Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 157-158).

THOTH DEUX FOIS GRAND,

PRÉSIDANT À LA RÉGION INFÉRIEURE.
Planche 30 (B)

Il en était du Thoth des Égyptiens, comme de l’Hermès des Grecs : ce fut l’être mythique auquel on attribua les fonctions les plus nombreuses et souvent même les plus opposées. Nous avons vu, en effet, le Thoth céleste, le seul des dieux émanés du Démiurge, et qui porte le surnom de trois fois grand, associé d’abord à l’œuvre de la création de l’univers et renfermant en lui-même toute la science des choses divines. Ce prototype de toute intelligence s’incarne ensuite pour civiliser l’espèce humaine, et se lie ainsi à un corps matériel. Lorsque les habitants de la Terre, éclairés par ses leçons, connaissent et pratiquent la vertu, et sont soumis à une organisation sociale régulière, imitation imparfaite de l’ordre qui règne dans les régions célestes, Thoth se retire dans la Lune pour se consacrer à l’accomplissement de nouveaux devoirs. Le génie qui présidait à cet astre, le dieu Pooh (ou Lunus), était considéré par les anciens Égyptiens comme le directeur perpétuel, comme le roi des ames qui, ayant quitté des corps matériels, erraient ballottées par les vents dans le vague des airs, jusqu’à ce qu’elles fussent appelées à animer de nouveaux corps, pour subir de nouvelles épreuves, expier leurs fautes passées, et sortir de la zône de l’air terrestre et agité, pour passer dans la troisième zône de l’Univers où régnait un air pur et léger. C’était dans ces deux zônes, ou divisions du monde, partagées en vingt-quatre régions ou contrées (χώρας) situées entre la Terre et la Lune, que le dieu Lunus exerçait directement son influence : il avait pour conseiller le dieu Thoth, qui présidait plus spécialement à la seconde zône ou division du monde, celle de l’air agité, qui se divisait en huit régions immédiatement situées au-dessus des quatre régions de la terre[1]. Cette zône de Thoth dépendait de l’empire lunaire, qui comprenait aussi une zône supérieure, celle de l’air pur, subdivisée en seize autres régions. Il est donc de toute évidence que le titre seigneur des huit régions, qui accompagne constamment les images de Thoth ibiocéphale dans les bas-reliefs et dans les peintures égyptiennes[2], se rapporte à cette direction des huit régions de la seconde zône du monde, habitée passagèrement par les ames des morts. Cela expliquerait encore pour quoi le nombre huit est particulièrement consacré à Thoth ; et il n’est point hors de vraisemblance que la grande ville d’Hermès dans l’Heptanomide, qui porta le nom de Schmoun[3], c’est-à-dire, huit, nom transcrit par les Arabes sous la forme du duel Aschmounaïn, a été ainsi appelée par allusion aux huit régions des ames, auxquelles présidait le dieu éponyme de cette grande cité.

Quoi qu’il en soit, on attribua au second Hermès égyptien, Thoth ibiocéphale, comme à l’Hermès des Grecs, la direction des ames que la mort séparait des corps terrestres. Aussi ce dieu est-il figuré dans les peintures des momies, tenant dans ses mains l’emblème de la partie inférieure du monde, qui comprenait dans ses limites une portion du ciel et l’Amenté, lieu où les ames étaient jugées par Osiris. Le nom écrit de la partie inférieure de l’Univers se compose, dans les textes hiéroglyphiques, d’une plume, du segment de sphère lié au signe recourbé qui exprime l’articulation S. C’est ce même nom, dans lequel il me semble reconnaître les éléments graphiques du mot égyptien PESÈT qui signifie partie inférieure, que tient dans sa main le dieu Thoth figuré sur notre planche 30 (B). Il faut observer seulement qu’une portion du signe recourbé a été prolongée outre mesure pour donner à ce groupe de lettres l’apparence d’un sceptre dans les mains du dieu, qui tient aussi une bandelette : les exemples d’images d’objets dénaturés ainsi dans leur forme, pour s’accommoder à l’effet général d’une composition, sont fort communs sur les monuments égyptiens[4] : dans les textes courants, le groupe hiéroglyphique exprimant la partie inférieure du ciel et du monde en général, prend la forme indiquée dans la pl. 30 (B), sous le no 2, accrue de trois signes déterminatifs ; et on le retrouve sculpté sous la forme no 3, hors du disque renfermant le zodiaque circulaire de Denderah, au-dessous du scorpion et entre les figures de femme et d’homme à tête d’épervier, qui soutiennent cette portion du disque. Au point diamétralement opposé, se trouve le nom de la partie supérieure du ciel et du monde. La ligne dont ces deux groupes sont les deux points extrêmes, passe par les pieds postérieurs du taureau et par la tête du scorpion.


Notes
  1. Liber sacer ou Dialogue d’Isis et d’Horus ; Ioh. Stobæi, Eclog., lib. I, cap. 52, pag. 1077 et seq.
  2. Voyez planches 30, lég. no 1 ; et 305, lég. no 1. – Caylus, tome VI, pl. a, nos 2 et 3. – Grand mss. hiérogl., Description de l’Égypte, pl. 72 ; Scène du Jugement, lég. du dieu ; et toutes les légendes de Thoth ibiocephale sur les cercueils de momies.
  3. Voyez mon Égypte sous les Pharaons, tome I, pages 290 et 291.
  4. Voyez nos planches 9, 20 (A), et 20 (B).

——— Planche 30 (B) ———