 29 mai 1818, Mgr Plessis fit une visite pastorale à Charlesbourg et alloua les comptes, mais ne fit aucune ordonnance.

Dans le mois de juillet de cette même année 1818, M. de Boucherville fit une mission à Cap Chat et à Sainte-Anne des Montset fut remplacé pendant son absence par M. F. X. Côté, mort curé de Sainte-Geneviève. Mgr Plessis lui écrivait de Champlain à propos de cette mission : « Je désire que vous partiez si bien à la fin, si fort à la fin de juin que ce ne soit qu’après la St Pierre, autrement je serais fort embarrassé de votre paroisse, M. Cadieux ne pouvant me quitter qu’au commencement de juillet. » Puis il lui conseilla de faire parapher un registre par un juge du district de Québec, s’il y consent, parcequ’il serait impossible de s’adresser au juge de Gaspé.

Il fit encore une mission en juillet et août de l’année suivante 1819. Il est probable qu’il avait fait la même mission en 1816, car Mgr Plessis, lui écrivant le 4 mai 1816, lui donne tous les pouvoirs extraordinaires des missionnaires « dans tous les lieux compris entre Rimouski et la Baie de Gaspé au sud du fleuve St. Laurent, » et il l’autorise seulement à prêcher et à confesser depuis Rimouski inclusivement jusqu’à Saint-André aussi inclusivement. Il lui conseille aussi de faire parapher deux petits régistres. Quel changement depuis ce temps dans cette partie du pays ! On était loin de prévoir qu’il y aurait là un évêché, un clergé, nombreux, plusieurs communautés, deux villes et une voie ferrée traversant tout ce territoire.

M. de Boucherville aimait beaucoup la chasse et la pêche qu’il regardait d’ailleurs comme un exercice nécessaire à sa santé ; mais les fatigues et les misères qu’il y essuya furent la cause d’un abcès qui le fit souffrir bien longtemps et le conduisit enfin au tombeau. Dès le commencement de l’année 1822, il ressentit les atteintes de la cruelle maladie qui mit fin à ses jours, et, le 20 avril de cette même année, Mgr Plessis chargea M. Bedard de la desserte de Charlesbourg lui laissant en même temps celle de Saint-Ambroise. Il l’autorisa à biner ou à chanter la messe le dimanche alternativement à Saint-Ambroise et à Charlesbourg. Quant aux sauvages de la Jeune Lorette, M. Bedard fut autorisé à ne leur dire la messe que pendant la semaine et à les desservir comme il l’entendrait ; mais cependant il fut compris qu’il leur chanterait le salut le dimanche et les jours de fêtes d’obligation.

M. de Boucherville se retira dans sa maison, la maison d’école actuelle du Trait-Carré, où il mourut le 16 janvier 1823, à l’âge de 41 ans et 17 jours. Il fut inhumé le 20, dans le chœur de l’église, par M. Robert, Vicaire Général et prêtre du Séminaire de Québec, en présence de MM. J. D. Daulé, chapelain des Ursulines, P. F. Turgeon, prêtre du Séminaire (plus tard Archevêque de Québec), Réné-Olivier Bruneau, curé de Beauport, P.-OL Langlois, curé du Château-Richer, L.-Ths. Bedard, chapelain de l’Hôpital-Général, Jean-Zéphirin Caron, curé de N.-D. de Foye, Chs.-Frs. Baillargeon, chapelain à Saint-Roch de Québec (plus tard Archevêque de Québec), Louis-Marie Lefebvre, vicaire à Québec, Philippe Anger, ex-vicaire de Charlesbourg, et Antoine Bedard, curé.

Pendant les dernières années, et surtout pendant la dernière maladie de M. de Boucherville, plusieurs prêtres vinrent lui aider, ou plutôt aider à M. Bedard chargé des deux paroisses. Outre M. Bernard-Benjamin Decoigne, (mort, curé de la Baie Saint-Paul) qui fut vicaire à Charlesbourg depuis la Saint-Michel 1820 jusqu’à la fin de juin 1821, MM. Philippe Lefrançois, Claude Gauvreau, Joseph Moll et Philippe Auger prêtèrent le secours de leur ministère, pour un temps peu long pour chacun, il est vrai, mais tel qu’on doit les compter comme anciens vicaires de la paroisse.

M. de Boucherville descendait de Sieur Boucher de Boucherville, premier gouverneur des Trois-Rivières, et il était oncle de l’Honorable de Boucherville, aujourd’hui Membre du Conseil Législatif ; il appartenait donc à une des premières et des plus nobles familles du pays. Mais, loin d’aimer à se glorifier de son origine, il aimait, au contraire, dans son humilité, à la faire oublier. Il savait estimer à sa valeur la gloire que ses ancêtres avaient acquise, mais il voulait faire comprendre, comme il le comprenait lui-même, que le plus beau titre de noblesse pour lui était son caractère sacré de prêtre. Il signait simplement Chs. Boucherville, méprisant la morgue de ces faux nobles qui croient qu’un de placé avant leur nom va leur tenir lieu des qualités requises pour mériter l’estime qui n’est due qu’au vrai mérite qui est en même temps la véritable noblesse.


MONSIEUR ANTOINE BEDARD
15ème Desservant et 7ème Curé.

On dit quelquefois en proverbe, et cela d’après la parole même de Notre Divin Sauveur, que personne n’est prophète dans son pays et auprès de ses parents ; mais, si on ne peut pas être prophète, M. Bedard a prouvé qu’on peut au moins être curé dans sa paroisse natale et au milieu de ses parents et mériter l’estime, l’amour et la vénération de tous.

Né à Charlesbourg, le 10 août 1771,[3] fils de Charles Bedard et de Marie-Josephte Jobin, baptisé le même jour par M. Morisseaux et ayant pour parrain Antoine Bertrand et pour marraine Marie-Louise Pepin, épouse de Philippe dit Amplemanne, M. Antoine Bedard était donc un enfant de la paroisse et il est regardé à bon droit comme une de ses gloires les plus pures. Il est un de ces curés de Charlesbourg dont le nom béni semble ne devoir jamais tomber dans l’oubli et dont la mémoire, amoureusement conservée, devra passer de génération en génération. De même qu’il y a des figures qu’on ne peut pas oublier, il y a aussi des esprits naturellement ornés, des cœurs bien faits, des âmes généreuses et fortement trempées par la religion, des hommes enfin doués des vertus les plus aimables qui impriment caractère et tracent partout où ils passent un sillon que le temps, qui détruit tout, a bien de la peine à effacer. M. Antoine Bedard était une de ces natures d’élite, un de ces caractères à la fois doux et austères, une de ces âmes vraiment sacerdotales qui commandent l’estime, l’amour et la vénération. Ces hommes là sont aimés de tous et partout, et il semble qu’ils ne devraient jamais mourir, car la terre reste pauvre quand ils partent pour le ciel.

M. Antoine Bedard, dit l’abbé Tanguay, « fut ordonné, le 21 mars 1795 ; professeur de Philosophie au Séminaire de Québec, en 1796 ; missionnaire à Richibouctou en 1800 ; curé de Ste-Anne de Beaupré en 1804 ; de St-Ambroise en 1805 ; de St-Thomas en 1817 ; de St-Ambroise en 1818 » et de Charlesbourg comme curé desservant, en 1822, et curé en titre à la mort de M. de Boucherville.

Après la mort de M. de Boucherville, M. Philippe Anger, qui avait été quelque temps son vicaire, fut nommé de nouveau en cette qualité à Charlesbourg où il resta jusqu’au mois de mai de la même année, 1823, et, au mois de juin suivant il fut remplacé par M. Jean-Olivier Giroux, ordonné le 11 mai. M. Giroux resta dans la paroisse jusqu’au mois de mars 1824, c’est-à-dire, jusqu’à la nomination de M. Cook comme curé de Saint-Ambroise, laquelle nomination déchargea M. Bedard de la desserte de cette dernière paroisse.

Le 16 mai 1822 il y avait eu une assemblée dans laquelle MM. de Boucherville et Bedard conjointement réglèrent les comptes de 1820. Dans cette assemblée M. de Boucherville seul fit un acte par lequel on apprend qu’on avait donné « le St. Jérome dans l’église en échange pour une copie du même ou d’un autre tableau de même grandeur. » C’est le dernier acte écrit de la main de M. de Boucherville dans le cahier des délibérations, et on est porté à croire que M. Bedard n’approuvait pas cet échange car il n’a pas signé l’acte qui en fut dressé. Ces échanges, ou ventes de tableaux, en effet, sont souvent regrettables, car les peintres, meilleurs juges que les curés en ces matières, ne manquent pas de faire ces sortes de marchés à leur avantage.

Le même jour encore, 16 mai 1822, à la demande de M. de Boucherville, ancien curé, et de M. Bedard, curé desservant, il fut accordé, à ce dernier une somme de deux cents louis que la fabrique lui prêta « sur les raisons du bien public de la paroisse alléguées par ces Messieurs et bien comprises par les marguilliers. » Cet acte est signé par MM. de Boucherville et Bedard. Cette somme fut remise, le 27 août suivant.

M. Bedard, qui desservait toujours les deux paroisses de Charlesbourg et de Saint-Ambroise, même après la mort de M. de Boucherville, demanda, le 13 février 1823, la permission de biner pour la mission des Hurons.

Le 14 juillet de cette même année 1823 Mgr Plessis fit une visite épiscopale à Charlesbourg ; il alloua les comptes des années précédentes, mais ne fit aucune ordonnance. Quant aux comptes de cette année même, ils avaient été perdus et on se contenta alors au 1er  janvier 1824, de constater le montant de l’argent qu’il y avait au coffre. En ajoutant la balance de l’année qui venait d’expirer il se trouva y avoir £766 1 9 ou $3064.35. Bon à-compte pour la nouvelle église qu’on projetait de bâtir.

Il y avait à Charlesbourg un usage qui remontait à l’origine de la paroisse et que M. Bedard fit abolir, en 1825 ; c’était de vendre les restes du pain bénit, quand il y avait restes, au profit de la fabrique. Mais depuis cette année là ceux qui rendirent le pain bénit, comme on s’exprimait alors, rapportaient les restes chez eux après la messe.

Ces restes quelquefois étaient considérables surtout lorsque, la gloriole s’en mêlant, on élevait à qui mieux mieux des pyramides de sept, huit et dix étages de galettes soutenues par des cousins et ornés d’étoiles, le tout souvent argenté, doré et quelquefois recouvert de sucre blanc crêmé, comme les pains de savoie. C’est même cet excès de dépense, peu proportionné dans bien des cas aux moyens de ceux qui s’en donnaient le luxe, et aussi la mesquinerie dans laquelle d’autres, au contraire, tombaient quelquefois, qui ont engagé en partie Son Éminence le Cardinal Taschereau à faire cesser cet usage du pain bénit, qui rappelait le vieux souvenir des agapes des premiers temps de l’Église. Il y avait de plus des sujets de mécontentement et de jalousie dans la distribution de ces cousins, de ces gros morceaux et de ces étoiles aux amis, aux voisins et aux dignitaires de la paroisse, sans parler des distractions que l’on causait lorsque cette distribution se faisait pendant la messe. Et puis combien d’autres petits abus et inconvénients ? Celui, par exemple, de faire passer une partie de la messe aux bedeaux à trancher en petits morceaux et à distribuer dans l’église ce pain bénit aux paroissiens ; et puis ces tentations de constater par eux-mêmes quel goût il avait, auxquelles ces bons bedeaux succombaient assez facilement ; et les petits servants de messe, si naturellement portés à vouloir manger de la galette, qui est d’autant meilleure qu’elle a été prise et mangée en cachette. Il y avait aussi l’inconvénient pour les personnes qui voulaient communier de manger avant le temps de la communion, par distraction, le petit morceau de pain bénit que tous recevaient. L’usage était de donner le chanteau, ou un morceau de pain bénit plus gros que les autres gros morceaux, à celui des paroissiens qui devait rendre le pain bénit le dimanche suivant. Si ce paroissien n’était pas présent dans son banc, alors le bedeau mettait en réserve, pour l’envoyer par occasion, le chanteau et aussi quelquefois certains petits restes de pain bénit ; et nous avons connu des servants de messe habiles à découvrir ces cachettes du bedeau.

Chaque paroissien, tenant feu et lieu, était tenu de rendre le pain bénit à son tour, en vertu de la loi française.

C’est M. Bedard qui a fait construire l’église actuelle, avec l’argent de la fabrique et les contributions volontaires des paroissiens. Depuis longtemps, comme on l’a vu, le besoin se faisait sentir de construire une nouvelle église plus spacieuse, et il en avait été particulièrement question pendant que M. de Boucherville était curé. Dès l’année 1824 M. Bedard fit présenter une requête à Mgr Plessis à cet effet ; mais tout en resta là, parcequ’il y avait divergence d’opinion entre lui et l’Évêque relativement à la place où devait être construite cette nouvelle église. Mgr Plessis voulait qu’elle fût placée entre le presbytère (qui était au sud-ouest du presbytère actuel) et le chemin qui conduit à Québec et qu’elle eut le portail tourné vers la ville ; M. Bedard la voulait où elle est aujourd’hui. « Attendons, disait M. Bedard, l’Évêque qui remplacera Mgr Plessis pensera peut-être autrement. » On attendit, en effet, et Mgr Plessis étant mort, le 4 décembre 1825, M. Bedard ne tarda pas à s’occuper de faire fixer la place par Mgr Panet et à préparer les paroissiens aux travaux de construction.

Le 19 juin suivant, 1826, Mgr Panet délégua M. le Grand Vicaire Demers pour constater les allégués d’une requête des paroissiens demandant à bâtir une nouvelle église, et à en fixer la place et les dimensions. M. Demers se transporta donc à Charlesbourg, le 7 août, et tint une assemblée dans laquelle il fixa la place de l’église où elle a été construite et lui donna pour proportion 120 pieds sur 58 ; « proportion ridicule, » dit-il dans son rapport approuvé par Mgr Panet le 21 du même mois, et qu’il n’a accordé qu’aux instances réitérées des principaux de la paroisse, et qu’à la condition qu’on ajouterait deux chapelles saillantes. La hauteur des murs du quarré devait être de 35 pieds et 3 pouces français entre le dessus des lambourdes et le dessous des sablières.

Cela fait on s’occupa à préparer les matériaux et les plans, puis sur requête du 6 mars, 1827, présentée à Mgr Panet on se fit autoriser à employer l’argent de la fabrique à cette construction. Dans cette même assemblée du 6 mars 1827 les syndics nommés, savoir : François Bedard, Henri Giroux, Jean Déry, Jacques Beaumont, Jean-Baptiste Villeneuve, Ls Barnabé Parent, Jean Trudelle, Charles Leclerc, Joseph Paradis, Joseph Bedard et Jean-Baptiste Bedard, passèrent le marché pour la maçonnerie avec André Bergevin dit Langevin et Pierre Bélanger, de Beauport, et les travaux de construction commencèrent dans l’été de cette même année 1827.[4]

Pendant les travaux de cette construction M. Bedard fit plusieurs fois le tour de la paroisse, ordinairement à pied, pour collecter, dans un petit bas de soie bien connu, les piastres, les écus et les autres petites pièces d’argent (on connaissait peu le papier-monnaie alors) qu’on ne refusait jamais, et qu’on donnait au contraire bien volontiers à ce bon petit Père Bedard qu’on aimait et qu’on vénérait.

En 1828, Joseph Pepin fut engagé en qualité de bedeau, à raison de $32. Ce bedeau, que les anciens de la paroisse ont bien connu, portait la coête. Cet usage de porter la coête, généralement répandu autrefois, commençait alors à devenir de plus en plus rare et n’était conservé que par quelques vieillards. Il est aujourd’hui complètement abandonné et on ne doit pas le regretter, non plus que l’usage des perruques poudrées.


Ce fut l’ongtemps l’usage
On portait longs cheveux comme au temps d’Absolon ;
Maintenant on nourrit longue barbe au menton,
Et on se croit plus sage.

La place fixée pour la nouvelle église, resserrée entre le chemin public et un terrain que la fabrique ne pouvait pas posséder, étant à peine suffisante, et les Congréganistes ne pouvant avoir leur chapelle à la suite de la sacristie, comme avec l’ancienne église, on décida alors de donner un second étage à la sacristie. Les Congréganistes donnèrent £231.6 0, ou $925.20 pour ce second étage où jusqu’ici a été leur chapelle qui va bientôt être remplacée par une grande et belle chapelle, au-dessus de la sacristie que l’on est à construire sous l’habile direction du curé actuel de la paroisse, M. Offmann.

L’église actuelle de Charlesbourg a été consacrée, le 25 mai 1830, par Mgr Joseph Signay, alors Coadjuteur de Mgr Panet, en présence d’un grand nombre de prêtres et d’un grand concours du peuple. Ce fut un jour de fête splendide, éclairé par un beau soleil, et dont on a longtemps parlé dans la paroisse. Voici la traduction de l’acte qui en fut dressé : « En l’an du Seigneur 1830, le vingt-cinquième de mai, moi Joseph Signay, Évêque de Fussala, Coadjuteur du Très-Illustre et Très-Révérend Seigneur Bernard-Claude Panet, Évêque de Québec, ai consacré l’église et l’autel en l’honneur de saint Charles, et ai inclus dans le dit autel des reliques des saints Martyrs Clément, Vital et Fidèle, et ai accordé, dans la forme ordinaire de l’église, à tous et chacun des fidèles un an d’indulgence aujourd’hui, et à ceux qui visiteront l’église au jour anniversaire de sa consécration, quarante jours d’indulgence »[5].

(Signé) † Jos. Évêque de Fussala.

Pour vrai,
C. P. Cazeau, Ptre.,
Secrétaire.

Le 20 juillet, après la consécration, Mgr Panet accorda la faveur de l’autel privilégié.

Avant que l’église fut bénite et consacrée, le 4 avril de l’année précédente 1829, on y avait enterré le corps de Sieur Charles Lefrançois, imprimeur, décédé à Québec, le 1er  avril. C’est le même M. Lefrançois dont l’imprimerie avait été saisie et pillée, en 1810, et qui fut emprisonné avec Bedard, Papineau et Blanchet[6].

La première messe dans l’église actuelle fut chantée le jour de la fête de Saint Pierre, 29 juin 1830, par M. Paschal Pouliot, ordonné prêtre le 2 mai précédent et nommé aussitôt vicaire à Charlesbourg, en l’absence de M. Bedard qui accompagnait Mgr Panet dans sa visite épiscopale. Cette première messe dans la nouvelle église donna lieu à des difficultés et à des scènes semi-comiques, entre le vicaire et les marguilliers, dans lesquelles le rôle de ces derniers, sauf un manque de respect et un peu trop de résistance à l’autorité, fut le plus beau.

M. Bedard, sachant que les paroissiens avaient hâte d’entrer dans la nouvelle église, écrivit à M. Pouliot pour lui permettre d’y chanter la messe, le jour de la fête de Saint Pierre, et de faire faire en même temps la première communion des enfants à la messe de ce jour, suivant l’usage. Mais, si les paroissiens désiraient entrer dans la nouvelle église, ils désiraient encore plus que ce fut M. Bedard qui y chantât la première messe. Cependant M. Pouliot, sans en prévenir les marguilliers qui avaient à faire faire le déménagement et les préparatifs nécessaires, annonça au prône du dimanche précédant la fête de Saint Pierre, que ce jour là il chanterait la messe dans la nouvelle église.

Aussitôt après la messe les marguilliers, anciens et nouveaux, se rendirent à la sacristie pour exposer au vicaire que le vœu de la paroisse était qu’il fallait attendre le retour de M. Bedard, que cela convenait et qu’il lui appartenait à tous égards de chanter la première messe dans la nouvelle église. Mais M. Pouliot, jeune et ardent, surpris de cette démarche à laquelle il ne s’attendait pas, manquant de l’expérience nécessaire dans ces sortes de circonstances, tenant peut-être un peu trop à sa manière de juger, ne voulant pas recevoir des avis de la part de ceux qui n’avaient pas mission de lui en donner, ne crut pas devoir revenir sur sa décision. Malheureusement encore pour la circonstance M. Pouliot était d’un esprit plein de finesse mais caustique, et il y eu échange de mots acerbes et piquants qui rendirent l’entente presqu’impossible. Bref, le marguillier en charge, Jean Trudelle, ferma la nouvelle église et garda la clef. Cependant, la veille de la fête de Saint Pierre quelques personnes qui étaient pour la manière de voir du vicaire, trouvèrent moyen d’entrer dans l’église, à l’insu du marguiller en charge, (il y avait dès lors, comme naguère en France, des crocheteurs de portes), pour nettoyer et tout préparer pour l’office du lendemain. Mais le marguillier en charge, prévenu de ce qu’on avait fait, se rendit de grand matin le jour de la fête à l’église et ferma tout de nouveau. Tout le monde, par un temps magnifique, s’était rendu à l’église à l’heure ordinaire de la messe et attendait, plutôt avec joyeuseté qu’avec impatience, le dénouement de ce petit imbroglio ; mais le marguiller en charge tenait bon et gardait les clefs de l’église sur lui.

Cependant M. Pouliot avait envoyé un courrier à Québec avec une lettre pour le Grand-Vicaire Demers, qui remplaçait Mgr Panet en visite pastorale à la campagne. Le courrier revint avec une lettre du Grand-Vicaire déclarant, (ce que les marguilliers admettaient,) que M. Pouliot était dans son droit puisque M. Bedard l’avait autorisé à faire ce qu’il voulait faire, et priant le marguillier en charge de mettre fin à une opposition qui menaçait de tourner au scandale, et de ne plus tarder à ouvrir l’église. Mais les marguilliers, espérant toujours que M. Pouliot finirait par renoncer à ce droit pour se rendre aux désirs de la paroisse, ne voulurent pas encore céder. Alors deuxième message à Québec, et, cette fois ordre au marguillier en charge d’ouvrir l’église. Il fallut céder et obéir. Il était près de 11 heures lorsque la messe commença. Ces difficultés et le regret général de ne pas voir le bon père Bedard chanter la première messe dans l’église pour la construction de laquelle il s’était donné tant de trouble, tempéra la joie naturelle des paroissiens dans cette circonstance. Il va sans dire que la première communion des enfants n’eut pas lieu ce jour là.

Après la messe tous les marguilliers allèrent reprocher au vicaire sa conduite peu délicate envers M. Bedard et les paroissiens de Charlesbourg. Ce fut là leur tort. La messe était chantée ; c’était un fait accompli et du domaine de l’histoire : à quoi bon de nouvelles récriminations ?

À son retour dans la paroisse M. Bedard demanda à M. Pouliot si les paroissiens avaient été mécontents parce qu’il n’avait pas fait faire la première communion le jour de la fête de St-Pierre et à cette première messe. « Non, » dit M. Pouliot.

« Eh ! bien, dit M. Bedard, ils n’auraient pas été plus mécontents si vous n’aviez pas chanté la première messe dans la nouvelle église. » C’était une manière délicate de dire à son vicaire qu’il avait eu tort d’agir comme il avait agi.

Les chantres, comme on le sait, ne portaient pas l’habit de chœur, le jupon et le surplis, et n’étaient pas placés dans le sanctuaire dans l’ancienne église ; à la première messe dans l’église actuelle ils firent leur entrée dans le sanctuaire avec les petits servants de messe. C’était du nouveau.

L’église actuelle de Charlesbourg a été bâtie trop tard et trop tôt. Trop tard, puisqu’on la désirait depuis longtemps parceque l’ancienne église était trop petite pour la population, même depuis la séparation de Saint-Ambroise. Trop tôt, car, lorsqu’on l’a construite, on n’avait pas encore le goût de ces magnifiques églises en pierres de rang, ou en pierres de taille, qu’on construit depuis quelques années, et telles que la généreuse et riche paroisse de Charlesbourg pourrait en bâtir aujourd’hui. Les murs de l’église actuelle, par exemple, auraient pu être en pierres de rang, mais on les a crépis entièrement parce qu’alors on croyait en général qu’un ouvrage en maçonnerie n’était pas fini quand on se contentait de tirer les joints. On ne connaissait pas non plus encore d’autre manière de vitrer les châssis qu’avec des petites vitres d’environ huit pouces carrés. Cependant il y avait progrès dans le plan, et on regardait dans le temps comme choses un peu extraordinaires les deux clochers avec leurs flèches couvertes en fer-blanc, le portail avec son grand châssis vénitien, ses trois portes, ses deux statues et sa corniche surmontée d’une urne en pierre de taille… C’était en effet une transition entre les anciennes églises, avec leur petit clocher normand à cheval sur le faite de la couverture et leur extérieur sans ornements, et les magnifiques églises qu’on bâtit aujourd’hui à la campagne

Le 13 juillet 1831, la paroisse de Charlesbourg fut témoin d’une cérémonie bien touchante, et à laquelle M. Bedard voulut donner toute la solennité possible. Ce fut la translation des restes mortels des anciens curés de la paroisse, de la vieille église dans la nouvelle, à laquelle présida Mgr Panet. Il y eut grand concours de prêtres et de peuple. Les ossements de MM. LeBoullenger, Morisseaux, Derome et de Boucherville et de M. Alexis Leclerc avaient été exposés et visités avec respect dans la vieille église le dimanche qui précéda leur inhumation dans l’église actuelle.

Cette inhumation eut lieu après un service solennel auquel assistaient MM. Desjardins, de l’Hôtel-Dieu, Daulé, Pierre Bourget. J.-Bte. Potvin, Thomas Cook, L. Thomas Bedard, Antoine Bedard, Narcisse Trudel, François Bonin, Charles Bégin, Alexis Mailloux, Ignace Bourget, Michel Carrier, Patrick Burke, Chs. F. Cazeau et le Frère Louis, Récollet.

M. Bedard accompagna l’évêque dans ses visites pastorales pendant six ans et eut pour le remplacer comme vicaires : M. Paschal Pouliot, en 1830 ; M. Patrick Burke, depuis la fin de février jusqu’au 1er  octobre 1832 ; M. Olivier Leclerc, en 1833 ; le trop célèbre apostat Chiniquy, en 1834 ; M. James Harper, en 1835, et M. Siméon Marcoux, en 1836.[7]

M. Pierre Villeneuve, curé de Saint-Polycarpe, dans l’Archidiocèse actuel de Montréal, étant malade, fut obligé de laisser sa cure dans l’automne de 1833, et vint demeurer à Charlesbourg, sa paroisse natale, au commencement du mois de novembre, et y demeura jusque vers le milieu de janvier 1834. Il fut alors nommé curé de Berthier de Bellechasse.

Dès l’année 1832, la majorité des habitants du petit Saint-Antoine, ou de Saint-Romain, demandèrent à être séparés de Charlesbourg et à être annexés à Saint-Ambroise, mais M. Bedard s’y opposa alors et il écrivit dans ce sens à Mgr Panet, le 7 octobre 1832. Ce changement ne se fit que vers 1835.

Mgr Signay fit sa première visite pastorale dans la paroisse, le 16 juin 1834. Il ordonna de faire faire des fonts baptismaux au bas de l’église et de cesser de faire les baptêmes au banc-d’œuvre.

Dans l’année 1834, la fabrique acheta une voiture, ou chariot, pour transporter les corps des personnes mortes. Cet usage d’un chariot, généralement répandu aujourd’hui, et avec tant de luxe dans les villes, était bien rare alors et ne faisait que de commencer à s’introduire.

Cependant, autrefois, on avait beaucoup de respect pour les morts et on ne croyait pas devoir les porter autrement que sur les épaules : c’était solennel. Mais en hiver surtout la tâche était parfois bien difficile, et il y avait souvent grand danger pour la santé des porteurs qui arrivaient ruisselant de sueurs à l’église qu’on ne chauffait pas alors, et dans laquelle ils assistaient au service comme dans une glacière. Un de nos plus anciens souvenirs est d’avoir vu passer ainsi porté sur les épaules le corps d’une petite parente du nom de Rosalie Trudelle, morte à l’âge de 7 ans et enterrée le 29 juillet 1826. Les inconvénients de porter ainsi les corps sur les épaules ont fait abandonner cet usage, et d’un autre côté l’usage peu convenable, que la nécessité faisait introduire, de les transporter dans des traineaux ou des voitures ordinaires, ont fait comprendre, presque dans toutes les paroisses, qu’il convient d’avoir des voitures spécialement faites pour transporter les corps des morts.

En 1824 Mgr Plessis avait offert un chapelinat à Mgr Bedard, mais il refusa d’accepter ce poste, donnant pour raisons les dettes qu’il avait à payer, les affaires de Mgr de Boucherville qu’il avait à régler, des pensions dont il s’était chargé et le besoin d’exercice qu’il avait pour maintenir sa santé. « Je suis, disait-il dans sa lettre du 13 septembre de cette année, habitué à une vie agissante et laborieuse ; une vie sédentaire me conduirait bien vite au tombeau. »

M. Bedard, en effet, menait une vie bien active et ne perdait jamais une heure de son temps. On le trouvait toujours occupé à quelques exercices du saint ministère, à étudier, à prier ou à quelqu’ouvrage manuel qu’il aimait et où il se montrait bien habile. On le voyait battre le grain, scier le bois de chauffage, cultiver son jardin et, les jeudis en été, il allait travailler sur sa terre de Vide Poche. Le fruit de tout son travail, sur cette terre de Vide Poche, était pour les pauvres auxquels d’ailleurs il donnait tout son surplus, mais non sans leur reprocher leurs défauts, surtout leur paresse.

Un jour qu’il était occupé à piocher sur cette terre, un de ces paresseux auxquels il aimait à faire la guerre, vint le trouver. — « Bonjour M. le Curé. » — « Bonjour, frère. » — « Il fait bien chaud aujourd’hui » — « Oui, mais il n’y a que les paresseux qui s’en plaignent, » reprit M. Bédard sans discontinuer son travail. Après avoir une autre fois disputé un paresseux qui lui demandait l’aumône. — « Donne-lui, dit-il à sa nièce et en même temps sa ménagère, donne-lui une bonne aumône, il l’a bien gagnée, le hère, car je lui ai donné une sérieuse leçon. » — C’était bien là le Père Bedard, faisant toujours et partout, la guerre aux défauts et aux vices, mais en même temps toujours rempli de pitié et de commisération pour ceux qui les avaient. Prêtre à l’âme vraiment sacerdotale, homme aux vertus austères, mais cachant un cœur d’or sous un extérieur sévère, brûlant d’amour pour Dieu et dévoré de zèle pour le salut des âmes ; tout de feu pour rendre service ; d’une charité qui ne connaissait pas de bornes, n’épargnant ni peine ni fatigue et ne regardant ni au temps, ni à la distance lorsqu’il s’agissait d’aller consoler un malade, réconforter une âme endolorie ou porter secours à un confrère dans quelqu’embarras.

Pour satisfaire le zèle dont il était animé pour le bien des âmes confiées à ses soins, et en même temps pour donner à son corps, dont la forte constitution semblait si bien adaptée à l’énergie de son âme, l’exercice dont il avait continuellement besoin, on le voyait souvent, véritable missionnaire, aller à pied d’une église à l’autre lorsqu’il était chargé de la desserte des deux paroisses de Charlesbourg et de Saint-Ambroise.

Dans ce temps il n’y avait pas à Québec autant de prêtres qu’aujourd’hui et il fallait, pour compléter le nombre voulu de prêtres pour la cérémonie de la consécration des Saintes Huiles, le Jeudi-Saint, avoir recours aux curés voisins de la ville qui se faisaient un plaisir et un honneur d’y assister et de continuer cet ancien usage de leurs prédécesseurs. Souvent dans ce temps de la Semaine Sainte les chemins sont bien difficiles pour les voitures. M. Bedard alors ne faisait pas difficulté de chausser les bottes sauvages et de descendre à pied de Charlesbourg à Québec. Nous l’avons vu nous-même, en 1836, assister à cette cérémonie du Jeudi-Saint et nous n’avons jamais oublié comme chacun aimait à remarquer, parmi tous les prêtres, le petit Père Bedard à la belle chevelure blanche, aux yeux vifs et perçants, à la figure intelligente et dont la voix douce et sympathique, lorsqu’il chantait à son tour l’Ave sanctum oleum, semblait un écho de sa belle âme.

M. Bedard était regardé dans son temps comme le Père Bridaine du Canada. C’était en effet un prédicateur puissant et populaire et, quand il le fallait, sa diction avait tous les charmes et tout l’entrainement des meilleurs orateurs sacrés. Il savait capter l’attention de ses auditeurs tant à la ville, où l’on admirait l’énergique expression de ses gestes et de sa figure, qu’à la campagne où il montrait une profonde connaissance du cœur humain en général et des mœurs du peuple Canadien en particulier.

Il avait parcouru plusieurs fois, comme nous l’avons vu, à la suite de l’évêque dans les visites épiscopales, le diocèse de Québec qui comprenait alors les diocèses actuels des Trois-Rivières, de Nicolet, de Rimouski et de Chicoutimi, et les anciens n’ont pas encore oublié les conférences qu’il faisait alors et qu’il savait rendre si intéressantes par la clarté avec laquelle il développait les principes du dogme et de la morale, par l’à-propos de ses réflexions, par sa phrase toujours à la portée de son auditoire et souvent aussi par l’originalité de ses expressions et de sa mise en scène. C’est ainsi qu’un jour répondant à celui qui faisait la conférence avec lui et qui venait de lui faire l’objection que, si on réglait toujours les difficultés à l’amiable devant le curé ou une personne de confiance, les avocats mourraient de faim ; pour toute réponse à cette objection faite en présence de plusieurs avocats, il dit : « Eh ! bien, s’ils meurent on les enterrera. »

Une autre fois il commença ainsi son instruction : « Je suis le curé de Charlesbourg ; j’ai demandé dernièrement à quelqu’un de mes paroissiens, qui va souvent au marché s’il y avait bien du monde à la ville, il m’a répondu qu’il n’y avait que quelques ivrognes de cette paroisse. » Ce fut son texte et il sut bien le développer.

Tous les ans, à la clôture de la neuvaine, le petit Père Bedard de Charlesbourg, comme on l’appelait ordinairement, montait dans la chaire de la Cathédrale de Québec et, comme on s’y attendait, il y avait foule à vêpres ce jour là, comme plus tard aux Conférences de M. Holmes, et on voyait chacun s’échanger des signes de contentement lorsque le petit Père Bedard passait dans le chœur pour aller demander la bénédiction de l’Évêque. Une fois en chaire, il promenait son regard d’aigle sur tout l’auditoire qu’il semblait avoir fasciné avant même de commencer à parler. On l’écoutait avec attention et les figures étaient souriantes d’approbation lorsque, avec une verve d’éloquence entrainante, il distribuait aux hommes de professions et aux marchands des vérités que son âge et sa réputation de sainteté faisaient accepter volontiers et avec grand profit pour leurs âmes. Il avait parfois des mouvements oratoires pathétiques et d’un effet merveilleux.

Homme éclairé, clairvoyant et de bon conseil il était l’oracle de ses paroissiens, la lumière de ses confrères et, dans les difficultés que rencontrent souvent les Supérieurs Ecclésiastiques, il était un guide sûr et à l’opinion duquel ils aimaient à s’en rapporter. Ils avaient confiance dans sa haute intelligence et dans sa rare perspicacité ; aussi voyait-on souvent l’Évêque de Québec, ou son Coadjuteur, monter à Charlesbourg et honorer de leur visite ce prêtre vénérable et estimable à tous égards.

Une des œuvres les plus méritoires peut-être de M. Bedard, à raison de la vivacité de son caractère, c’est l’abnégation qu’il a pratiquée et la gêne à laquelle il a bien voulu se soumettre pour donner, dans son presbytère, des leçons de latin et de français à des jeunes gens qu’il préparait à faire un cours d’études classiques au Séminaire de Québec. Dans un âge avancé, alors que naturellement on aime la tranquillité, avec un caractère prompt et bouillant, s’astreindre à faire la classe à des enfants, les garder en pension dans son presbytère, endurer leur tapage, condescendre pour les amuser jusqu’à jouer avec eux, quel dévouement ! Et cela il le fit longtemps et pour un grand nombre d’élèves qui tous ont béni ou bénissent encore son nom.

Le premier et le plus ancien des élèves dont il se fit ainsi le maître d’école fut M. J. Frs. Gagnon, longtemps curé de Berthier d’en haut, où il est mort, le 7 avril 1875. Comme on lui demandait un jour pourquoi le nom de M. Bedard lui revenait si souvent dans la conversation, pourquoi il aimait tant à en parler. « C’est que, dit-il, M. Bedard était le modèle d’un bon et saint prêtre et que toute mon ambition est de tâcher de l’imiter et de lui ressembler. » Parmi ses autres élèves on doit citer son neveu le vénérable Monsieur F. X. Delâge, curé de l’Islet pendant 49 ans et qui vient de mourir (12 août 1887) dans la même paroisse à l’âge de 82 ans ; son petit neveu Michel Racine, frère aîné des Évêques de Sherbrooke et de Chicoutimi, professeur et prédicateur distingué, dont le Grand-Vicaire Demers disait que ce n’était pas un homme ordinaire, mais que la mort, qui n’épargne personne, pas même ceux dont les talents donnent les plus belles espérances, est venue frapper à l’âge de 29 ans ; les notaires Thomas Bedard et J. Bte Trudelle ; le Protonotaire Charles Déry ; l’Abbé Charles Beaumont et quelques autres qui n’ont pu faire leurs cours classiques.

Quant à nous-même, qui écrivons ces lignes, nous n’oublierons jamais ce que nous lui devons de reconnaissance pour toutes les bontés qu’il a eu pour nous pendant les dix-huit mois que nous avons passés avec lui dans le vieux presbytère de Charlesbourg, en compagnie de son petit neveu, Antoine Racine, devenu le zélé et éloquent premier évêque de Sherbrooke ; mais alors rempli d’espiègleries et de spirituelles plaisanteries qui égayaient bien son vieux grand oncle. Nous fûmes les deux derniers élèves qu’il eut en pension dans son presbytère et auxquels il fit la classe, en même temps qu’à l’Abbé Charles Beaumont et au fils du Capitaine Joseph Bedard, qui tous deux étaient externes.

M. Bedard, servant Dieu dans la simplicité de son cœur, comme dit l’Écriture, ne tenait pas toujours compte des rubriques et il aimait à faire quelquefois des cérémonies non ordinaires, mais toujours propres à édifier son peuple. Il semblait persuadé que le Bon Dieu avait pour agréable tout ce qui pouvait tendre à cette fin. Ainsi, à la bénédiction du Saint Sacrement avec le Saint Ciboire aux prières du carême, il chantait un cantique et donnait la bénédiction en chantant ces dernières paroles de ce cantique : « Et répandez sur nous vos bénédictions. » — Le jour de la Toussaint au soir, veille du jour des morts, il faisait chanter par un de ses chantres placé dans le jubé le cantique « Ô maudit de ton Dieu. » et lui-même remplissant la partie du damné, répondait du fond de la sacristie dont la porte était ouverte.

M. Bedard mourut subitement, le 9 mai 1837, pendant qu’il était à table pour dîner en compagnie de MM. C. F. Cazeau, alors secrétaire du diocèse, et Ferland vicaire à Saint-Roch de Québec, qui étaient venus lui faire visite. M. Cazeau n’eut que le temps de lui donner l’absolution et de lui faire une onction sous condition. Cette mort inattendue jeta la consternation dans la paroisse qui l’aimait comme un père et le vénérait comme un saint ; elle eût du retentissement dans tout le diocèse, qui avait appris à le connaître, et elle fut particulièrement sensible à Mgr Signay et à son Coadjuteur, Mgr Turgeon, qui avaient tous deux la plus grande confiance dans ses sages avis. Il fut enterré, le 11 mai, dans le chœur de l’église, côté de l’évangile. Il avait 66 ans et 9 mois. Malgré le mauvais état des chemins, à cette époque de l’année, dix-huit prêtres et treize ecclésiastiques du séminaire de Québec assistèrent à sa sépulture qui fut faite par Mgr Turgeon.

Les pleurs qu’on vit couler avec abondance à cette sépulture témoignèrent de l’amour que lui portaient les paroissiens de Charlesbourg qu’il aimait tant lui-même. Il était né et avait passé la plus grande partie de sa vie au milieu d’eux, et ses cendres reposent avec toute une génération de parents et de paroissiens qui attendent avec lui, et comme sous sa protection, le jour du grand réveil.

Dans son testament olographe du 10 avril 1837 M. Bedard avait mis les deux dispositions suivantes :

2o  « Je désire que mon corps soit enterré dans l’église de la paroisse dont je mourrai curé ; je ne veux pas être exposé ; si je meurs n’étant curé on mettra mon corps dans le cimetière de la paroisse où je mourrai, à moins que je meure à Charlesbourg ou à St-Ambroise ; si je meurs accompagnant l’Évêque dans ses visites que mon corps soit mis dans le cimetière de la paroisse où je décéderai. »

3o  « Je donne à la fabrique de Charlesbourg, pour aider à soutenir une école au Trait-Carré, ma maison ainsi que les dépendances, le terrain appartenant autrefois aux Demoiselles Nicolet, la terre de Vide-Poche, la terre de la Rivière Jaune, excepté un arpent que je donne à François Bedard aujourd’hui à mon service ; je fais cette donation à condition que tant que ma sœur, Thérèse Bedard vivra, elle logera dans la maison, jouira sa vie durante du terrain des Demoiselles Nicolet, de la terre de Vide-Poche ; prendra son bois soit à Vide-Poche, soit à la Rivière Jaune. »

« Ce terrain des Demoiselles Nicolet était situé dans le Trait-Carré, au sud du chemin venant de Saint-Joseph et qui conduisait à l’église par un détour qu’on a fait disparaître pour arriver droit à l’église. Mais d’où venaient donc ces Demoiselles Nicolet que les anciens de la paroisse ont connues et dont on parle si souvent encore aujourd’hui ? Nous avons dit que M. Le Boullenger était allié aux premières familles du pays, ou en rapport d’amitié avec elles ; ainsi nous voyons que le 13 février 1730 M. Le Boullenger célébra à Charlesbourg le mariage de Joseph Poulin Nicolet, fils de J. Bte. Poulin « conseiller du roi et son procureur en la jurisdiction royale des Trois-Rivières, » et de Dame Louise Cressé d’une part, et Anne Chéron, fille de Sieur Martin Chéron, Conseiller au Conseil Supérieur de Québec, et de Dame Marie Josephte Le Boullenger, sa sœur, de la paroisse de Québec. De ce mariage de Sieur Poulin Nicolet avec Anne Chéron, nièce de M. Le Boullenger, naquirent les deux Demoiselles Marie-Anne et Marie-Josephte Nicolet qui, ayant perdu leur père en bas âge, vinrent demeurer avec leur mère auprès de leur grand oncle le curé de Charlesbourg. Elles sont mortes toutes deux à Charlesbourg dans un âge bien avancé ; Demoiselle Marie-Anne, le 20 juin 1817, à l’âge de 84 ans et 10 mois, et Demoiselle Marie-Josephte, le 21 juin 1826, à l’âge de 90 ans. Quant à leur mère, Anne Chéron Nicolet, après un veuvage de 40 ans, elle était morte aimée et respectée de tous, le 13 août 1774 à l’âge de 64 ans. Elle fut inhumée dans l’église par M. de Rigauville, en présence du Père Crespel, Récollet et de M. Borel, alors curé de la paroisse.

Voici à présent d’où venait ce terrain des Demoiselles Nicolet que M. Bedard a donné à l’école du Trait-Carré. Louis Jacques, le chef de la famille de ce nom, possédait primitivement ce terrain que M. Morisseaux acquit par échange et qu’il vendit, le 17 décembre 1759, à Dame Anne Chéron, veuve Nicolet et mère des deux Demoiselles Nicolet. L’acte de vente dit que c’est « un terrain de 45 pieds environ, sur la profondeur qu’il peut avoir d’un chemin du roi à l’autre qui conduit à la grande route pour aller à la ville de Québec, borné au nord-est aux représentants de feu André Dubreuil… Avec la maison de 32 sur 20 pieds, pour le prix de douze cents livres et à la condition que demoiselle Geneviève Le Boullenger (sœur du curé) aura droit d’y rester tant qu’elle restera fille, et de régler les droits seigneuriaux avec les Jésuites… » Ces droits furent réglés à la Jeune Lorette, le 12 mars 1760, avec le Père de Glapion.

Le 22 mars 1811, les deux Dlles, Nicolet, vendirent à M. de Bourcherville leur propriété du Trait-Carré et leur terre de Saint-Pierre « pour deux cent cinquante livres de la Province et à la condition de payer aux deux Demoiselles et à la dernière survivante, la rente et pension viagère de vingt-cinq livres, en deux paiements égaux de douze livres et dix shellings. » De plus, par un acte du même jour, M. de Boucherville s’engagea à entretenir et à réparer leur maison et à pourvoir à toutes les charges pour chemins…

M. de Boucherville avait acheté de plus, le 21 janvier 1818, de Jacques Bedard, le terrain sur lequel il fit construire la maison d’école actuelle, dans laquelle il est mort, et qu’il donna par son testament à M. Bedard, ainsi que la propriété des Demoiselles Nicolet. Nous venons de voir que M. Bedard, aussi par son testament, donna toutes ses propriétés à la fabrique pour le soutien de l’école du Trait-Carré.

Les Demoiselles Nicolet ont laissé dans la paroisse la réputation de vrais modèles de respectabilité et de types parfaits de notre ancienne noblesse canadienne. Leur langage même était des plus correct et des mieux soigné, et Madame Crémazie, mère de notre poète Octave Crémazie, étant toute jeune et en vacance chez son oncle le curé Derome, reçut à ce sujet une petite leçon qu’elle aimait à faire connaître. Elle demanda un jour à une de ces Demoiselles un ptit brin d’eau pour boire. — Oui, dit cette Demoiselle, un p’tit brin d’eau, et on dit aussi, un ptit brin d’herbe, un p’tit brin de foin… Madame Crémazie comprit. La maison des Dlles Nicolet était le rendez-vous de plusieurs bonnes vieilles de la paroisse avant les offices du dimanche.

Nous avons dit que M. le curé Antoine Bedard est une des gloires de Charlesbourg, c’est le temps de faire connaître quelques uns de ses parents que la paroisse peut réclamer au même titre.

Le premier de ces parents auquel la paroisse peut se glorifier d’avoir donné naissance est le grand patriote Pierre Bedard, (cousin de M. le curé Bedard, et non son frère, comme dit Garneau), membre de la chambre d’assemblée et mort juge provincial du district des Trois-Rivières.

« Entré au parlement en 1791, dit l’auteur de l’Histoire de cinquante ans, T. P. Bedard, il n’avait pas tardé à passer au premier rang du parti canadien qu’il avait ensuite dirigé pendant tout le temps de sa carrière parlementaire. Doué d’une intelligence d’élite, connaissant à fond le système politique constitutionnel, il savait mettre à profit ses connaissances légales et parlementaires dont il avait fait une étude spéciale ; ces avantages joints à une éloquence mâle et sévère, expliquent l’ascendant extraordinaire qu’il sut exercer sur ses compatriotes tant dans l’assemblée que parmi le peuple.

« À une figure dont les traits, fortement prononcés, étaient irréguliers et durs, dit Garneau, il joignait un maintient peu gracieux et un extérieur très négligé. Bizarre et insouciant par caractère, il prenait peu d’intérêt à la plupart des matières qu’il discutait dans la Chambre et, en général, il parlait négligemment ; mais lorsqu’une question attirait vivement son esprit, il sortait de son indifférence avec une agitation presque fébrile. Embrassant d’un coup d’œil son sujet, il l’abordait largement, mais non sans quelqu’embarras ; en commençant sa parole était difficile et saccadée, mais bientôt la figure énergique de l’orateur s’animait, sa voix devenait ferme et puissante ; de ce moment sa phrase jaillissait avec abondance et avec éclat. Il combattait ses adversaires avec une force de logique irrésistible, et rien n’était capable d’intimider son courage ou de faire fléchir ses convictions. »

Il fut, en 1806, un des fondateurs du Canadien dont les articles indépendants déplurent tellement au gouverneur Craig qu’il retrancha ses fondateurs, c’est-à-dire, Bedard, Panet, Taschereau, Blanchet et Borgia, de la liste des officiers de milice, en 1808. Cela n’empêcha pas Bedard de proclamer le premier, l’année suivante, en plein parlement la nécessité d’un ministère responsable, au grand scandale de Craig et de la bureaucratie anglaise qui l’environnait et l’avisait. On finit par faire saisir le Canadien et emprisonner Bedard, Taschereau et Blanchet, le 19 mars 1810. C’était le règne de la terreur pour les Canadiens. On élargit cependant bientôt les prisonniers, mais Bedard ne voulut pas sortir de prison sans avoir subi auparavant son procès.

La chambre fut convoquée, le 12 décembre de cette année 1810 et elle vota une adresse au gouverneur par laquelle elle le priait de mettre Bedard en liberté. Papineau père fut chargé de voir le gouverneur à ce sujet, mais celui-ci ne voulut pas agir sous cette pression de la chambre. Pendant la session même « Craig, dit Garneau, apprenant que l’Abbé Bedard, curé de Charlesbourg, était en ville, l’avait mandé au Château pour le charger d’informer son frère (nous avons dit qu’il n’était que son cousin) que, s’il voulait reconnaître sa faute, on le laisserait aller sur sa parole. Le prisonnier répondit en termes respectueux mais positif, qu’il ne pouvait demeurer d’accord d’une faute dont il ne se croyait pas coupable. »

Après la session il fut élargi sans condition, et il écrivit alors une lettre à ses électeurs du comté de Surrey pleine des plus beaux sentiments d’un pur patriotisme. Quand reverrons-nous de ces véritables amis de la patrie, la servant sans intérêt particulier et prêts à faire tous les sacrifices pour son honneur et son bonheur !

Autant pour récompenser le mérite de Bedard que pour l’éloigner des luttes qu’il ne cessait de faire contre les ennemis de notre nationalité, il fut nommé juge aux Trois-Rivières où il mourut, le 26 avril 1829, laissant un nom glorieux et aimé dans notre histoire.

La Gazette de Québec, du 30 avril 1829, le seul journal publié alors à Québec, annonçant la mort de ce grand patriote Canadien, se contenta de dire : « Il y avait plusieurs années que M. Bedard était tourmenté d’une maladie qui semblait approchante de l’hydropisie ; environ quinze jours avant sa mort il fut attaqué par une espèce de convulsions causées, à ce qu’on suppose, par de l’eau qui séjournait dans l’estomac ; mais il en fut soulagé peu de temps après l’attaque. Samedi il était sorti et dimanche au soir il expira subitement à l’âge de 67 ans. » Pas un mot de sa vie publique. On était sobre alors d’éloges envers les Canadiens.

Notre historien Garneau, après avoir parlé des luttes pour défendre nos droits auxquelles le nom de Pierre Bedard restera toujours honorablement attaché, terminait par cette réflexion digne d’un historien du peuple canadien : « Les Canadiens sortaient d’une nation trop fière et trop savante pour consentir jamais à abandonner la langue de leurs aïeux. » Si ces nobles paroles étaient gravées sur les murs des édifices publics de nos villes, ou placées en évidence à la ligne qui nous sépare des États-Unis, nous aurions moins de défections à déplorer sous ce rapport ; on verrait moins d’enseignes dans une langue qui indique mieux qu’on est atteint d’une maladie connue sous le nom d’anglomanie, plutôt que l’on a tel ou tel article à vendre ou à confectionner.

M. le curé Bedard avait trois frères et deux sœurs à Charlesbourg. L’un de ces trois frères, Thomas[8] Bedard, qui demeurait sur le bien occupé aujourd’hui par sieur Urbain Bedard, fut membre de l’assemblée législative pour le comté de Québec, qui comprenait alors la banlieue ou Saint-Roch et Saint-Sauveur actuels. C’était avant 1837, et on sait quel désintéressement et quel pur patriotisme animaient alors les vaillants défenseurs de nos institutions, de notre langue et de nos lois qui siégeaient au Parlement. Nouveau Cincinnatus, ce frère du Père Bedard était occupé aux travaux de son champ lorsqu’on vint le prier d’aller prendre la défense de ses compatriotes au conseil de la nation. Content et heureux de pouvoir, tout en continuant à s’occuper des intérêts particuliers de son humble patrimoine, servir les intérêts généraux de son pays, on le vit plusieurs fois vendre d’abord au marché les produits de sa terre, puis aller siéger au milieu de ces grands patriotes qui avaient noms Papineau, Bourdages, Caron, Blanchet…

Il avait vendu un jour un voyage de foin à un des premiers bourgeois Anglais de Québec, et quand il eut fini de le décharger, il demanda à ce monsieur de vouloir bien lui permettre de mettre son cheval dans son écurie. — « Est-ce pour bien longtemps ? » — « Je ne sais pas, car je suis membre pour le Comté de Québec et il faut que j’aille à la Chambre ; je ne peux pas dire si la séance sera longue. » — Et le bourgeois dans l’admiration, non-seulement lui permit de placer son cheval dans son écurie, mais il le fit entrer dans sa maison pour converser un instant et il se plaisait à raconter ce petit fat, comme bien honorable pour celui qui en avait été l’auteur et pour le peuple qu’il représentait.

Il n’était pas le seul dans cette pléiade de patriotes qui faisaient ainsi tout bonnement et sans s’en douter des choses dignes d’éloge et d’admiration, bien que communes en apparence. Qui n’a pas entendu parler du capitaine Cimon, qui prenait sa pension à l’Hôtel de sa goélette, au Palais, pendant les sessions de la Chambre, dont il était membre pour le Comté actuel de Charlevoix ? Et qui pourrait refuser son admiration au capitaine Charles Blouin, membre pour l’Île d’Orléans, qui, fidèle à tous ses devoirs, se leva un jour, pendant que la Chambre siégeait dans le temps pascal, et demanda à l’Orateur un petit congé pour aller faire ses pâques dans sa paroisse de Saint-Jean de l’Île d’Orléans ? Nous pouvons être fiers de cette époque de notre histoire où régnait l’amour du devoir joint au plus pur patriotisme ; époque qu’on pourrait appeler les temps héroïques de la constitution que l’Angleterre nous avait libéralement donnée, mais qu’il a fallu arracher de force à ses représentants en Canada, et surtout à la bureaucratie qui les environnait, par une lutte de plus de 40 ans et par le sang de nos compatriotes versé en 1837 et 1838.

Comme nous l’avons dit, M. Bedard avait deux sœurs à Charlesbourg, la mère Pepin et la tante Thérèse qui, sous ces deux noms, ont laissé dans la paroisse la réputation de modèles des vertus les plus solides. La mère Pepin, aïeule de feu M. Michel Racine et de ses deux frères les Évêques de Sherbrooke et de Chicoutimi, était bien la femme forte de l’Écriture-Sainte. On pouvait dire d’elle surtout « manum suam aperuit inopi, elle a ouvert sa main à l’indigent, » car, sous un extérieur sévère et rigide, elle cachait, comme son frère et son curé, le cœur le plus sensible pour toutes les misères de l’humanité. On la voyait souvent, tout en disputant les pauvres sur leur malpropreté et leur peu de conduite, nettoyer et raccommoder leurs haillons, leur donner à manger ou les renvoyer avec une abondante aumône. Quant à la tante Thérèse, ancienne ménagère de son frère, résidant à la maison d’école du Trait-Carré, elle se rendait utile à tous ceux à qui elle pouvait rendre service et semblait personnifier le modèle des vieilles filles vivant dans la véritable piété qui exclut le bigotisme dans lequel tombent souvent ces personnes.

Après la mort de M. Bedard et avant la nomination de son successeur, Mgr Signay nomma, le 20 mai 1837, M. C F. Cazeau, son secrétaire, député pour aller tenir une assemblée à Charlesbourg, afin de régler l’affaire d’un supplément à payer au curé. Cette assemblée eut lieu le 28 mai et il fut décidé que la fabrique paierait à l’avenir trente louis ($120) au curé qu’il plaira à l’évêque de nommer et ce « jusqu’à ce que de meilleures années permettent aux curés de se passer de ce supplément. »


MONSIEUR PIERRE ROY
16ème Desservant et 8ème Curé

Après la mort de M. Bedard, il y eut un petit interrègne pendant lequel MM. C. F. Cazeau, Bedard de l’Hôpital-Général, Hilaire Bellisle et Alain vinrent à Charlesbourg en attendant l’arrivée de son successeur qui fut M. Pierre Roy, alors curé de l’Isle-aux-Grues. Il fut nommé curé de Charlesbourg, le 3 juin, par Mgr Signay, et vint prendre possession de sa nouvelle cure peu de jour après sa nomination.

M. Pierre Roy, dit l’abbé Tanguay : « né à St. Charles Rivière Boyer, le 24 août 1800, fils de Pierre Roy et de Geneviève Bilodeau, ordonné le 11 juin 1826 ; vicaire à St. Gervais ; 1828, missionnaire à Arichat ; 1832, curé à Cacouna ; 1834, de l’Isle-aux-Grues ; 1837, de Charlesbourg où il décédé, le 14 juillet 1847, à l’âge de 47 ans. »

M. Roy était un bon et saint prêtre, plein de bonne volonté et rempli aussi d’humilité, base de toutes les vertus. Son règne a été heureux et pacifique, mais il a eu le tort de venir après M. Bedard et de remplacer un curé qu’on ne pouvait oublier. Aussi, tout en reconnaissant le mérite et les vertus de leur nouveau curé, les paroissiens ne pouvaient pas s’empêcher d’ajouter, lorsqu’ils parlaient de lui, que ce n’était M. Bedard.

Quoiqu’il en soit, M. Roy était à peine installé à Charlesbourg, qu’il s’occupa des travaux à faire au presbytère et à ses dépendances, ainsi qu’aux murs de cimetière, et, dans cette même année de son arrivée, il y eut quatre assemblées relativement à ces travaux et aussi au sujet d’une chapelle des morts que la paroisse décida de construire, dans une assemblée du 3 septembre de cette année.

Sous M. Roy, la question de l’admission des notables aux assemblées de fabrique, se présenta plus forte que jamais. Dans une lettre du 22 mai 1838, à Mgr Signay, M. Roy se plaignit de ce que les notables persistaient à assister aux délibérations de la fabrique, depuis 14 ou 15 ans. Le même envahissement se faisait plus ou moins dans les autres paroisses et, plutôt que de laisser le flot populaire pénétrer de force dans les sacristies, Mgr Signay, crut devoir céder enfin aux sollicitations qui lui venaient de toute part et, le 25 novembre 1843, il adressa au clergé une circulaire permettant d’admettre les paroissiens propriétaires aux assemblées pour élections et redditions de comptes. Il paraît qu’à Charlesbourg les notables ne se contentèrent pas de cette concession et voulaient être admis à toutes les assemblées de la fabrique, sans exception. M. Roy consulta encore Mgr Signay, qui lui répondit qu’il ne devait admettre les notables aux assemblées que pour les élections des marguilliers et les redditions de comptes seulement et non pour les dépenses qui ne regardent que les marguilliers élus pour gérer les affaires.

Vint plus tard la question de la présidence des assemblées qu’en différentes paroisses on voulait ôter aux curés, auxquels l’usage primitif donnait ce droit. Cette objection à la présidence des assemblées par le curé fut soulevée pour la première fois à Charlesbourg, dans une assemblée de la paroisse, convoquée le 20 août 1843, par M. Roy, pour considérer s’il ne serait pas possible de prolonger droit à l’église, le chemin venant du village de Saint-Joseph, comme on le voit aujourd’hui, afin d’éviter le petit détour qu’il faisait alors au sud dans le Trait-Carré. Le Major Renaud, qui s’était constitué le tribun du peuple depuis plusieurs années et qui agissait en cette qualité, surtout depuis la mort de M. Bedard, objecta tout d’abord que l’assemblée n’avait pas été convoquée régulièrement, parce que M. Roy n’avait pas fait mention des marguilliers dans l’annonce de convocation au prône. L’assemblée fut donc congédiée et remise au dimanche suivant, et cette fois elle fut convoquée de manière à satisfaire les exigences des plus difficiles à contenter sous le rapport de la légalité. Mais voici bien une autre affaire : avant que la nouvelle assemblée commença à délibérer, le Major Renaud prétendit qu’elle devait être présidée par le marguillier en charge. Comme son opinion était partagée par quelques autres membres de cette assemblée, M. Roy crut prudemment devoir se retirer à son presbytère et, le pasteur n’étant plus au milieu de ses brebis, celles-ci se dispersèrent et rien ne fut fait ce jour là. On consulta de part et d’autre, et finalement le curé de Charlesbourg garda l’usage de présider les assemblées, et cet usage ancien devint définitivement loi pour toute la province de Québec, après le jugement de la Cour d’Appel du mois de mars 1860 en faveur des curés.

Ces incidents firent perdre de vue pendant trois ans le projet sur lequel on voulait délibérer dans les deux assemblées dont on vient de parler. Mais enfin, le 10 août 1846, on adressa une requête à Mgr Signay lui demandant la permission de continuer, sur le terrain de la fabrique, le chemin venant du village de Saint-Joseph, afin d’arriver à l’église sans détour. Il y eut une nouvelle assemblée et il fut décidé que cela se ferait, mais à la condition « que les intéressés se chargeraient de remettre à la fabrique la même quantité de terrain du côté sud par la cession de l’ancien chemin, après en avoir obtenu l’agrément de Monseigneur l’Archevêque de Québec. » Cet agrément fut donné le 13 août et le chemin se fit moyennant l’échange de terrain convenu.

Le 15 juin 1839 avait eu lieu la visite pastorale de Mgr Signay qui fit quelques ordonnances de peu d’importance et approuva un nouveau tarif pour la paroisse. Il fit encore une visite sous M. Roy, le 18 juin 1844, et recommanda de continuer l’usage de faire la quête de l’Enfant-Jésus.

Le 4 mars 1841 on nomma un conseil de cinq membres chargés de faire faire le retable du chœur et des chapelles ainsi que la chaire et le banc d’œuvre. L’entreprise fut donnée à M. André Paquet qui avait fait la voûte. On ne pouvait mieux faire, car c’était un excellent ouvrier et remarquable par le fini d’exécution qu’il donnait à son ouvrage. Outre l’intérieur de l’église de Charlesbourg, c’est lui qui a fait les travaux de menuiserie et de sculpture de l’intérieur des églises de Saint-Charles de la Rivière Boyer, de Sainte-Croix et de Lotbinière, et il est difficile de trouver mieux en Canada.

Pendant que M. Roy était curé on fit une collecte qui s’éleva à $152.45 pour acheter le chemin de la croix actuel dont le coût et les frais d’installation s’élevèrent à $148.80. Mgr Signay donna la permission de l’ériger le 8 juin 1843.

La chapelle latérale du côté de l’épître dans l’église actuelle était d’abord consacrée à la Sainte-Vierge et celle du côté de l’évangile à Saint-Antoine, patron de M. Bedard ; M. Roy demanda à Mgr Signay, le 23 août 1844, et obtint la permission de changer cette disposition donnant pour principale raison que les femmes, qui n’ont pas de bancs, se placent dans l’allée du côté de l’évangile.

Le 13 avril 1845 seulement on accepta dans une assemblée de la paroisse le legs fait par M. Bedard, dans son testament, pour l’école du Trait-Carré de tous ses biens immeubles avec les réserves mentionnées. Ces réserves étaient l’objection qu’on eut à accepter ce legs.

M. Roy est le dernier curé qui a habité le vieux presbytère à deux étages du bon temps passé. Il avait réussi à décider la paroisse à nommer des syndics chargés avec lui de remplacer ce vieux presbytère par une bâtisse dans le nouveau goût.

Les travaux avaient été commencés et poursuivis avec vigueur en 1846 et, au 26 avril 1847, un marché fut passé avec Jérémie Bedard pour terminer cette bâtisse. M. Roy, qui était en pension dans le Trait-Carré depuis qu’on avait détruit le vieux presbytère, en 1846, se préparait à y entrer bientôt lorsque la mort vint le surprendre.

Les mois de l’été de 1847 sont demeurés tristement célèbres par ce flot extraordinaire d’émigration d’Irlandais malheureux qui débarquèrent à la Grosse-Isle, atteints des fièvres typhoïdes. M. Roy, comme un bon nombre de ses confrères pouvant parler l’anglais, fut appelé à faire le sacrifice héroïque de sa vie pour aller au secours de ces infortunés malades. Il partit à la Saint-Pierre, passa quelques jours seulement à la Grosse-Isle où il fut atteint du typhus, et revint à Charlesbourg où il mourut le 14 juillet 1847. Il fut enterré le 16, auprès de M. Ant. Bedard, par M. Thomas Bedard, chapelain de l’Hôpital-Général, en présence d’un grand nombre de ses confrères et d’un grand concours de paroissiens que cette mort si prompte avait profondément affligés.

Dans l’interrègne de deux mois et demi compris entre le décès de M. Roy et l’arrivée de son successeur, M. Payment, à la fin de septembre de la même année, la paroisse fut successivement desservie par MM. Chs. Beaumont, Charles Tardif, Maxime Tardif et Charles Trudelle qui y passèrent chacun quelque temps. M. Loranger, alors chapelain de l’Hôtel-Dieu, vint y présider les assemblées des syndics nommés pour faire terminer le presbytère.

  1. Dans les comptes de cette même année 1809 on voit une entrée de 495 livres de vingt copres, pour vingt sous. Le vrai mot est copper, anglais. Déjà l’anglomanie commençait à se répandre et autrefois plus qu’aujourd’hui on disait, à la campagne surtout, copres ou copes au lieu de sous.
  2. Dans une circulaire manuscrite de Mgr Briand aux curés, en date du 16 octobre 1768 il disait : « Vous accorderez au premier baillif de votre paroisse le 1er  banc de l’église et vous lui ferez rendre les mêmes honneurs qu’on rendait cy-devant aux capitaines de milice. C’est un article sur lequel il (le gouverneur Carleton) me prie de vous marquer sa volonté. »

    N. B. — Ce banc est le 1er  de la rangée du milieu, du côté de l’épitre. S’il est occupé, la fabrique rendrait le prix de l’adjudication à ceux qui le posséderaient, soit de tout temps, soit depuis que les Capitaines ont été retranchés. »

  3. L’abbé Tanguay dit à tort qu’il était né à Québec.
  4. Voici la date des différents marchés passés pour la construction de l’église :

    Le 20 février 1828 marché avec Noël Dorion pour les portes et les fenêtres.

    Le même jour, avec Antoine et Régis Lapointe pour la charpente, les clochers…

    Le 23 septembre 1828, marché avec Jean Guénard et Étienne Audy pour couvrir en planche.

    Le 12 décembre 1828, marché entre Ét. Barreau, de Deschambault, et Jean Trudelle, un des syndics, pour 70 mille bardeaux de cèdre à être livrés et reçus au Palais, partie en mai et partie en juin 1829.

    Le 15 juillet 1829, marché avec Frs. Barbeau pour couvrir en bardeau, ouvrage à finir soit dans l’année, soit en 1830.

    Le 31 décembre 1829, marché avec Noël Dorion et Frs. Magnan pour le plancher de la nef et du chœur.

    Le 26 mars 1830, marché avec Charles Pageot pour faire le jubé, les escaliers…

    Le 19 novembre 1833 marché avec André Paquet pour la voûte — ouvrage à livrer dans deux ans, c’est-à-dire, au 19 novembre 1835.

    Le 8 mai 1841 pendant que M. Roy était curé, nouveau marché avec André Paquet pour les tombeaux des autels, les balustres… André Paquet donne quittance pour le parfait paiement de tous ses travaux à l’église, le 2 octobre 1849.

  5. Texte de l’acte : « Anno Domini MDCCCXXX die vigesimâ quintâ Maii, ego Josephus Signay, Episcopus Fissulanus Coadjutor Illustrissimi ac Reverendissimi D. D. Bernardi Claudii Panet Episcopi Quebecensis, consecravi ecclcsiam et attare in honorem Sancti Caroli, et reliquias Sanctorum Martyrum Clementis, Vitalis et Fidelis in prædicto altari inclusi, et singulis Christi fidelibus hodie unum annum, et in die anniversario consecrationis hujusmodi ipsam visitantibus, quadraginta dies de verâ indulgentià, in formâ ecclesiæ consuetâ, concessi. »
  6. La veuve de ce M. Lefrançois, que nous avons connue, tenait une petite librairie sur les remparts, près de l’Université. C’est elle qui, offrant un jour à un acheteur les œuvres de Saint Liguori qui venaient de paraître, disait avec complaisance : « Voici St Alphonse avec tout son Liguori, » voulant dire toutes les œuvres de Saint Alphonse de Liguori.
  7. En 1836, on vendit du bois et des ferrailles de la vieille église, ce qui indique qu’elle a été détruite cette année là ou l’année précédente.
  8. Jean-Baptiste était mort en novembre 1816.