Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 173-176).

HAROERI.

(aroueris, aröeris, apollon.)
Planches 39 et 39 (A)

Parmi les dieux égyptiens de la troisième classe, formes ou transformations divines mises en contact avec le monde physique et descendues jusqu’à la nature humaine par la voie de l’incarnation, l’antiquité classique a nommé Aroueris ΑΡΟΥΗΡΙΣ[1], personnage mythique identifié avec l’Apollon des Grecs[2]. À ce témoignage positif se joint encore l’autorité imposante d’un monument public du premier ordre, le grand temple d’Ombos, en Thébaïde, dans lequel on lit une inscription dédicatoire en langue grecque, gravée en creux[3] sur le listel de la corniche d’une porte qui donne entrée dans une des salles intérieures du temple. On y lit que les fantassins, les cavaliers, et autres personnes stationnées dans le nome Ombite, ont dédié ce secos à Aröeris Apollon dieu grand, ΑΡΩΗΡΕΙ ΘΕΩΙ ΜΕΓΑΛΩΙ ΑΠΟΛΛΩΝΙ, pour la conservation du roi Ptolemée et de la reine Cléopâtre sa sœur, dieux philométors[4].

Une seconde inscription sculptée sur le propylon (encore debout au milieu des ruines de Kous dans le voisinage de Thèbes) offre la dédicace que la reine Cléopâtre et le roi Ptolemée, dieux grands, Philométors-soters, firent de ce beau monument à Aröeris dieu très grand, ΑΡΩΗΡΕΙ ΘΕΩΙ ΜΕΓΙϹΤΩΙ[5]. Mais ici le nom du dieu égyptien n’est point accompagné de celui d’Apollon, auquel l’assimilèrent les Grecs d’Égypte ; toute fois l’identité voulue de ces deux personnages reste néanmoins prouvée par le lieu même où se trouve cette seconde inscription, Kous que les Grecs nommaient en effet la ville d’Apollon, la petite Apollonopolis.

Muni de renseignements aussi positifs sur les noms de la divinité égyptienne à laquelle furent consacrés une partie du grand temple d’Ombos et le propylon de Kous, il me devint facile de distinguer dans les inscriptions et les nombreux bas-reliefs qui décorent ces deux édifices, soit le nom égyptien du dieu, soit les formes conventionnelles sous les quelles il fut représenté. La planche ci-jointe nous montre le dieu Aröeris tel qu’il est figuré dans la plus grande partie de ces tableaux d’adoration.

Le corps humain de cette divinité, debout ou assise sur un trône, est peint ordinairement de couleur bleue ; sa tête, celle d’un épervier, porte la coiffure pschent, ⲡⲥϣⲛⲧ, symbole du pouvoir qu’exerce Aröeris dans les régions supérieure et inférieure. Il tient dans ses mains les insignes ordinaires des dieux.

Quant au nom égyptien de ce personnage, les mots ΑΡΟΥΗΡΙΣ ou ΑΡΩΥΗΡΙΣ, abstraction faite de la finale toute grecque, en reproduisent très-fidèlement l’orthographe égyptienne. Le nom hiéroglyphique du dieu est tantôt symbolico-phonétique, tantôt symbolico-figuratif. Dans le premier cas (lég. nos 1 et 2), il se compose du nom symbolique d’Horus, (l’épervier accompagné d’une note verticale), ϩⲱⲣ, Hor, qui se prononçait ϩⲁⲣ, har, dans les composés, et du groupe phonétique ⲱⲏⲣⲓ formé de l’hirondelle et de la bouche[6], ce qui produit le nom entier ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ, Haroéri ; dans le second cas (lég. nos 3 et 4) l’épervier symbolique est suivi d’un caractère représentant un homme debout, vêtu d’une tunique longue ou courte et tenant dans sa main un long sceptre pur, emblême de sa suprématie : ce caractère s’échange constamment avec le phonétique ⲱⲏⲣⲓ dans tous les textes sacrés : l’un est l’équivalent figuratif de l’autre. Le mot ⲱⲏⲣⲓ signifie en effet aîné, le plus âgé, et par suite principal et chef (senior) dans toutes les inscriptions hiéroglyphiques ; ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ signifiait donc Horus l’aîné en langue égyptienne. La valeur de ce nom serait enfin démontrée au besoin par l’assertion formelle de l’auteur du Traité d’Isis et d’Osiris, selon lequel le dieu que les Grecs nommaient Apollon était appelé l’aîné Horus, ΠΡΕΣΒΥΤΕΡΟΝ, par les Égyptiens.

Cette dénomination établissait donc des rapports directs entre Haröeri et Hôr ou Harsiesi, c’est-à-dire Horus fils d’Isis et d’Osiris ; l’on était Horus l’aîné, l’autre Horus le jeune ; aussi les Grecs ont-ils d’habitude confondu ces deux divinités l’une avec l’autre. Ils ne les distinguent que très-rarement, et cependant Haröeri occupait un rang supérieur à celui d’Horus car, selon les mythes sacrés, il était né avant ce dernier, quelque tradition que l’on veuille adopter d’ailleurs relativement au dieu et à la déesse dont il fut engendré.

D’après un certain récit Haröeri serait un frère d’Horus, né du même père et de la même mère : « Isis et Osiris, racontait-on, étant amoureux l’un de l’autre devant qu’ils fussent sortis du ventre de Rhéa, couchèrent ensemble à cachettes, et disent aucuns qu’Aroueris naquit de ces amourettes-là[7] ».

Une autre tradition voulait qu’Aröeris fût le fils du Soleil et de Rhéa[8].

Enfin, selon Diodore de Sicile, l’Apollon égyptien naquit du dieu Cronos (Saturne) et de la déesse Rhéa[9].

C’est la dernière de ces trois généalogies que les monuments égyptiens originaux confirment de la manière la plus précise. On lit plusieurs fois en effet, à côté d’images en pied du dieu Haröeri, dans le grand temple d’Ombos, la légende suivante (lég. no 5), dont voici la transcription en саrасtèrеѕ coptes : ϩⲁⲣⲱⲙⲣⲓ ⲡⲛⲏⲃ (ⲛ) ⲥⲁⲣⲏⲥ ⲡⲥⲓ (ⲛ) ⲥⲃ ⲙⲓⲥⲑ ⲛⲛⲧⲫⲑ ⲡⲛⲧⲣ ⲛⲁⲁ : Haröeri le seigneur de la région du Midi Fils de Sèv (Saturne) né de Natphé (Rhéa), dieu grand[10]

Ainsi à Ombos le dieu Haröeri était considéré comme frère d’Osiris et d’Isis. Sa mère Natphé le mit au monde le second jour épagomène, c’est-à-dire dans le deuxième des jours complémentaires ajoutés à l’année de 360 jours. Cette tradition qui d’abord nous a été conservée par Diodore de Sicile et par l’auteur du Traité d’Isis et d’Osiris, se trouve constatée par une série de tableaux que j’ai découverte dans les restes du petit temple d’Ombos : chacun de ces tableaux est relatif à l’un des jours épagomènes, et le second représente le dieu Haröeri en pied avec la légende (no 6), dont voici la transcription copte : ⲡⲧⲓⲟⲩ ϩⲟⲟⲩ ⲑⲩⲛⲧⲡⲑ ⲧⲑⲣⲟⲙⲡⲑ (ⲟⲓⲛ). ⲙⲓⲥⲑ ⲛ ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ. Les cinq jours en sus de l’année : naissance d’Haröeri.

La généalogie et le rang théogonique du dieu étant ainsi bien déterminés par les monuments originaux, il reste à connaître ses attributions particulières et les fonctions que lui attribuaient les mythes sacrés dans le cercle du monde intellectuel ou du monde physique. Ce sera le sujet d’un second article. Nous ne produirons ici, parmi les titres donnés à ce dieu dans les inscriptions monumentales de l’Égypte, que ceux-là seuls qui se rapportent à des fonctions d’Haröeri communes à quelques autres divinités.

Outre les titres de Dieu grand, de Seigneur du ciel et celui de Dominateur de la région supérieure et inférieure, symbolisé par le pschent sa coiffure ordinaire, Haröeri reçoit habituellement le titre de Seigneur d’Ombos, ⲡⲛⲏⲃ ⲛ ⲛⲃⲓ (lég. no 7), parce qu’il était principalement adoré dans cette capitale de nome. La longue inscription qui décore toute la partie droite de la frise extérieure du pronaos, d’accord avec l’inscription grecque gravée sur une porte intérieure du grand temple d’Ombos, prouve en effet que toute la partie gauche[11] de ce grand édifice était dédiée à la divinité d’Aröeris, tandis que tout le côté droit du temple fut consacré au culte de Sévek ou Sèb (Saturne), le père d’Aröeris selon le récit mythique adopté dans le nome ombite.

Les colonnes du pronaos de ce même temple nous montrent, parmi les sculptures qui couvrent leur fût, une forme symbolique du dieu Haröeri d’autant plus remarquable, qu’elle nous dévoile l’origine toute égyptienne de l’animal fantastique consacré par les Grecs à leur Apollon, le griffon, monstre formé de la réunion d’une tête d’oiseau de proie au corps d’un lion. Les Égyptiens représentaient aussi le dieu Haröeri sous les apparences d’un lion à tête d’épervier, surmontée de la coiffure pschent[12] avec la légende ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ ⲱⲏⲣⲓ, Haröeri principal lion ou lion chef. On fera connaître dans un article subséquent le sens de cette forme symbolique et toutes ses variations.


Notes
  1. Plutarque, de Iside et Osiride.
  2. ΑΡΟΥΗΡΙΝ… Ἀπόλλωνα δὲ ὑπὸ Ἑλλήνων, idem, ibid.
  3. Je me suis assuré, pendant mon séjour aux ruines d’Ombos en 1829, que le champ du listel, sur lequel on a gravé cette inscription, était jadis doré, et que toutes les lettres furent remplies d’une couleur rouge éclatante.
  4. Voyez les Recherches pour servir à l’histoire de l’Égypte pendant la domination des Grecs et des Romains, par M. Letronne, page 76 et suivantes.
  5. Dans l’ouvrage précité M. Letronne lit : Ἡλίωι θεῶι, μεγίστωι, au lieu d’Ἀρωήρει θεῶι μεγίστωι que porte réellement l’inscription originale ; mais mon savant ami a été induit en erreur par la copie fautive de cette inscription fournie par MM. Jomard et Chabrol, qui n’ont point indiqué, comme l’a fait M. Hamilton, une fracture opérée sur une portion des lettres formant le nom ΑΡΩΗΡΕΙ. En examinant moi-même avec attention le monument original, en novembre 1829, j’ai parfaitement distingué les lettres ΩΗΡΕΙ encore très-reconnaissables, ce qui exclut sans réplique la leçon ΗΛΙΩΙ que donnent à tort les deux membres de la Commission d’Égypte.
  6. ⲱⲣ prononcé ⲱⲏⲣⲓ en suppléant les voyelles, comme le prouve l’orthographe hiéroglyphique et hiératique des noms propres égyptiens, que les Grecs ont transcrit πωηρις, οσορωηρις, Σενποηρις, πετεαρωηρις, etc., etc.
  7. Traité d’Isis et d’Osiris, traduction d’Amyot, § XIII.
  8. Idem, Ibidem.
  9. Livre I.
  10. Bas-relief au fond du pronaos à droite, etc.
  11. À partir du fond du sanctuaire.
  12. Voyez notre planche 39 A, sujet dessiné à Ombos.

——— Planche 39 ———

——— Planche 39 (A) ———