Paris en l’an 2000/Commerce

Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 39-43).

§ 2.

Commerce.

Chez les Républicains de l’an 2000, le Commerce est sévèrement interdit aux particuliers, et c’est le Gouvernement qui se charge de faire vendre, par ses employés, tous les produits de la petite industrie et tous ceux qui sortent de ses propres établissements.

On a déjà parlé des magasins de gros et de détail installés au rez-de-chaussée et dans les rues-galeries des maisons-modèles. Tous ces magasins sont tenus par des employés de l’État et les bénéfices considérables qui résultent de la vente entrent dans le Trésor et sont affectés aux dépenses publiques.

Remarquons-le bien ici, chez les Socialistes, le Gouvernement fait le commerce et vend tout, mais, sauf les produits des usines nationales, il ne fabrique absolument rien lui-même et laisse ce soin à l’initiative individuelle. Ainsi, pour en citer un exemple, dans un restaurant, les agents salariés par l’État se bornent à servir le public et à tenir les livres et la caisse ; mais, le restaurateur, c’est-à-dire celui qui va aux approvisionnements et fait la cuisine, n’est pas lui un employé, c’est un industriel à son compte et parfaitement libre, à qui l’Administration achète ses produits pour les revendre aux consommateurs.

Il en est de même pour tous les autres commerces ; l’État vend du pain, du vin, des légumes, des habits, de la quinquaillerie, etc., mais il ne fabrique aucun de ces objets et il se borne toujours à servir d’intermédiaire entre l’acheteur et le producteur. Vendre un produit fait par un autre n’est pas une tâche bien difficile, et des agents salariés peuvent parfaitement être chargés de ce soin et s’en acquitter très-convenablement.


Cependant, dès que le Pouvoir eut fait connaître son intention de supprimer la liberté du Commerce et de faire faire toutes les ventes par ses employés, il s’éleva une clameur formidable parmi les négociants et les débitants. Ils disaient que la liberté des transactions était absolument indispensable à la prospérité de la France et que laisser tout vendre par l’État, c’était livrer le Pays au chancre rongeur du fonctionnarisme et attirer sur la Nation les plus épouvantables catastrophes. Bien plus, ils signèrent une pétition collective très-menaçante où ils réclamaient en termes énergiques la liberté du Commerce et se déclaraient prêts à tout braver si on ne la leur accordait pas.

Le Gouvernement socialiste, à la lecture de cette pétition, fut fort perplexe et il se demandait avec anxiété comment il pourrait désarmer cette formidable opposition, lorsque heureusement, dès le soir même, il reçut une multitude de lettres qui le rassurèrent complètement. C’étaient les signataires de la pétition qui exprimaient leurs regrets de l’avoir approuvée ; ils affirmaient que leurs signatures avaient été surprises dans un moment d’entraînement irréfléchi, et tous terminaient leur épître en demandant à être compris au nombre des employés de l’État chargés à l’avenir d’opérer toutes les ventes.

Trop heureux d’en être quitte à si bon marché, le Gouvernement accueillit favorablement la plupart de ces demandes et se mit en devoir d’organiser le Commerce.

On commença par exproprier les marchandises des anciens négociants qui furent remboursés en rentes viagères ; puis, dans les rues-galeries qui venaient d’être percées, on installa tous les magasins de détail, tandis que les rez-de-chaussée furent réservés pour le gros. Naturellement, tous ces magasins furent répartis équitablement entre les divers quartiers, et l’on eut soin d’en proportionner rigoureusement le nombre aux besoins de la consommation, de manière à éviter tout double emploi.

Chose remarquable et qui prouve assez tous les avantages de l’organisation, dix nouveaux magasins bien approvisionnés remplaçaient à eux seuls plus de cinq cents boutiques, et les consommateurs, bien loin d’être lésés par cette centralisation de la vente, y gagnaient plus de variété dans les assortiments et surtout une grande diminution sur les prix.

Vendant tout par immenses quantités, l’Administration se contentait sur chaque article d’un petit bénéfice de 3, 4 ou 5 p. 100, et ce mince profit non-seulement payait tous les frais, mais rapportait encore chaque année des sommes énormes et devenait ainsi le plus fructueux et le plus léger des impôts. Aussi, de toutes les réformes socialistes, celle qui mit le Commerce entre les mains de l’État fut-elle une des plus fécondes, et elle réalisa immédiatement cette vie à bon marché que tant de Gouvernements avaient promise au Peuple sans jamais la lui donner.