Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 97-98).

THOUÉRI, TOERI.

(thoueris.)
Planche 17 (D)

La déesse égyptienne figurée sur notre planche 17 (D) présente l’étrange assemblage d’une belle tête de femme placée sur le corps d’un hippopotame ; le front est orné de l’uræus royal. Cet insigne de la souveraine puissance se rattache à une coiffure, fixée par un diadème et terminée par une chevelure factice, disposée par étages et peinte en bleu céleste pour indiquer que cet ornement est formé d’une réunion de grains, d’émail coloré. La déesse tient en main l’emblême de la vie divine, et une tunique d’étoffe légère et transparente voile imparfaitement le corps du monstrueux quadrupède qui jadis habitait la partie inférieure du cours du Nil.

J’ai recueilli cette singulière personnification parmi les sculptures qui décorent l’une des chapelles creusées dans le roc, entre Edfou et Ombos, au point le plus resserré de la vallée, localité connue sous le nom de Sebel-Selséléh, l’ancienne Silsilis. L’un des bas-reliefs de l’élégante chapelle, creusée sous le règne du pharaon Ménéphtah II, fils et successeur de Rhamsès le Grand, représente la reine Isénofris, l’épouse de ce roi, revêtue des insignes de la Vénus égyptienne, agitant deux sistres devant un autel chargé de pains sacrés et de riches bouquets de fleurs. Les adorations de cette princesse s’adressent à la divinité que nous venons de décrire et à la suite de laquelle marchent le dieu Thoth-Lunus, le seigneur de Schmoun (Hermopolis magna), le secrétaire de justice des dieux grands, tenant un rouleau de papyrus, et la déesse Natphé, la grande génératrice des dieux. Un bas-relief tout à fait semblable à celui que nous venons d’analyser décore également la chapelle voisine, sculptée dans le rocher sous le règne de Rhamsès II. Dans ces deux tableaux, la déesse à corps d’hippopotame porte le nom de ⲧⲑⲱⲙⲣⲓ ou ⲧⲑⲱⲩⲙⲣⲓ (légende, no 1), Téöeri, Téouéri et ⲑⲟⲩⲙⲣⲓ, Thoueri par contraction, et reçoit le titre de ϧⲣⲇⲓϧⲙⲧ ⲡⲙⲟⲟⲩ ⲟⲩⲇⲇⲃ, celle qui préside à l’eau pure ; mais comme ce titre appartient également aux deux divinités parèdres, on doit peut-être, au lieu de trouver dans ce titre une désignation formelle d’une attribution particulière à la déesse, n’y voir qu’une qualification locale, en considérant les mots ⲟⲩⲇⲇⲃ, Pmoou-Ouaab (l’eau pure, l’eau sainte), comme le nom-propre égyptien de l’étroit défilé où s’amoncellent les eaux du fleuve pour se faire jour à travers les montagnes de grès qui semblent s’opposer à son passage.

Le nom de Thouéri se retrouve dans les écrits des auteurs grecs comme étant celui d’une divinité égyptienne. On lit dans le Traité d’Isis et d’Osiris que, parmi les partisans de Typhon, qui, abandonnant leur chef, se réunirent au dieu Horus, on comptait Thoueris, ΘΟΥΗΡΙΣ[1], concubine de Typhon, ἡ παλλακὴ τοῦ Τυφῶνος. La parfaite ressemblance des noms ne laisse aucune espèce de doute sur l’identité de la déesse représentée dans les bas-reliefs égyptiens sous la forme d’une femme à corps d’hippopotame, animal essentiellement typhonien, et cette concubine de Typhon, mentionnée par Plutarque. Le même auteur rapporte aussi une tradition égyptienne, d’après laquelle Horus tua et mit en pièces un serpent qui poursuivait Thouéri, lorsque cette déesse eut abjuré la cause de Typhon[2]. Ce serpent était Typhon lui-même, puisque les sculptures égyptiennes nous montrent d’habitude ce dieu malfaisant sous la forme d’un reptile gigantesque constamment nommé Apop ou Apoph, l’Apophis des auteurs grecs.

Jablonski, présumant un peu trop de ses connaissances en langue copte, crut pouvoir, en l’absence de tout autre document sur la déesse Thouéris, arriver à connaître les attributions de ce personnage mythique en analysant étymologiquement son nom propre. Il s’imagina donc que Θούηρις n’était qu’une simple transcription du mot égyptien ⲑⲟⲩⲣⲙⲥ, Thouris, employé dans les livres coptes pour désigner le vent du midi, et que cette divinité représentait symboliquement ce vent brûlant qui, connu sous le nom de Khamsin, soulève des tourbillons de poussière, obscurcit la lumière du jour et dessèche le sol de l’Égypte.

Mais cette hypothèse, qui ne repose sur aucun fait démontré, se trouve démentie par les monuments égyptiens eux-mêmes. On voit en effet que, dans le nom de Θούηρις, la finale σ n’est qu’une désinence purement grec que, et nous démontrerons dans l’explication de quelques planches subséquentes, que la Thouêri des égyptiens n’était qu’une forme secondaire de la déesse Natphé, et n’avait aucune espèce de rapport avec les vents méridionaux.


Notes
  1. Ὅτι πολλῶν μετατιθεμένων ἀεὶ πρὸς τὸν Ὧρον, καὶ ἡ παλλακὴ τοῦ Τυφῶνος. De Iside et Osiride.
  2. Ὄφις δέ τις ἐπιδιώκων αὐτὴν ὑπὸ τῶν περὶ τὸν Ὧρον κατεκόπη. Idem, ibidem.

——— Planche 17 (D) ———