Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 59-60).

ΡΟΟΗ, ΡΙΙΟΗ, ΙΟΗ.

(lunus, le dieu-lune, sélène.)
Planche 14 (A)

La plupart des auteurs grecs ou latins, et, à leur exemple, les savants modernes qui ont écrit sur la religion égyptienne, affirment, par cela seul que la lune était une déesse dans la Mythologie grecque et romaine, qu’il en était de même chez les anciens Égyptiens ; Jablonski, surtout, a prétendu prouver l’identité d’Isis et de la lune, et établir que l’épouse d’Osiris n’était autre chose que la lune personnifiée[1] : cette opinion, quoique contraire à une foule de témoignages de l’antiquité, quoique frappée de nullité par l’autorité positive des monuments, a prévalu toutefois, et on la trouve reproduite dans la plus grande partie des ouvrages publiés, de notre temps, sur le culte national de l’Égypte.

Mais selon la doctrine véritablement égyptienne, la lune était un dieu, une essence mâle, et, par conséquent, une divinité forcément distincte d’Isis et de toute autre essence femelle. L’auteur, quel qu’il soit, du traité d’Isis et d’Osiris, avance, à la vérité, que les Égyptiens regardaient la Lune comme étant à la fois mâle et femelle (Ἀρσενόθηλυν) ; mais Spartianus dit plus clairement encore que, dans la croyance religieuse des Égyptiens, la Lune était un dieu[2], ce qu’affirme formellement Ammonius en assurant que le nom de la Lune en égyptien était un nom du genre masculin[3]. Jablonsky n’a tenu aucun compte de ces trois passages qu’il cite cependant en entier dans son Panthéon[4], parce qu’ils contrariaient trop directement son système, qui est de ne voir dans tous les personnages mythiques de l’Égypte, que des personnifications du Soleil, de la Lune et des autres corps célestes.

Au défaut même des témoignages que nous venons d’invoquer, il resterait encore démontré par le mot seul qui, dans la langue égyptienne, exprimait l’idée Lune, que cet astre était considéré comme un dieu et non comme une déesse ; ΟΟΗ (la Lune) en dialecte thébain, et ΙΟΗ en dialecte memphitique, sont des mots masculins et que précède constamment l’article masculin Ρ ou ΡΙ, dans tous les textes coptes, c’est-à-dire, les textes en langue égyptienne écrits avec des lettres grecques. Ainsi dans la religion de l’Égypte, comme dans les mythes hindoux, la Lune était une divinité mâle. Il a été facile, avec ce document, de reconnaître dans les bas-reliefs et les peintures égyptiennes, les images du dieu Pooh ou Piioh.

On a vu dans la description, tout-à-fait conforme aux monuments, qu’Étienne de Byzance donne de la statue de Pan ou de Mendès (Ammon générateur), que le fouet placé dans la main de ce dieu est destiné à stimuler la Lune ; et l’on trouve très-fréquemment en effet, à la suite d’Ammon, un personnage qu’il serait facile de confondre avec Phtah, mais qui en diffère par des attributs tellement caractérisés qu’on ne peut méconnaître le dieu Pooh, le Lunus ou le Dieu-lune des Égyptiens.

Ce personnage mythique, figuré sur notre planche 14 (A), diffère d’abord de Phtah par sa coiffure, de l’un des côtés de laquelle s’échappe un appendice que l’on a considéré, sans aucune certitude toutefois, comme une mèche de cheveux bouclée ou tressée. En second lieu, le dieu Pooh se distingue essentiellement de Phtah par les insignes qui surmontent cette coiffure, et qui ne sont que des images de la Lune dans ses différents états. Il porte soit le disque entier ordinairement peint en couleur jaune[5], soit le même disque placé au-dessus du croissant également peint en jaune[6].

Ailleurs le disque entier est combiné avec la dichotomie, c’est-à-dire avec l’image de ce même astre lorsque sa moitié seulement est visible pour nous[7]. Le dieu Pooh, assis et la tête surmontée du croissant seul, est figuré faisant face au dieu Phrè (le Soleil), sur un grand bas-relief sculpté à Thèbes dans les hypogées voisins du Memnonium[8]. Enfin, le disque et le semi-disque lunaires combinés (Voy. notre pl. no 8), sont représentés faisant pendant au disque du Soleil orné de l’uræus, dans les bas-reliefs symboliques sculptés sur la corniche des faces latérales du portique du grand temple à Dendera[9] ; et nous lisons en effet dans les écrits des anciens, que le symbole de la Lune fut, chez les Égyptiens, la peinture de la dichotomie combinée avec l’Amphicyrte (Voyez notre pl. nos 6 et 7), c’est-à-dire l’image de la Lune lorsqu’elle ne montre que la moitié de son disque, jointe à l’image de cet astre presque dans son plein[10].


Notes
  1. Panth. Ægypt. lib. III, cap. I.
  2. Lunam Ægyptii mysticè Deum dicunt.
  3. Καὶ γὰρ εἰ ἀρσενικῶς Αἰγύτιοι τὴν Σελήνην ὀνομάζειν, etc.
  4. Panth. Ægypt., lib. I, III, §. 6, pag. 64.
  5. Descr. de l’Égypte, A., vol. 11, pl. 13, no 1. Voyez notre pl. 14 (A), no 4.
  6. Idem, A. vol. III, pl. 32, no 4. — Idem, A. vol. III, pl. 67, no 4. — Idem, A. vol. I, pl. 43, no 19. — id. pl. 95, no 8, en face d’Ammon générateur. Voyez notre pl.
  7. Voyez notre pl. 14 (A), nos 6 et 8 ; et Descr. de l’Égypt., A. vol. II, pl. 36, no 5.
  8. Idem. A. vol. II, pl. 35, no 3.
  9. Idem. A. vol. IV, pl. 22, no 1.
  10. Σελήνης δὲ σύμβολον, τό τε διχότομον καὶ ἀμφίκυρτον. Porphyrius apud Εuseb., Præparat. Evangelic., lib. III, cap. 13, pag. 117, Édit. Viger.

——— Planche 14 (A) ———