Par la harpe et par le cor de guerre/La Plainte du vieux Barde méconnu

VIII

LA PLAINTE DU VIEUX BARDE MÉCONNU


À quoi nous sert-il de naître ! — Il n’est partout que méchanceté. — Nous pleurons dès notre berceau, — Nous pleurons durant le cours de la vie.

Ai-je vécu sans me lamenter — Une semaine ou même un jour ? — Et cependant la terre est bonne… — Mais l’homme, combien mauvais !

J’ai voyagé dans ma jeunesse, — Et partout je n’ai vu que vilenies. — Et sur mes pas je suis revenu, — Sans la paix et sans le bonheur.

Et me voici maintenant dans ma patrie : — Les campagnes n’ont point change ; — Mais je suis comme un trépassé — Pour mes amis et mes parents.

Ils ne pénètrent plus mon esprit, — Ils se montrent sourds à ma voix ; — Leurs yeux sont scellés, — Quand les miens sont noyés de larmes.

Oh ! s’il y avait encore pour moi — Une parcelle de terre oubliée, — Un îlot sur la mer profonde — Pour étendre mon corps exténué !

Un coin, une île inhabitée, — Mesurée à ma stricte grandeur, — Où jamais ne viendrait le bruit — De ce qui se passe sur terre !

Mais, hélas ! en ces temps nouveaux, — Il n’est plus pour moi de retraite : — Sur le rivage de la mer, dans les bois sauvages, — Partout me suivra le méchant.

Sur quels chemins m’en aller maintenant, — Quand je vois venir la vieillesse, — N’ayant frère pour me soutenir, — Ni enfant pour me consoler !

Oh ! l’immense, l’immense tristesse ! — Ma tête s’affaisse sur mes genoux… — Je suis vaincu par le chagrin… — J’ai tranché les cordes de ma harpe…