Calmann Lévy, éditeur (p. 75-82).

SI J’ÉTAIS HOMME !




Poésie pour les hommes seuls.




Dite par Mme Céline Chaumont.



Dans maints discours remplis de flammes
Nous répétons, nous autres femmes,
Avec un grand air irrité,
Qu’en vous montrant un peu… volages,
Messieurs, vous êtes, sans ambages,
Des monstres de perversité.

Mais moi, franche et sincère en somme,
Je vous l’avouerai de bien près…
Si jamais je devenais homme,
Quel beau garnement je ferais !

Loin de ces mille caquetages,
Cancans, potins et popotages
Qui bourdonnent dans les salons,
Marcher le chapeau sur l’oreille,
Cigare aux dents, mine vermeille,
Porter moustache et pantalons !
Hardiment, de quoi qu’on vous somme,
Agir sans crainte et sans regrets…
Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !

Ce doit être chose si douce
D’aller où le désir vous pousse,
Où vous entraîne votre choix,
Et, tant que l’état peut vous plaire,

De demeurer célibataire…
En se mariant quelquefois !
Cette liberté qu’on renomme,
Pour moi serait pleine d’attraits…
Oui, j’en conviens !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !

Et puis je l’avouerai quand même,
— Dussé-je subir l’anathème
De mes collègues en jupons, —
Comme je comprends qu’on se grise
De la tentation exquise
De deux yeux rêveurs ou fripons !
À toute Ève m’offrant la pomme
Jamais je ne résisterais…
Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !

Comme je le comprends encore,
Ce sentiment que l’on décore

D’un vilain nom : Rivalité !
Il est si juste qu’on aspire
À ne point partager l’empire
Qu’on peut avoir sur la beauté !
Qu’irrésistible on me surnomme,
Et mes rivaux viendront après…
Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !

Enfin, j’en arrive à la chose
Qui, dans cette métamorphose,
Me rendrait heureux avant tout,
C’est, — vous le devinez peut-être, —
De faire la cour, en vrai maître,
À toute femme de mon goût !
Quelle ardeur j’y mettrais !… Et comme
Adroitement je m’y prendrais !…
Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !


Oui ! j’aimerais à la folie,
Avec une femme jolie,
Et me résistant longuement,
Lutter de finesse et d’audace,
Et pas à pas, de la préface,
En arriver au dénoûment.
Des chemins qui mènent à… Rome,
Je sais bien lequel je suivrais…
Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !

Pour mieux triompher de la belle,
Par une froideur éternelle,
Je chercherais à l’enflammer,
Car je l’ai vu souvent moi-même…
Le meilleur moyen qu’on vous aime,
C’est de n’avoir pas l’air d’aimer.
Ce moyen infaillible, en somme,
Pour moi serait rempli d’attraits…

Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel diplomate je ferais !

Oui ! de conquêtes en conquêtes,
Plus coquet que bien des coquettes,
Je voltigerais, vive Dieu !
Comme Don Juan, j’aurais ma liste…
En amour, je serais artiste
Comme Lauzun ou Richelieu !
Des grands séducteurs qu’on renomme,
Je connaîtrais tous les secrets…
Ah ! je le sens !… si j’étais homme,
Quel beau sacripant je ferais !

Voilà la confidence faite,
Messieurs : confidence complète,
Bien franche, en termes peu… bénins,
Mais je vous en prie à voix basse :
Ne la répétez pas, de grâce,
À mes collègues féminins !

À leurs yeux trop sincère, en somme,
Qui sait ce que je deviendrais ?…
Ma foi, tant pis !… si j’étais homme,
Quel beau garnement je ferais !