Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/18

(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. 205-210).
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XVIII


Les intervertis. — Physiologie particulière. — Bouges de la pédérastie. — Cosmopolitisme. — Rastas. — Les tantes.


Le pédéraste est le Basile de l’érotisme. Dans ses relations sociales il affecte une guindance outrée, une austérité de principes conservateurs, l’intransigeance vertueuse des cafards. Tout est louche, faux en lui ; sa vie n’est qu’une perpétuelle hypocrisie, une répétition de mensonges, car son vice, que la loi romaine décrétait infâme, dérive directement de sa perversion conscientielle.

Je parle du pédéraste volontaire, libre de ses actes et de sa volonté, moralement bien en dessous des malheureux que la tourmente des enfers sociaux bestialise forcément, et dont les actes, plutôt accidentels que d’habitude, ne comportent qu’une responsabilité très atténuée. L’abstinent sexuel du cloître et l’interne pénal en font deux condamnés à l’anomalie de l’amour. Dans l’ordre moral, la colonisation des bagnes et des prisons ne s’impose pas moins que la dispersion des congrégations fermées : la contamination du vice y est la même, également infectieuse.

La névrose pédérastique n’a aucun rapport avec l’anormal féminin ; les vices sexuels de la femme, solitaires et dans ses rapports avec l’homme, ne sont le plus souvent qu’une perturbation idiosyncrasique momentanée, une superposition passionnelle précipitée par l’incandescence cérébrale. Tous les actes de l’interverti actif sont au contraire réfléchis, méthodiques, préexistants dans la volonté.

La pédérastie passive professionnelle est le dernier terme de la crapulosité. L’attention des magistrats ne peut être assez éveillée, lorsque des dénonciations d’actes immoraux, dont la répression est prévue par la loi, émanent d’intervertis de l’espèce. Sans m’arrêter aux fortes présomptions de chantage dont ils sont coutumiers, il a été maintes fois prouvé que ces dénonciateurs, ordinairement des enfants de douze à quinze ans, obéissaient à une autosuggestion dont des exploiteurs professionnels sont les librettistes. Que d’honnêtes gens ont ainsi vu leur nom livré à une publicité scandaleuse ! Un brave curé des Ardennes fut ainsi accusé, alors qu’il se trouvait à vingt lieues de l’endroit, le jour et à l’heure où l’enfant soutenait, avec une précision troublante, que le fait s’était passé et dont il prétendait avoir été la victime. La politique féroce s’empara de l’affaire, et malgré l’ordonnance de non-lieu qui innocentait le prêtre, les torchons de l’arrondissement ne cessèrent de le vilipender. Il en est mort de chagrin. À sa place, j’aurais pris un revolver et je serais allé brûler la cervelle au premier salivard, jeanfoutre bon à pendre et bon à vendre.

La pédérastie n’est pas particulière à la France ; ce sont les Levantins qui lui ont inoculé ce poison avec beaucoup d’autres. On y professe à un trop haut degré le culte de la femme pour craindre qu’elle se généralise. Ce fut une des plus terribles accusations lancées contre les Templiers.

Il est cependant à Paris et dans certaines grandes villes, dont je n’exclus pas Marseille, des bordels pédérastiques tenus par des maquerelles, qui sont quelquefois des maquereaux.

Le personnel est composé de jeunes gens de seize à vingt ans, épilés, d’une effémination qui va quelquefois jusqu’à la castration, frisés, parfumés, le corps nu sous une longue robe flottante. Parqués dans des salles — des bouges bachiques — ou dans des salons qui rappellent ceux des maisons de tolérance, ils attendent, en putains professionnelles, le client qui éclaire.

Des cabarets ou brasseries à femmes, aux fenêtres closes de rideaux, bizarres indicateurs, leur servent aussi de repaires.

Ce personnel est composé en majeure partie de Méridionaux : Italiens et autres Méditerranéens, d’Orientaux et Turcs Levantins. On y trouve parfois des Africains berbères ou nègres.

Comme pour les maisons de prostitution spéciales dont il a été parlé, il existe des agences qui fournissent à ces bouges et à domicile les sujets de pédérastie passive.

On désigne sous le nom de tante — terme d’argot — les pédérastes passifs ambulants, et spécialement les pédérastes à deux fins, vivant en communauté maritale.

Il est de ces ménages qui durent vingt, trente, quarante ans. À tour de rôle quotidien, les conjoints sont homme ou femme. Celui dont le jour est d’être femme, fait la popote, récure, lave, reçoit les baisers, les bourrades et souvent les taloches de l’autre, car on y est très jaloux.

Dans d’autres, le rôle femme est continuellement tenu par le même, affublé d’un nom féminin, et on y entend des choses de l’espèce, dites avec conviction par des similis qui ont quarante, cinquante, soixante ans :

— Viens, Marie, que j’embrasse ta jolie bouche, tes beaux yeux…

— D’où viens-tu encore, coureuse, salope, chienne de garce ? Tu as encore été te faire f… par un de tes types ? Que je t’y prenne, tu verras la fessée que tu recevras. Putain, chameau, fainéante ! Tantôt je devrai rassercir mes chaussettes et coudre des boutons à mes chemises moi-même, parce que Madame n’a que le temps de se bichonner et de coqueter !

— Je te jure, chéri, que je n’ai rien fait de mal ; je n’aime, je n’adore que toi.

Le rasta jouisseur est l’amphibie de la prostitution.

Nice, Monte-Carlo, Monaco et Paris ont connu le vicomte de… et sa smala, composée de sa femme, de ses deux grandes filles et d’un rastaquouère qui se donnait du comte, portant partout beau. Le ménage faisait d’un bout de l’année à l’autre la navette entre ces quatre villes, se livrant à un raccrochage des plus lucratifs.

Le rasta était l’interverti passif du père, le sigisbée de la mère et il couchait avec les deux filles, tout en rapportant au ménage autant d’argent que les trois femmes ensemble.

Le commerce devait marcher dans les grands prix, car chaque jour le pseudo-comte s’offrait quatre énormes bouquets qu’il se partageait avec ces dames.

Les deux filles ont trouvé épouseurs !

Ceci est un de mes documents.

J’en ai entendu dire une autre à un dîner officiel, par un député. Cela pourrait bien être une blague.

M. P…, fabricant de canules à coulisse, avait introduit un jeune homme dans sa maison. Tout en perfectionnant ses canules qui, d’à coulisse, étaient devenues mécaniques, il s’aperçut un certain jour que son protégé l’avait fait cocu et avait débauché ses deux filles.

Il rumina longtemps sa vengeance. Enfin, un soir, tenant le séducteur sous clef dans son bureau, il prit un revolver chargé, le déposa bien en vue sur la tablette de la cheminée et lui dit en mettant pantalon bas :

— Embrasse mon c…, tu auras ainsi b… toute la famille.

Le rôle de l’interverti passif n’est pas sans danger ; comme les femmes qui se prêtent à l’intervertissement, ils sont sujets à une infirmité qui peut devenir chancreuse, la cristaline. L’opération qu’elle nécessite est des plus dangereuses.

On ne viole pas impunément les lois de la nature.

À titre d’observation pathologique, je signale encore comme particulièrement déséquilibrant, la pédérastie sèche, subversion de la masturbation féminine. C’est le cas de dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle.