Calmann Lévy, éditeur (p. 65-72).

SI J’ÉTAIS FEMME !




Poésie pour les dames seules.




Dite par M. Saint-Germain.





Comme des lourdauds que nous sommes,
Nous répétons, nous autres hommes,
Avec un grand air irrité,
Qu’en vous montrant un peu coquettes
Avec nous, mesdames, vous êtes
Des monstres de perversité.

Mais moi, franc jusqu’au fond de l’âme,
Je dis bien haut et sans regrets :
Si jamais je devenais femme,
Quelle coquette je ferais !

Loin des affaires dévorantes,
Narguant le mouvement des rentes,
Les petits faits, les grands discours,
Voltiger à travers la vie,
N’avoir qu’un souci, qu’une envie :
Plaire, plaire encore et toujours !
Faire de ce charmant programme
Le plus cher de ses intérêts…
Ah, je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Ce doit être si douce chose
De s’habiller de bleu, de rose,
Et, grâce à des calculs profonds
Cherchant à s’embellir soi-même,

De composer tout un poème
De dentelles et de chiffons !
Puis, le bravo qui vous acclame
Suivi des compliments discrets…
Ah ! je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Et puis je l’avouerai quand même,
— Dussé-je subir l’anathème
De quelque mari… sapajou, —
Comme je comprends qu’on se grise
De la tentation exquise
D’une toilette ou d’un bijou !
Moins courageux que vous, madame,
Jamais je n’y résisterais…
Ah ! je le sens… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Comme je le comprends encore,
Le sentiment que l’on décore

D’un vilain nom : Rivalité !
Il est si juste qu’on aspire
Au premier rang dans cet empire
De la grâce et de la beauté !
Que souveraine on m’y proclame
Et les autres… viendront après !
Ah ! je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Enfin, j’en arrive à la chose
Qui dans cette métamorphose
Avant tout me rendrait heureux :
C’est, — vous me devinez sans peine, —
De pouvoir river à ma chaîne
Toute une troupe d’amoureux ;
De sentir leurs regards en flamme
Dévorer chacun de mes traits…
Ah ! je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !


Oui ! j’aimerais à la folie
Que chacun me trouvât jolie,
Et complet serait mon régal
Si quelque poète volage
M’offrait le délicat hommage
D’un sonnet ou d’un madrigal :
S’il y chantait toute la gamme
De mon esprit, de mes attraits…
Ah ! je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Dût-on me traiter de cruelle,
Ainsi qu’au bout d’une ficelle
On voit gigotter un pantin,
On verrait, sous ma main habile,
Tous mes galants en longue file
Se trémousser soir et matin.
Au moindre signe de leur dame,
Ils obéiraient, toujours prêts…

Ah ! je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Dans mon égale indifférence,
Leur laissant à tous l’espérance,
— Cet indestructible lien, —
Je resterais, — quoi qu’on en dise !
Toujours fidèle à ma devise :
Exiger tout, n’accorder rien !
D’un rappel à l’ordre ou d’un blâme
Je flétrirais les indiscrets…
Ah ! je le sens !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !

Voilà ma confidence faite,
Mesdames : elle est bien complète
Bien franche et sans airs patelins…
Mais, je vous en prie à voix basse,
Ne la répétez pas, de grâce,
À mes collègues masculins.

À leurs yeux renégat infâme,
Qui sait ce que je deviendrais ?…
Ma foi, tant pis !… si j’étais femme,
Quelle coquette je ferais !