Imprimé au Devoir (p. 41-44).

LE VENT


I

Le jour sourit, frais et joyeux,
Sur la montagne et dans la sente ;
L’air est plein d’éclairs et de feux ;
Le vent se fait mélodieux :
Écoutez le vent comme il chante !…


Mais voici que le ciel est noir,
Que, là-bas, l’orage s’assemble,
Et le vent, pris de désespoir,
Sur les arbres se laisse choir :
Écoutez le vent comme il tremble !…



Aurait-il donc un cœur de chair,
Cet être méchant qui nous leurre,
Aurait-il un cœur large et fier,
Broyé par un chagrin amer ?…
Écoutez le vent comme il pleure !…


Pourquoi s’est-il mis à pleurer
Le vent qui, dans la nuit, s’engouffre ?
Est-ce pour ceux qui vont sombrer,
Dans leur esquif frêle et léger ?…
Écoutez le vent comme il souffre !…

II

Fermons la porte au vent
Qui vient assaillir nos demeures :
Nos tendresses seront meilleures,
Et notre rêve plus vivant.


Le vent guette, dans l’ombre,
Les mots d’amour que nous disons,
Tous les mots que nous prononçons,
Nos chants et nos rires sans nombre,



Les prend en son manteau,
Les éparpille dans la plaine,
Les emprisonne et les enchaîne
Dans quelque immuable tombeau.


C’est pourquoi l’âme humaine,
Brûlante d’instables désirs,
Et pliée au joug des plaisirs,
Oublie et sa joie et sa peine !…


Nos bonheurs lui font mal ;
Il souffre de nous voir en joie,
Car le vent est toujours en proie
À quelque tourment infernal.


Enfermons-nous ! Ses plaintes
Qu’il vient promener, dans la nuit,
Sont tristes comme l’eau qui bruit,
Sur la rive, aux larges empreintes !


Cet être décevant,
Dont la voix implore et blasphème,
Est jaloux des êtres qui s’aiment :
Vite, fermons la porte au vent !…


III

Ô vent ! tu peux souffler, la nuit, sur la campagne,
Et, dans l’ombre, tu peux mugir comme un taureau,
Tu peux briser le front orgueilleux des montagnes,
Et jeter ton cri de tombeau !…


Que nous importent, vent, ta détresse, ta rage,
Et que peuvent sur nous tes stériles fureurs ?…
Nous nous aimons ! Que nous importent tes orages,
Puisque la joie est dans nos cœurs !…


Va troubler si tu veux les champs et les bruyères :
Notre âme a plus d’échos, notre âme a plus de chants
Que les monts et les bois, imprégnés de lumière,
Et que les prés, aux verts penchants !  !…