Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 155-156).

THÔTH DEUX FOIS GRAND,

LE SECOND HERMÈS, EN RAPPORT AVEC LA LUNE.
Planche 30 (A)

Il paraîtrait, d’après le passage précité de Manéthon[1], que les deux Hermès portaient en langue égyptienne le nom de Θωθ Thôth, que les Grecs ont diversement écrit Θεῦθ et Θωὺθ. Cette dernière orthographe se rapproche évidemment plus que toute autre, de la manière dont les Égyptiens prononçaient ce mot, que nous trouvons en effet dans les livres coptes, sous la forme de θωουθ Thôout, comme étant le nom du premier mois de l’année égyptienne, mois éponyme de ce même dieu, ainsi que nous l’ont appris les anciens[2]. Si l’on adoptait la manière dont il est écrit dans les fragments de Manéthon, le nom Θωθ appartiendrait à la racine égyptienne Θωτ, Θωθ (ou Τωτ en dialecte thébain), qui signifie mêler, tempérer par un mélange ; et l’appellation Thôth, miscens, temperans, se rapporterait très-bien au premier Hermès qui, chargé de former les corps où devaient être renfermées les ames coupables, rendit la matière (Ὕλη), d’abord sèche et aride, susceptible de prendre les formes qu’il voulait lui donner, en la mêlant avec l’eau (κατἁ μίξιν ὔδατι)[3]. Mais le nom Thôout se rapporte sans aucun doute à la racine égyptienne θωουτ et θουωτ, qui signifie congregare, in unum colligere, et d’où dérivent θωουτι et θωουτς, mots qui exprimaient les colléges de prêtres, les réunions religieuses appelées panégyries par les Grecs. Les deux Thôout ou Hermès rassemblaient en effet dans eux-mêmes toutes les sciences divines et humaines, et leur nom s’explique bien naturellement encore par cet usage constant des prêtres égyptiens, d’attribuer religieusement à Thoth seul les découvertes scientifiques faites par tous les individus de la caste sacerdotale. Cette caste réunissait aussi dans son sein tous les genres de connaissances, et regardait à la fois Thoth et comme son instituteur, et comme sa propre image ou personnification dans les mythes sacrés.

L’ibis, oiseau dont les figures du second Hermès empruntent la tête, était consacré à ce dieu, parce qu’il fut, dans l’écriture hiéroglyphique, le signe symbolique de l’idée cœur (Καρδία)[4]. Les Égyptiens trouvaient, dit-on, une foule de similitudes entre l’ibis et le cœur, exprimé en langue égyptienne par la syllabe hèt, mot qui se prenait dans la double acception de cœur et d’intelligence ou intellect[5] ; l’ibis, symbole du cœur et signe du mot Hèt, devait donc devenir l’emblème de Thoth que l’on considérait comme l’arbitre souverain du cœur et de l’intelligence humaine, Πάσης καρδιάς καὶ λογισμοῦ δεσπότης. (Voy. la note 4, ci-dessus.)

Ce n’est point sur la terre seule et sur les hommes policés par ses bienfaits, que Thoth-deux-fois-grand, ou le second Hermès, exerçait directement son influence ; les Égyptiens crurent aussi qu’après avoir civilisé notre planète, Thoth avait établi sa demeure dans le globe lunaire, et qu’il suivait cet astre dans toutes ses révolutions[6]. Ce dieu paraît, d’après les monuments, avoir été considéré comme ayant des rapports très-intimes avec le Dieu-Lune, et avec l’astre de ce nom. Les monuments égyptiens nous montrent en effet, et assez fréquemment, Thoth ibiocéphale soutenant dans ses mains le disque lunaire, et occupant le haut d’un escalier mystique formé de quatorze degrés, sur chacun desquels est placée une divinité de seconde ou de troisième classe, qui semble monter vers le second Hermès[7]. Plus souvent encore, la tête d’ibis de ce dieu est surmontée du croissant et du disque lunaires, comme on peut le voir sur cette planche (30 (A)), dessinée, ainsi que la précédente, d’après des momies peintes du cabinet du Roi et des riches collections de MM. Durand et Cailliaud. Des figurines de terre émaillée offrent assez fréquemment le Thoth ibiocéphale, portant dans ses mains l’œil qui fut un des symboles de la Lune aussi bien que du Soleil. Enfin, les rapports de Thoth avec la Lune sont, outre cela, indiqués par les mythes sacrés, d’après lesquels, par exemple, le dieu des sciences jouant aux dés avec le Dieu-Lune, lui gagna la 70e partie de ses illuminations, et en forma, en les mettant ensemble, cinq jours qu’il ajouta aux 360 de l’année. Ces jours, nommés épagomènes, étaient fêtés et solennisés par les Égyptiens, à cause des divinités qui avaient pris naissance pendant leur durée[6]. L’oiseau de Thoth, l’ibis, était également consacré à la Lune[8], parce qu’une partie de son plumage était obscure et de couleur noire, et l’autre brillante et de couleur blanche[9], ce qui faisait allusion au disque lunaire, tantôt éclatant de lumière, et tantôt plus ou moins plongé dans l’obscurité.


Notes
  1. Manetho apud Syncell., Chronograph., pag. 40.
  2. Cicero, De Natura Deorum, lib. III, § XXII.
  3. Dialogue d’Isis et d’Horus, Voy. Joh. Stobæi, Eclog., lib. I. cap. II, pag. 948.
  4. Horapollo, Hiéroglyph., lib. I, § 36.
  5. Voyez mon Précis du Système hiéroglyphique, chap. IX, § VII, pag. 288 et suiv.
  6. a et b Plutarque, de Iside et Osiride.
  7. Description de l’Égypte, planches relatives aux antiquités d’Edfou et de Dendéra.
  8. Ælien, De naturâ animalium, lib. II, cap. XXXVIII.
  9. Clément d’Alexandrie, Stromat., lib. V, pag. 567.

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