Papillon. — Histoire de la philosophie

F. Papillon. Histoire de la philosophie moderne dans ses rapports avec le développement des sciences de la nature. Hachette, 1876, tome I.

Il nous est impossible, quant à présent, de donner une appréciation complète de cet ouvrage. Le premier volume seul a paru et il ne permet pas de voir nettement les conclusions de l’auteur. De plus un certain nombre de parties ont dû rester inachevées.

M. Ch. Lévêque, qui a publié l’œuvre posthume de son jeune ami, l’a fait précéder d’une notice biographique en grande partie formée d’extraits des mémoires personnels de Papillon : « journal trop bref, nous dit-il, et surtout trop personnel pour qu’il fût permis d’en composer un livre et qui exprime trop fidèlement son caractère pour que nous n’en citions pas les plus remarquables fragments. »

Dans son Introduction, Papillon insiste sur cette loi de continuité qui permet de comprendre la filiation des idées et des doctrines. Mais il émet sur l’objet et la méthode de l’histoire de la philosophie une opinion très-contestable : « Les histoires de la philosophie publiées avant celle-ci sont pleines de récits, de controverses, d’analyses bibliographiques, etc., sans aucun rapport avec la connaissance effective du mouvement progressif des idées. Les théories d’éthique, de sociologie, d’esthétique y sont confusément mêlées aux doctrines métaphysiques. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons qui ont empêché jusqu’ici de constituer l’histoire de la philosophie. La philosophie, en effet, est étrangère aux questions concrètes de la morale, de la politique et de la religion. » Nous voudrions bien savoir ce qu’un historien de profession penserait d’une pareille doctrine. Sans doute, l’auteur était bien libre de restreindre sa tâche, de n’essayer, comme il l’a fait, qu’une histoire de la philosophie naturelle ; mais rien ne l’autorisait à prendre la partie pour le tout, et à traiter de « recherches inutiles » tout ce qui sortait du cadre qu’il s’était tracé. De plus, est-il bien sûr que l’auteur connût les histoires de la philosophie qu’il traite si dédaigneusement ? Il n’en cite qu’une seule et le choix est bien malheureux : c’est Gérando, qu’il appelle « un historien des plus autorisés », (p. 82).

Son étude sur la philosophie au xviie siècle est divisée en trois parties : École de l’expérience ; école de l’analyse ; école de l’intuition.

L’École de l’expérience comprend Galilée, Keppler, Toricelli, Harvey, Bacon, etc., bref tous ceux qui ont pratiqué ou préconisé la méthode expérimentale. En général, elle est traitée avec peu de faveur. Sauf Galilée, « ce sont des investigateurs curieux, des travailleurs utiles, mais de purs empiriques. Ils interrogent la nature au hasard. Ils n’ont pas de règle, pas de méthode déterminée. Tels furent les académiciens de Florence, les membres de la Société Royale de Londres, Toricelli, Bayle, Harvey, Redi, Stenon, Régnier de Graaf, Malpighi, Leuweenhock, Sydenham », (p. 25). Il nous semble que peu de noms valent ceux là, et il est singulier d’admettre que les grandes découvertes qui leur sont dues, ont été faites « sans méthode déterminée. » Au reste, l’auteur lui-même paraît de notre avis, puisqu’il se déjuge plus loin (p. 55), en ces termes : « Ces hommes-là (Malpighi, Swammerdam, etc.), en reculant pour nous les limites du monde sensible, en nous faisant pénétrer plus avant dans le détail intérieur des choses, agrandissent les forces de l’esprit, et prennent place à côté des meilleurs métaphysiciens. »

L’École de l’analyse comprend Descartes et ses disciples. N’eût-il pas été plus juste de l’appeler l’école de la synthèse ? L’analyse n’est-elle pas le procédé dominant de l’école précédente ? Sans parler des synthèses de Descartes, rien n’est moins analytique que la construction métaphysique de Spinoza, et les théories de Stahl en biologie et en médecine. Quoi qu’il en soit, l’étude sur Descartes nous a paru l’une des meilleures parties de l’ouvrage ; elle est faite de première main et d’une façon nullement commune.

L’École de l’intuition, représentée par Leibniz, est caractérisée d’une manière assez vague ; mais le chapitre consacré à ce philosophe est intéressant.

Ces trois écoles contiennent l’étude complète de la philosophie du xviie siècle.

Th. Ribot.

On se fait à Catane (Sicile) une idée assez singulière de la situation philosophique en France, si nous en jugeons du moins par un opuscule récent qui a pour titre : L’Italia al cospetto delle nazioni. Il s’agissait de l’ouverture solennelle de l’Université royale de cette ville. Le doyen de la Faculté de philosophie et lettres, M. A. Maugeri, prof. de philosophie rationnelle, suivant un défaut trop commun dans son pays, s’est placé à un point de vue exclusivement patriotique pour apprécier la philosophie italienne. Non content de nous dire que l’Italie est « l’éducatrice des peuples, la civilisatrice des nations, la maîtresse de ceux qui savent, » il nous apprend que l’Angleterre « a du génie pour les sciences économiques, politiques et sociales, mais qu’elle ne produira jamais de philosophes qui puissent l’illustrer » (p. 19). La métaphysique a clos son cycle en Allemagne avec Hegel ; en France « avec M. Damiron, cette première et dernière splendeur de l’école de Cousin » (p. 30). Après une longue énumération des philosophes contemporains en Italie, l’auteur dit que la France n’a que deux ou trois noms « illustres et vivants » à leur opposer, parmi lesquels il cite M. Charma.

Nous souhaitons vivement à l’auteur d’être mieux renseigné une autre fois.