Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 9-11).

AMON-RA.

(L’ESPRIT DES QUATRE ÉLÉMENTS, L’AME DU MONDE MATÉRIEL.)
Planche 2 quater.

Parmi les décorations du célèbre temple d’Esné, à la construction duquel on avait cru pouvoir assigner une si prodigieuse antiquité, mais qui doit réellement être rapportée à une époque comparativement bien moderne, celle des empereurs depuis le règne de Claude jusqu’à celui des Antonins, on remarque un grand bas-relief[1] dessiné par la Commission d’Égypte, et dont une partie est d’un notable intérêt pour l’éclaircissement de la discussion présente. (Voyez l’explic. de la planche 2 ter.)

Ce tableau, sculpté et de plus de quatorze pieds de hauteur, occupe la face intérieure d’un mur d’entrecolonnement du portique. La scène principale représente l’empereur Antonin, sous le costume du dieu Horus, la tête ornée de la coiffure de Socharis, tenant d’une main le fouet et le pedum, de l’autre les emblèmes des panégyries, de la vie et de la stabilité : le naos dans lequel siége l’empereur assis est porté par huit personnages dont quatre à tête d’épervier et quatre à tête de schacal. Malgré l’extrême négligence avec laquelle ont été copiées les légendes hiéroglyphiques qui couvrent ce bas-relief, on distingue encore, dans celles qui se rapportent aux quatre hiéracocéphales et aux quatre lycocéphales, les mots suivants : Ames heureuses de la région de… dévouées au service du dieu Horus dans la région supérieure où il est manifesté comme son père Ammon. — Ames heureuses de la région de… dévouées au service du dieu Horus dans la région inférieure où il est manifesté et roi comme son père Chnouphis. On remarquera que dans ces légendes, où Antonin est assimilé au dieu Horus, les mots ames heureuses ou ames dans la quiétude, sont exprimés au moyen du caractère représentant une grue, indiqué par Horapollon[2] et cité dans l’explication de la planche précédente. Dans ce bas-relief, l’empereur, déja considéré comme dieu, est servi par les ames ou les esprits inférieurs dévoués à Horus, le prototype des souverains de l’Égypte, et on compare son règne à celui d’Ammon, dont il est censé être le fils et le représentant sur la Terre. C’est en effet à cette grande divinité que fut dédié le temple d’Esné, comme le prouve l’image d’Ammon-Chnouphis-Criocéphale, sculptée au-dessus de la porte intérieure du temple[3], et qui se reproduit dans une foule d’autres tableaux sur les diverses parties de ce grand édifice. L’apothéose d’Antonin que nous venons de décrire est surmontée d’un second bas-relief[4], représentant le même empereur agenouillé et offrant l’encens à quatre divinités qui sont adorées comme esprits directeurs, puisqu’on les a figurées sous la forme de quatre béliers, dont la tête est ornée du serpent uræus, l’emblème de la toute-puissance[5] ; les légendes hiéroglyphiques, gravées au-dessous de ces quatre béliers, nous apprennent que ce sont là les esprits des dieux Sôou, Phré, Atmou et Osiris. Il est évident, lorsqu’on se pénètre de l’idée rigoureusement juste que toute la théogonie égyptienne consiste en un système perpétuel d’émanation, dont la conséquence la plus directe est que chaque divinité renferme en elle-même l’esprit ou l’essence de toutes les divinités produites par elle, et qui lui sont subordonnées ; il est évident, disons-nous, qu’Amon-Ra à quatre têtes de bélier n’est qu’une image symbolique de cet être primordial comprenant en lui-même les quatre grands esprits recteurs du monde créé, ou, en d’autres termes, les dieux Sôou, Phré, Atmou et Osiris, qui président aux quatre grands agents de la nature matérielle.

Tous ces rapprochements expliquent en même temps le sens mystique de l’un des principaux emblèmes d’Amon-Ra, le bélier qui se montre sous plusieurs formes au milieu des sculptures et des peintures qui couvrent les monuments égyptiens de tout genre.

Notre planche 2 quater[6] représente le bélier sacré à une seule tête décorée du disque et de l’uræus. L’épervier, symbole du Soleil, voltige au-dessus du bélier, aux pattes antérieures duquel sont liés des serpents uræus portant la coiffure emblématique des régions d’en haut ; d’autres uræus, la tête couverte de la coiffure emblématique des régions d’en bas, paraissent attachées aux pattes postérieures de l’animal sacré, marchant sur la forme d’une coudée (mesure égyptienne de longueur), peinte en vert. Le tout repose sur un autel enrichi d’ornements peints de diverses couleurs.

Le bélier, emblême d’Ammon en général[7], exprime par lui-même l’idée ame ou esprit[8], et les uræus symboliques fixées aux quatre jambes de l’animal désignent assez clairement l’esprit d’Ammon mettant en mouvement toutes les puissances des régions supérieures et des régions inférieures ; enfin la coudée sur laquelle s’opère ce mouvement rappelle d’une manière tropique des idées d’ordre, de régularité, de justice ou de vérité. L’inscription hiéroglyphique qui accompagne ce tableau confirme pleinement ces divers aperçus ; elle répond aux mots coptes ⲡⲇϩⲓ ⲱⲛϧ ϣⲟⲣⲡ ⲛⲛⲓⲛⲟⲩϯ, l’esprit vivant, le premier des dieux[9]. On ne saurait méconnaître ici le Jupiter égyptien, qui, selon Manethon, était considéré comme l’esprit qui parcourt, pénètre ou comprend toutes choses, παντων χωρουν πνευμα[10] : C’est le grand esprit du monde intellectuel.


Notes
  1. Description de l’Égypte, Antiquités, vol. I, pl. 81.
  2. liv. II, Hiérogl. 140.
  3. Descr. de l’Égypte, Ant., vol. I, pl. 80, no 4.
  4. Idem., pl. 81.
  5. Horapollon, Hieroglyphica, liv. I, § 1. Voir l’explication de la pl. précédente.
  6. Calquée sur le second cercueil d’une riche momie du Musée de Turin.
  7. Voir la planche 2 bis, et son explication.
  8. Voir l’explication de la planche précédente, 2 ter.
  9. Ou, d’après les diverses acceptions du mot Ϣⲟⲣⲡ, principium deorum.
  10. Manethon, cité par Théodoret, tom. IV, sermo 3, pag. 512 et 513.


——— Planche 2 quater ———

Planche 2 quinquies.

Mais Ammon était en même temps l’ame du monde matériel, sorti de son sein, organisé, dirigé et animé par ses émanations, c’est-à-dire par d’autres formes de lui-même ; il était le principe et le moteur des quatre éléments dont se composait le monde créé. Considéré sous ce point de vue, Ammon fut symboliquement représenté par le bélier à quatre têtes, lequel exprime le grand esprit renfermant en lui-même ceux des quatre dieux Phré, Sôou, Atmou et Osiris, ses émanations ; c’est-à-dire les esprits ou les essences divines qui dirigent les quatre éléments dont est formé le monde matériel, suivant la vieille doctrine égyptienne[1].

Les témoignages réunis des auteurs et des monuments nous apprennent en effet que, considérés cosmogoniquement, le dieu Phré, l’Helios des Grecs, et Osiris, représentent, le premier, le Soleil, et par conséquent le principe du feu ou de la chaleur, et le second, le principe humide ou l’eau personnifiée ; d’un autre côté, les monuments égyptiens prouvent, comme on le verra par la suite, que le dieu Sôou préside à la zone qui s’étend de la Terre à la Lune, c’est-à-dire à la zone de l’air, et qu’enfin la Terre fut placée sous la protection immédiate du dieu Atmou. C’est donc avec une pleine certitude que nous voyons dans le bélier à quatre têtes une image symbolique d’Ammon, le grand esprit élémentaire, l’ame des quatre éléments matériels.

On remarque assez fréquemment les représentations de ce symbole mystérieux du grand être dans les temples de la Thébaïde : nous citerons ici en particulier deux bas-reliefs dessinés par la Commission d’Égypte, à Thèbes, au quartier du Memnonium, dans un temple dédié à la déesse Hathôr ou Athyr, la Vénus égyptienne, par Ptolemée-Évergète II, et désigné sous le nom de Temple de l’Ouest par les auteurs de la description de l’Égypte. Le premier[2] a été dessiné dans le sanctuaire de gauche. On y reconnaît le bélier à quatre têtes, c’est-à-dire Ammon, l’ame des quatre éléments, adoré par les déesses Athyr et Thméi à droite, Isis et Nephtys à gauche. Le vautour de la déesse Mouthis ou Bouto-Neith, épouse d’Ammon, l’emblème de la maternité, étend ses ailes au-dessus de l’animal sacré. Un second bas-relief[3], copié dans le même temple (et reproduit dans notre planche 2 quinquies et noté A), nous montre le même bélier à quatre têtes, mais avec des ailes déployées.


Notes
  1. Dialogue d’Isis et d’Horus. Voir Stobée, Eclogarum physicarum, lib. I, cap. 52, pag. 973 et 974.
  2. Description de l’Égypte, Antiq., vol. II, pl. 35, no 6.
  3. Idem, ibidem., pl. 36, no 1.

——— Planche 2 quinquies ———