Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 79-82).

THOTH TRISMÉGISTE,

LE PREMIER HERMÈS, HERMÈS TRISMÉGISTE.
Planches 15 et 15 (A)

Le personnage mythique à tête d’épervier, figuré sur cette planche, remplit, dans les scènes religieuses sculptées sur les grands monuments de l’Égypte, des fonctions analogues à celles du dieu qu’à sa tête d’Ibis on n’a pu méconnaître pour l’Hermès égyptien, appelé Thoyth ou Taut par les écrivains grecs et latins. Le dieu Hiéracocéphale et le dieu Ibiocéphale sont représentés dans les bas-reliefs des appartements de granit au palais de Karnac, instruisant un roi d’Égypte placé au milieu d’eux[1]. Ce roi est Philippe, dit Aridée, le successeur d’Alexandre-le-Grand ; sa légende royale, placée au-dessus de sa tête, porte en effet : Le Roi, chéri d’Amon-ra, approuvé par le Soleil, fils du Soleil, Philippe[2]. Dans le même bas-relief ce prince est d’abord purifié par le dieu Hiéracocéphale et le dieu Ibiocéphale[3], qui versent au-dessus de sa tête l’eau sainte s’échappant de deux vases. La même scène existe au palais de Medinet Abou[4] ; mais le roi purifié est ici un des anciens pharaons dont on n’a point copié la légende royale ; cette scène est également reproduite dans les bas-reliefs qui décorent le portique du grand temple de Philæ[5]. L’eau sortant des vases, qu’épanchent les deux divinités, est entremêlée des signes symboliques de la vie divine et de la bienfaisance. À Esné enfin, les personnages Hiéracocephale et Ibiocéphale semblent instruire ou honorer une femme coiffée de la partie supérieure du pschent[6].

Il est évident, par l’examen des monuments qu’on vient de citer, que le dieu à tête d’épervier partage toutes les attributions de l’Hermès égyptien à tête d’Ibis ; et si l’on considère aussi que les personnages instruits ou purifiés font toujours face à l’Hiéracocéphale, il devient certain que cette divinité est supérieure à l’Hermès Ibiocéphale ; et cette suprématie, comme cette analogie de fonctions, s’expliquent bien naturellement par le fait seul que les Égyptiens reconnaissaient deux Hermès parmi leurs divinités.

Cette distinction importante était positivement exprimée dans l’ouvrage de Manéthon, écrit par ordre de Ptolémée Philadelphe[7]. Ce grand-prêtre égyptien y parlait de Thoth le premier Hermès (Θὼθ ὁ πρῶτος Ἑρμῆς), qui, avant le Cataclysme, avait inscrit sur des stèles, en hiéroglyphes et en langue sacrée, les principes des connaissances, et composé ainsi les premiers livres sacrés, qui furent traduits, après le Cataclysme, en écriture hiérographique (hiératique) et en langue commune, par le fils d’Agathodæmon (ὁ δεύτερος Ἑρμῆς) le second hermès père de Tat. Ce passage de Manéthon confirme donc ce que j’avais déja déduit des monuments seuls, l’existence de deux Hermès. Cette même distinction est expressément établie dans les livres hermétiques, qui, malgré les jugements hasardés qu’en ont portés certains critiques modernes, n’en renferment pas moins une masse de traditions purement égyptiennes et constamment d’accord avec les monuments.

Dans le dialogue sacré d’Isis et d’Horus[8], qui contient l’exposition de tout le système cosmogonique et psychologique des Égyptiens, le premier Hermès est qualifié de trois fois grand ou trois fois très-grand (Τρισμέγιστος), de père et de directeur de toutes choses (Πατὴρ πάντων καὶ καθηγητὴς ) et d’historiographe des dieux (θεῶν ὑπομνηματογράφος). Ces titres donnés au premier Hermès sont, quelque magnifiques qu’ils puissent paraître, justifiés par les actions et le rôle que les mythes sacrés lui attribuaient. Ce dieu, dès l’origine des temps et avant l’organisation du monde physique, fut le seul des immortels qui comprit l’essence du Démiurge ou dieu suprême, et celle des choses célestes ; il déposa ces connaissances dans des livres qu’il voulut laisser inconnus jusqu’à la création des ames. C’est ce même dieu qui prépara la matière dont furent formés les corps de la race humaine ; il promit alors de rendre ces nouveaux êtres fort doux, et de leur inspirer la prudence, la tempérance, l’obéissance et l’amour de la vérité. Ce furent Osiris et Isis, pendant leur incarnation terrestre, qui firent connaître aux hommes la partie des livres d’Hermès Trismégiste, qui devait régler leur vie intellectuelle et physique. Il résulte enfin de la lecture attentive de ce curieux dialogue d’Isis et d’Horus, qu’Hermès n’est autre que l’intelligence divine personnifiée ; aussi ce dieu est-il appelé par le dieu suprême ou le Démiurge : Ame de mon ame (Ὧ ψυχής ἐμῆς ψυχή), Intelligence sacrée de mon intelligence (Νοῦς ἱερὸς ἐμοῦ νοῦ), et porte-t-il le titre de Πάντα νοῶν, Intelligens omnia[9].

Il résulte aussi de la comparaison des monuments et des divers écrits des anciens, que l’Hermès Hiéracocéphale et l’Hermès Ibiocéphale, ou, en d’autres termes, que le premier et le second Hermès, n’étaient qu’un seul et même personnage considéré sous deux points de vue différents : l’un, celui à tête d’épervier (voyez notre planche 15), auquel appartint plus spécialement le titre de Trismégiste, fut l’Hermès Céleste, l’instituteur des dieux, l’intelligence divine personnifiée ; l’autre, l’Hermès à tête d’Ibis, l’Hermès terrestre, l’instituteur des hommes, la raison ou l’intelligence humaine personnifiée. Ce dernier, comme l’Hermès Psychopompe des Grecs, exerçait aussi son pouvoir sur les ames humaines descendues dans l’Amenti ou enfer égyptien.

La légende habituelle du premier Hermès est celle qui accompagne son image (planche 15, no 1) ; son nom propre est formé des deux premiers caractères qui, dans les textes hiéroglyphiques, représentent tous deux les articulations grecques Θ ou Τ, et paraissent être l’orthographe égyptienne du nom Θὼθ, qui, selon Manéthon, fut celui du premier Hermès. Ce nom phonétique est ordinairement suivi du segment de sphère et du disque croisé, signes déterminatifs de tous les noms propres des contrées célestes et terrestres. Les six caractères qui suivent, expriment les titres dieu grand, seigneur de la région supérieure. Ailleurs, le nom de ce dieu est écrit symboliquement par un épervier, avec ou sans le fléau[10]. Le temple de Dakké, en Nubie, est dédié, comme le prouvent une foule d’inscriptions grecques, à Hermès, surnommé Παυτνουφις, mot qui répond au copte Pahitnoufi, Celui dont le cœur est bon.

M. Gau a dessiné dans cet édifice, dédié aux deux Hermès qui n’étaient au fond qu’une même divinité, une inscription hiéroglyphique, dans laquelle est mentionné le premier Hermès, dont le nom est exprimé par le triple épervier, suivi des qualifications dieu trois fois grand[11], président du temple de la demeure de Pselk (voyez notre planche 15, légende no 3). Pselk était une déesse qui avait donné son nom à la ville de Dakké, appelée en effet Pselk-is ou Pselc-is par les Grecs et les Romains, et demeure de Pselk par les Égyptiens.

La représentation du premier Hermès ou Thoth-Trismégiste, gravée sur notre planche 15, a été calquée sur une momie appartenant à M. Thédenat-Duvent.

Cette grande divinité est emblématiquement figurée sur les monuments égyptiens de tous les âges et de tous les genres, sous la forme d’un disque peint en rouge, décoré d’uræus, ainsi que de deux grandes ailes déployées : et toujours accompagné de la même légende que le dieu, comme on peut le voir sur notre planche 15 (A), dont l’explication sera donnée avec celle de la planche 15 (B), qui contiendra les formes variées de cet emblème du premier Hermès.


Notes
  1. Descript. de l’Égypte, A., vol. III, pl. 34, no 1.
  2. Cette légende est très-incorrecte dans la Description de l’Égypte. Un dessin très-soigné en a été fait sur les lieux par M. Huyot, qui a bien voulu me le communiquer. Voyez, pour le règne illusoire de ce prince sur l’Égypte, l’ouvrage de mon frère, Annales des Lagides, tome I, page 241 à 306.
  3. Descript. de l’Égypt., A., vol. III, pl. 34, no 1. On a, par erreur, donné sur cette planche une tête d’épervier, au lieu d’une tête d’Ibis, au personnage de gauche, comme prouve la légende placée au-dessus de sa tête, et qui est celle d’Hermès Ibiocéphale.
  4. Idem, A., vol. II, pl. 13, no 1.
  5. Idem, A., vol. I, pl. 10, no 2.
  6. Descript. de l’Égypt., Esné, pl. 80, no 2.
  7. Manetho apud Syncell., Chronograph., page 40.
  8. Apud J. Stobæum, Eclogarum Physicarum, lib. I, cap. 52, pag. 927 et suiv.
  9. Dialogue d’Isis et d’Horus, apud Stobæum, loc. cit.
  10. Voyez notre planche, légende no 2, et Description de l’Égypte, A., vol. I, pl. 10, no 2.
  11. C’est-à-dire, Trismégiste. Le second Hermès à tête d’Ibis ne porte habituellement dans les inscriptions que le titre de deux fois Grand. (Voyez les légendes inscrites au-dessus de son image dans les papyrus funéraires.) C’est ce titre du second Hermès que le texte grec de l’inscription de Rosette exprime (lig. 19), par les mots μέγας καὶ μέγας, grand et grand (deux fois grand).

——— Planche 15 ———

——— Planche 15 (A) ———