Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 167-168).

NATPHÉ ou NETPHÉ.

(rhéa.)
Planche 36

On a déja remarqué[1] qu’il exista en réalité, entre les mythes sacrés des Égyptiens et ceux des Grecs, des rapports beaucoup plus suivis que ne semblerait l’indiquer la diversité d’origine de langue ou de gouvernement des deux peuples, et surtout le peu d’analogie des formes choisies pour représenter chacun de leurs personnages mythiques. Cependant, si l’on a égard aux différences de temps, de races et de lieux, on s’apercevra bientôt que certaines parties de la mythologie des Grecs ne sont, et de l’aveu des Grecs eux-mêmes, que des mythes égyptiens plus ou moins complets, mais reproduits avec les modifications nécessaires pour les lier naturellement au système national des Hellènes ; de là vient que les anciens auteurs grecs, à partir d’Hérodote même, lorsqu’ils ont voulu parler des divinités de l’Égypte, se sont servis indifféremment et avec une assurance bien fondée du nom grec de la divinité correspondante dans les mythes grecs, au lieu d’employer le nom égyptien lui-même. Diodore seul nous avait parlé d’une Estia ou Vesta égyptienne ; Jablonski, s’étant flatté de retrouver l’ensemble du système religieux de l’Égypte dans le peu que les auteurs anciens ont laissé échapper sur cette matière, et s’imaginant expliquer tous les personnages mythiques par les divers états du Soleil et de la Lune, nia l’existence d’une divinité analogue à l’Estia des Grecs dans les mythes égyptiens, et ne reconnut pour divinités vraiment égyptiennes celles dont les Grecs avaient mentionné les noms égyptiens[2]. C’est en partant de ce principe, absolument faux, que ce savant a refusé d’admettre dans son Panthéon deux divinités égyptiennes assimilées par les Grecs à leurs Cronos et Rhéa, le Saturne et la Rhéa des Romains. Mais c’est à tort, et bien gratuitement, que Jablonski accuse les Grecs d’avoir donné, sans règle et sans motif, les noms propres de leurs divinités à celles des Égyptiens, et de ne suivre en cela que leur caprice ou leur convenance particulière ; enfin les auteurs et les monuments démontrent combien cet érudit était dans l’erreur, lorsqu’il affirme trop positivement que, quant à Rhéa, sœur et femme de Saturne, elle fut tout-à-fait inconnue aux Égyptiens[3], et que tout ce que les anciens ont dit d’une Rhéa égyptienne doit s’entendre de la déesse Athôr[4].

Diodore de Sicile, que Jablonski cite cependant sans accorder à ce témoignage tout le poids qu’il mérite, nous apprend, dans son livre premier, où il expose rapidement le système religieux des Égyptiens, que parmi les dieux terrestres (Ἐπιγείους), nés des dieux célestes (τῶν ἐν Οὐρανῷ θεῶν), et venus après eux, ils comptaient Κρόνος et Ῥέα, c’est-à-dire Saturne et Rhéa[5]. Ces deux personnages, qui étaient frère et sœur, succédèrent à Hélios (Phré) ou à Héphæstus (Phtha), et méritèrent l’immortalité et des autels par leurs bienfaits envers l’espèce humaine. Ce récit de l’historien sicilien, quoique empreint d’une teinte marquée d’évhémérisme, conserve cependant une physionomie tout égyptienne, puisqu’il renferme clairement exprimées les deux divisions fondamentales établies parmi les divinités égyptiennes, dont les unes étaient purement célestes (ce sont les deux premières classes d’Hérodote), et les autres se trouvaient dans des rapports plus intimes avec l’homme, puisque, suivant les traditions sacerdotales, ces divinités s’étaient autrefois incarnées sur la terre, s’étaient manifestées ainsi aux yeux des mortels. Les premières entre les divinités de cet ordre de dieux terrestres ou mondains, furent Cronos, et Rhéa, laquelle, selon Diodore de Sicile, Plutarque et Synésius, donna naissance à Osiris ainsi qu’à Isis.

Cette seule circonstance a suffi pour nous faire retrouver avec certitude le nom et les images de la Rhéa égyptienne sur les monuments originaux : la forme la plus simple de cette déesse est celle que nous reproduisons sur notre planche 36, d’après une petite stèle du Musée de Turin ; la légende qui l’accompagne contient d’abord le nom propre de la déesse, qui se lit sans difficulté ⲙⲧⲡⲑ ou ⲛⲧⲫⲑ, Netpé, Nethphé ou Natphé : ce nom est suivi d’un titre tout particulier à cette divinité, celui de ⲙⲁⲥⲛⲛⲑⲛⲟⲩⲧⲑ ⲧⲛⲑⲃⲡⲑ, génératrice des dieux, dame du Ciel. Les chairs de Netphé sont de couleur verte ; le vautour qui décore le devant de la coiffure, le modius qui la surmonte, et les cornes de vache, présentent cette divinité sous l’attribution de mère et nourrice divine. Le disque rouge indique ici, comme ailleurs, que Netphé ou la Rhéa égyptienne apparatient à la famille de Phré (le Dieu-Soleil), comme toutes les divinités égyptiennes du second et du troisième ordre.


Notes
  1. Voyez l’explication de la planche 28 (B).
  2. Jablonski, Pantheon Ægyptiorum, liv. II, chap. 1, pag. 140 et 141.
  3. Quod vero ad Rheam attinet, quam Saturno et sororem et conjugem Græci adjungunt, ea Theologis Ægyptiorum, omnino incognita fuit. Idem, ibidem, page 141.
  4. Idem, ibidem.
  5. Bibliothec. histor., livre I, page 12.

——— Planche 36 ———