Paris en l’an 2000/Maisons-modèles

Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 13-17).

§ 3.

Maisons-modèles.

Cependant, les architectes à qui on avait livré les maisons de Paris ne s’étaient pas contentés d’y ouvrir les rues-galeries dont nous avons parié, mais ils étaient montés aux étages supérieurs, et là ils avaient aussi percé les murs mitoyens et fait communiquer toutes les habitations entre elles.

Bien entendu, cette nouvelle circulation n’avait pas lieu dans des rues-galeries qui eussent perdu trop d’espace, mais elle se faisait à l’aide de couloirs plus ou moins obscurs, étroits et contournés. Grâce à ces corridors qui circulaient dans tout un pâté de maisons, on pouvait en quelques instants se rendre dans tout le voisinage, et cela, sans avoir fait un seul pas inutile et sans être pour ainsi dire sorti de chez soi. De petites passerelles jetées sur les rues reliaient les uns aux autres les couloirs des étages supérieurs, et formaient un nouveau système de communication qui embrassait dans son réseau toutes les maisons d’un même quartier et ne se trouvait interrompu que sur les quais et les boulevards. Ces petits passages furent trouvés immédiatement d’un usage très-commode et les habitants ne manquaient pas de les prendre pour aller chez les voisins ou quand ils sortaient en toilette négligée.

Lorsque les architectes eurent achevé tous ces percements et qu’ils se virent sans ouvrage, ils commencèrent à poursuivre le Gouvernement avec leurs plans de maisons-modèles et comme le Trésor public était en fonds, grâce au rendement de l’impôt sur le revenu, il ne leur fut pas bien difficile d’obtenir l’exécution des travaux qu’ils demandaient.

On démolit donc aussitôt toutes les vieilles maisons mal construites, mal aérées et mal distribuées, et, sur leur emplacement, on bâtit des cités-modèles disposées de la manière suivante :

Chaque nouvelle construction forme un grand carré dont le milieu est vide et se trouve occupé par des cours et des jardins.

Les sous-sols, très-spacieux et bien éclairés, communiquent tous ensemble. Ils forment de longues galeries qui suivent le trajet des rues et où l’on a établi un chemin de fer souterrain. Ce chemin de fer n’est pas destiné aux voyageurs, mais seulement aux marchandises encombrantes, au vin, au bois, au charbon, etc., qu’il transporte jusque dans l’intérieur des maisons. De vastes magasins situés au bord de la voie servent à recevoir tous les produits qui ne craignent pas l’humidité. Enfin, ces sous-sols contiennent encore des conduites d’eau et de gaz, des tuyaux à air pour le service de la Poste, et d’immenses tonnes-mobiles qui remplacent les anciennes fosses d’aisance et que le chemin de fer emporte au loin dès qu’elles sont remplies. À mesure que les constructions nouvelles prirent la place des anciennes, ces voies ferrées souterraines acquirent une importance de plus en plus grande, et elles ne tardèrent pas à former un réseau complet qui desservait des quartiers entiers.

Le rez-de-chaussée des maisons-modèles est distribué en vastes salles bien aérées et bien éclairées. Celles-ci généralement ne sont pas habitées, mais elles servent d’ateliers pour les diverses industries ou encore de magasins de gros pour toutes les marchandises qui ont besoin d’être au sec.

Le premier étage est occupé par des rues-galeries de dimensions inégales. Le long des grandes voies, elles tiennent toute la largeur du bâtiment et sont hautes en proportion. Magnifiquement meublées et décorées, elles forment les rues-salons dont on lira plus loin la description. Les autres galeries beaucoup moins spacieuses sont plus modestement ornées. On les a réservées au commerce de détail qui y fait l’étalage de ses marchandises de manière que les passants circulent non plus devant les magasins mais dans leur intérieur même, et se trouvent ainsi plus vivement tentés par les objets placés sous leurs yeux.

Aux étages supérieurs, les maisons-modèles sont distribuées en une multitude de chambres plus ou moins grandes, éclairées, les unes sur la rue, les autres sur la cour. Toutes s’ouvrent sur un corridor central qui parcourt toute la longueur du bâtiment. Ce corridor aboutit à ses deux extrémités à des escaliers monumentaux qui occupent les quatre angles de l’édifice et établissent une large communication entre tous les étages. De plus, pour la commodité des habitants, au milieu de chaque corridor on trouve un petit escalier tournant qui conduit rapidement d’un étage à un autre et dispense de faire le tour par les grands escaliers des coins. Enfin un ascenseur mécanique, descendant jusque dans les caves, permet de hisser à tous les étages, les meubles, le combustible, les colis, ainsi que les personnes qui demeurent un peu haut et n’aiment pas à se fatiguer.

Les maisons-modèles s’élèvent ainsi à une hauteur de 10 étages. Les architectes proposaient de porter ceux-ci au nombre de 15 et même de 18 afin de réaliser de plus grandes économies sur les frais de construction. Mais le Gouvernement n’a pas adopté ces projets qui auraient fait demeurer les citoyens trop haut et les auraient obligés à des ascensions trop pénibles.

Enfin, n’oublions pas de le dire, toutes les cités-modèles sont reliées-ensemble et aux anciennes maisons, par de larges ponts couverts et de nombreuses passerelles, qui permettent de circuler dans tous les sens et à la hauteur de tous les étages.


Cependant, tout en s’occupant activement de transformer Paris, le Gouvernement de la République sociale ne négligeait pas la province. Dans toutes les villes, même celles de la moindre importance, il expropriait les maisons des particuliers, il perçait des rues-galeries, il construisait des maisons-modèles, se souvenant toujours que si l’esprit de la France est centralisé à Paris, l’activité de Paris doit se répandre et se faire sentir dans tout le reste de la France.