Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 119-120).

BOUTO,

nourrice des dieux.
Planche 23 (A)

Cette déesse, l’emblême de l’antique Nuit ou des ténèbres primitives, source féconde d’où sortirent une foule d’êtres vivants, fut considérée par les Égyptiens ainsi que dans la cosmogonie des Grecs et de la plupart des peuples orientaux, comme cette obscurité première qui, enveloppant le monde avant que la main toute puissante du Démiurge eût créé la lumière et ordonné l’univers, renfermait dans son sein les germes de tous les êtres à venir. Aussi, les vers des orphiques, vénérables débris de la plus ancienne théologie des Grecs, et qui contiennent des doctrines conformes, sur presque tous les points, à celles des Égyptiens[1], donnent-ils à la déesse Nyx (la Nuit primitive), les titres de Πρεσβυγένεθλ’ἀρχή πάντων, première née, commencement de tout, Οἰκε θεῶν, habitation des dieux, et celui de Θεῶν γενέτειρα, génératrice des dieux, titres qui répondent exactement aux qualifications grande déesse mère des dieux, et génératrice des dieux Grands, données à Bouto dans les légendes hiéroglyphiques gravées sur la tunique d’une statue qui tient dans ses mains une image de divinité placée dans un petit Naos[2]. Un monument semblable, mais de basalte vert, et seulement d’un pied de hauteur, a jadis existé dans la collection de feu l’abbé de Tersan ; il représente, d’après l’inscription hiéroglyphique sculptée sur le dos du personnage, Aménoftèp, fils d’Horus et de Tsenisis, et petit-fils du roi Psammitichus second, tenant aussi un petit naos dans lequel la déesse Bouto est figurée en plein relief. Tous les individus nommés dans cette inscription, prennent le titre de chéri de Bouto, divinité qui paraît avoir été la protectrice des pharaons de la XXVIedynastie égyptienne.

On donnait avec raison le surnom de mère des dieux à la déesse Bouto, puisque, unie au dieu Phtha, elle avait enfanté Phrè ou le Soleil, desquels naquirent ensuite tous les autres dieux. Hélios ou le Dieu-Soleil des Grecs, passait aussi pour fils de la déesse Nyx[3] (la Nuit).

Le culte de la déesse Bouto, divinité du premier ordre, et l’une des émanations directes d’Amon-ra, fut très répandu en Égypte. Plusieurs villes lui furent consacrées, et portèrent même son nom, si nous en croyons les Grecs ; Hérodote[4] parle, d’une manière très-détaillée, de la ville de Bouto située en basse Égypte vers l’embouchure de la Branche sébénnytique ; le temple de la déesse était orné de portiques d’une vaste étendue, et renfermait cette fameuse chapelle monolithe qui avait plus de cinquante pieds dans tous les sens. Il parait même que le bras du Nil qui se jetait dans la mer à une petite distance de cette ville, avait reçu le surnom de Branche thermoutiaque en l’honneur de la déesse ; car le mot que les Grecs ont écrit Θέρμουθις, Τερμουτίς, Θερμουτίς et Θερμούτ, nous parait être la transcription exacte d’un titre porté par les grandes déesses de l’Égypte, et surtout par Bouto, titre écrit ϫⲣⲙⲟⲩⲧ, Tjermout ou Djermout dans les textes hiéroglyphiques, et signifiant grande ou puissante mère. Une seconde ville du même nom, située au nord de Memphis et sur la rive occidentale du Nil, adorait spécialement la mère des dieux Bouto, circonstance qui fit donner à ce lieu, par les Grecs, le nom de Létopolis, la ville de Létô ou Latone.

Bouto passait aussi, dans la croyance des Égyptiens, pour la nourrice de certains Dieux. On disait qu’Isis avait confié à cette divinité ses deux enfants Horus et Bubastis ; et ce précieux dépôt fut caché dans l’île de Chemmis située dans le lac voisin de la ville de Bouto, île que la déesse rendit flottante pour dérober les deux jumeaux aux poursuites et aux recherches de Typhon.

La singulière image de Bouto, reproduite sur notre planche 23 (A), est tirée du fameux torse Borgia, sur lequel sont représentées la plupart des divinités égyptiennes ; un sujet semblable est figuré sur un scarabée de la riche collection de M.  Durand, ainsi que sur une petite statue qui appartient à M.  Julliot[5] ; la déesse caractérisée par la portion inférieure du pschent, qui couvre sa tête, donne son sein à deux crocodiles qu’elle semble allaiter avec tendresse. Cette scène fait-elle allusion à l’enfance d’Horus et de Bubastis, élevés secrètement sur les eaux du lac sacré ; ou bien se rapporte-t-elle à l’éducation de quelques autres divinités ? c’est ce qu’il est impossible de décider entièrement dans l’état actuel de nos connaissances sur les mythes sacrés de l’Égypte.


Notes
  1. Hérodote, liv. II, §. lxxxi.
  2. Voyez le musée Pio-Clémentin, tome VII. Pl. A des Preuves.
  3. Ὅν αἰόλα Νύξ… Τίκτει. Ἄλιον Ἄλιον αἰτῶ. Sophocle, trachin., v. 93 et suiv.
  4. Livre II, §. clv et clvi.
  5. Delaulnaye, Histoire des Religions.

——— Planche 23 (A) ———