Pantagruel (Jarry)/V
ACTE V
Scène PREMIÈRE
Heureux jour ! Heureux jour !
Heureux jour de joie et d’amour,
Les rois ramènent à bon port
Le bélier de la Toison d’Or.
Heureux jour ! Heureux jour !
Heureux jour de joie et d’amour !
Scène II
Après des exploits horrifiques,
Après des souffrances épiques,
Luttes contre les éléments,
Contre les monstres dévorants !
La faim !
La soif !…
La peste !
La mort !
Nous revenons vainqueurs avec la Toison d’Or !
Ô ciel ! se pourrait-il ?
Scène III
Bonjour, messieurs, bonjour,
Mesdames, bonjour, tretous,
Permettez-moi, Sire,
De m’introduire,
Car le mouton attire
Le moutonnier
Ainsi que la bouteille
Attire le buveur,
Et que l’abeille
Vole vers la fleur.
Mais cette moutonnaille
Ne me dit rien qui vaille,
Ce n’est point l’un des béliers
Que j’ai ramenés, foi de moutonnier.
Et d’ailleurs, jusqu’au dernier,
Les vrais moutons de la Toison d’or sont noyés.
Berger, que veux-tu dire ?
La vérité… Si vous permettez, Sire…
- (Il enlève les fausses cornes du mouton.)
Trahison, trahison !
Nous sommes perdus, malédiction !
Félons, félons !
Hon !
Le grand maître des trahisons,
C’est toujours Éros, Cupidon !
Félons, félons ! Félons, félons !
Scène IV
Voici le manteau magnifique,
D’un tissu sans pareil encor,
Fait de la laine unique
Des béliers de la Toison d’Or.
Ô prodige !
Ô prodige !
Ce prodige aujourd’hui s’accomplit,
Par l’amour tout puissant,
Par l’amour et Cypris.
Cypris a suscité le héros valeureux,
Celui qu’elle a choisi va paraître à vos yeux.
Scène V
Ciel ! Le roi Pantagruel !
Le roi Pantagruel !
Ô roi Picrochole, je viens,
De la princesse Allys te demander la main.
Ô roi, qui donc es-tu ?
Ton nom, si grand qu’il soit, à moi n’est point venu.
Je suis le roi joyeux du plus beau des royaumes,
Et je l’avais quitté pour esbaudir les hommes
Des riantes couleurs de mon bel oriflamme.
Conquérant glorieux, puis conquis à son tour,
Par le divin amour,
Je m’incline devant la grâce d’une femme.
Ta demande m’honore, ô roi Pantagruel,
Mais tel est l’oracle du ciel,
Ma fille doit unir son sort
Au seul conquérant de la Toison d’Or.
Mon père, ce vaillant au temple de Cypris
A porté le trésor, que seul il a conquis.
Qu’entends-je, ô joie extrême,
Ô roi Pantagruel, si la princesse t’aime
Vous allez être unis du doux lien éternel.
Mon père, je l’aime !
Nous nous aimons !
Devant Cypris
Soyez unis.
Moi, confident du roi, son féal pour la vie,
Je demande la main de l’aimable Manie.
Suis donc ton maître au chemin
De l’hymen !
Ô bonheur !
Eh bien ?
Étant homme d’église.
- (Il jette Lourpidon dans les bras de Dindenault.)
Mais je vous bénirai.
Voire !
Voire !
Pour oublier votre algarade,
Renouvelez votre accolade.
C’est mon avis.
À moi aussi.
À moi aussi.
À nous aussi.
Favorisé par le destin,
J’ai trouvé bonheur souverain
Dans cet heureux royaume,
Donnons cours à notre gaîté.
Pour ce que rire, en vérité,
Est le propre de l’homme.
Célébrons, en cet heureux jour,
Célébrons le rire et l’amour.
Vivons joyeux,
Rire, grâce à Dieu,
Est le propre de l’homme !