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Société d'éditions musicales (p. 65-83).
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ACTE IV


Au pied d’une terrasse du palais de Picrochole à laquelle conduit un double escalier. Tombée de la nuit.




Scène PREMIÈRE

PANTAGRUEL, PANURGE, FRÈRE JEAN, déguisés en bergers.
panurge

Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! Tout va bien,
Nous conquérons le monde,
Ce pays de Satin en merveilles abonde !
Et n’est-il pas charmant
Notre déguisement
En pastoureaux galants !

frère jean

Mon dévouement conduit mon froc et ma tonsure
En bien scabreuses aventures.

pantagruel

Ô séjour enchanté, ce palais et ces fleurs
En cet étrange empire,
Quel charme m’atlire ?
Jamais je n’ai senti pareille ardeur.


Scène II

Les Mêmes. Paraissent sur la terrasse NANIE, puis ALLYS
panurge

Chut !
C’est elle, l’inconnue annoncée à mes songes,
Ce n’est pas un mensonge.
Non, non,
Je crois à ma sorcière, à sa prédiction,
Je reconnais cette vision,
Sire, je sais dès cet instant
Qu’ici le bonheur nous attend !

nanie

Voici tomber la nuit, et ses senteurs légères
Enivrent la terre,
Le ciel sourit aux yeux charmés,
Princesse, venez respirer l’air embaumé.

allys

L’âme des fleurs s’épanouit
En la sérénité
De cette belle nuit !

pantagruel

Ô divine beauté !

nanie

Permettez que je pose
Sur vos cheveux, ces marjolaines et ces roses.

allys

Ô fleurs, en vous le ciel respire,
Tout son éclat en vous se mire.
Ô fleurs, du ciel divin sourire,
Je veux croire aux tendres présages
De vos mystérieux langages,
Fleurs heureuses,
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.
Vous consolez de toutes peines,
Ô vous, myrtes et marjolaines !

pantagruel

Ô divine beauté !

allys

Langoureusement vers mes yeux se penchent
Vos corolles, ô pervenches !

pantagruel

Ô fleurs, vous enchaînez mon cœur !

panurge, frère jean

Ô fleurs, toute splendeur !

allys

Oui, c’est le bonheur qui se pose
Sur mon front, avec ces roses.

pantagruel, panurge, frère jean, allys

Fleurs heureuses !
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.

allys

Oui, c’est le bonheur qui se pose
Sur mon front, avec ces roses.

pantagruel

Ô fleurs, vous enchaînez mon cœur !

panurge, frère jean

Ô fleurs, toute splendeur !

allys

Oui, c’est le bonheur qui se pose
Sur mon front, avec ces roses.
Fleurs heureuses.
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.

pantagruel, panurge, frère jean, nanie avec allys

Fleurs heureuses,
Fleurs précieuses.

allys

Je veux aller ainsi que chaque soir
Au temple de Cypris,
En qui j’ai mis
Tout mon espoir.

panurge

Oh ! je grille,
Je grésille,
Je la tiens, la voilà.


Scène III

Les Mêmes, moins FRÈRE JEAN
allys, apercevant Pantagruel.

Dindenault !

pantagruel

Ne fuyez pas, divine beauté,
Et daignez m’écouter.

allys

Un inconnu…

pantagruel

J’entendis votre voix
Qui, dans les fleurs, disait aux astres votre émoi,
Et j’ai cru voir soudain de leurs rayons baignée
Une divinité sur la terre enchaînée,
Aux célestes attraits joignant ceux des humains,
Et je veux l’adorer d’hommages souverains.

allys

Quel langage, berger !

pantagruel

Langage d’amoureux,
Pour la première fois épris,
Je voudrais être, Allys,
La brise qui vous frôle,

La robe de brocart qui couvre vos épaules
Autour de votre taille, être votre ceinture,
La fleur épanouie en votre chevelure,
L’air que vous respirez, le parfum qui vous plaît,
Ou cet astre lointain, par vos yeux contemplé.
Je suis dans un enfer brûlant, voluptueux,
Tout mon être frémit, et tremble, je vous veux.

allys

Qu’entends-je ? Audacieux, vous oubliez, je crois,
Qu’un tel discours s’adresse à la fille d’un roi !
Mais, ô vous que je vois sous l’habit d’un berger,
Oh ! qui donc êtes-vous, téméraire étranger ?

pantagruel

Laissant au large sur la mer
Vaisseaux, soldats bardés de fer,
À l’amour seul, à sa douceur
J’ai voulu devoir le bonheur.
Et suivant les sentiers de cette île bénie,
Parmi les fleurs des champs à travers les prairies,
Je suis venu, charmé du doux chant des oiseaux,
Frisselis des buissons, murmure des ruisseaux,
Offrir à la princesse en mon âme choisie,
La couronne de pierreries
Et le cœur enflammé du roi Pantagruel.

allys

Ciel !

allys

En moi s’épanouit
Toute la volupté que recelait la nuit

Ainsi qu’en une tour mon âme prisonnière
Aspirait à la joie, au ciel, à la lumière.

panurge

Ô tendrette,
Mignonnette,
Ô beauté rêvée,
Je t’ai retrouvée.

nanie

Ô messire,
Qu’est-ce à dire,
Il faut qu’on châtie
Votre effronterie.

allys

Et voici l’attendu de mes rêves dorés,
Le chevalier qui vient me délivrer !

panurge

Ô coquette
Joliette,
Ô ma si jolie,
À toi pour la vie !

nanie

Galant muguet,
Badin follet,
Je me sens, je crois,
Un penchant pour toi.

pantagruel

Rendons grâce au destin, ma bien-aimée Allys.

allys

Déesse des amours, sois bénie, ô Cypris !

panurge

Frère Jean, frère Jean ! Ça, béat personnage,
Mariage, mariage !

tous, avec des intonations diverses.

Mariage !

pantagruel

Frère Jean, bénis-nous !

nanie, panurge

Frère Jean, marie-nous !


Scène IV

Les Mêmes, FRÈRE JEAN
allys

Hélas ! affreux oubli, tradition fatale !
Les priucesses, suivant notre coutume antique,
Vêtent, pour prendre époux, un manteau fatidique.
En laine de la Toison d’or.
Mais Dame Lourpidon,
Qui régit les brodeuses,
N’a plus de laine précieuse,
Et Dindenault, berger des magiques moutons,
N’est point de retour encor !

panurge

La Toison d’or !
Ô coquin, misérable, étourneau, malappris,
Les moutons, par ma faute, en la mer ont péri !

nanie

Ô folie imprévoyante, ô sottise sans fond,
Oh ! j’ai jeté la laine en l’antre des griffons.

nanie, panurge

Malheur, malheur sur nous, malheur ! Calamité !

pantagruel

Je braverais mille dangers pour mériter
Un sourire de vous, ma princesse et ma fée,
Je cours reconquérir ce glorieux trophée !

(Il se précipite au dehors.)
allys

Dieux !


Scène V

Les Mêmes, moins PANTAGRUEL



frère jean

Ô saint Treignant, ô saint
Hercule Néméen !

panurge
Ensemble.

Ô saint Huluberlu,
Et vous, saint Goguelu,
Ne me privez pas de mon roi.
Et ne le privez point de moi
Protégez-le. protégez-moi !

allys, nanie

Ô Cypris. protégez-le,
Déesse des amoureux !



Scène VI

Les Mêmes, PANTAGRUEL
pantagruel

L’amour a triomphé.
Les monstres sont étouffés !

allys

L’amour a triomphé !

allys, pantagruel

L’amour a triomphé !

panurge

Victoire ! Victoire !

pantagruel

Panurge et frère Jean, allez chercher la laine.
Afin d’en faire hommage à Cypris, souveraine.

panurge

Voire. — Sont-elles bien mortes, les males bêtes ?
Je reste auprès de ma tendrette

frère jean

Moi, j’obéis, seigneur,
Ainsi qu’un bon pasteur.


Scène VII

Les Mêmes, moins FRÈRE JEAN
pantagruel

Cherchons parmi les fleurs, Allys, ma bien-aimée,
Les secrets de la nuit langoureuse et pâmée.

allys, pantagruel

Fleurs heureuses,
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.

(Ils s'éloignent.)

Scène VIII

PANURGE, NANIE
panurge

Ô victoire, ô Cypris, ô Cypris, ô Nanie ;
Ma jolie,
Panurge, amoureux pastoureau.
Célèbre la victoire aux gais sons du pipeau !

(Tout en jouant joyeusement du pipeau, il entraîne Nanie.)

Scène IX

Les Mêmes, LES BRODEUSES
les brodeuses

Qu’avons-nous entendu ?
Comme un son de pipeau !

les brodeuses

Dans le fond du bois,
Comme en tapinois,
Une flûte légère
Erre.
Ne serait-ce point
Un appel lointain
Du pipeau
De Dindenault ?
Ils sont revenus,
Vite à pas menus
Accourons sur la douce
Mousse,
Vite à pas légers,
Ce sont nos bergers,
Dindenault.
Robin Thibault.

(Elles disparaissent dans les bois. Entrent en même temps frère Jean, rapportant la laine, et Dame Lourpidon sortant du palais.)

Scène X

FRÈRE JEAN, DAME LOURPIDON
frère jean

Tel qui conserve un silence prudent
À moins d’aventures assurément.

dame lourpidon

Hé ! Moutonnier !

frère jean

Ouh là ! Jouons bien notre rôle, salut
De Dindenault imitons la parole.

(À Dame Lourpidon.)

Bonjour, madame, hommage à vous,
Salut à vous.
Prospérités infinies,
Et serviteur pour la vie.

dame lourpidon

Où sont tes compagnons ?
Et toi, quel es-tu donc ?
Je ne te reconnais point.

frère jean

Mais moi, je vous reconnais bien.
Vous êtes Dame Lourpidon.
Voyons, c’est moi Robin Mouton,

Je vous apporte la laine.
J’ai devancé mes compagnons.

dame lourpidon

Quel empressement !
Ah ! je comprends :
Sans doute, quelque bergère ?

frère jean

Je n’ai point de ces passions vulgaires.
Et mon âme,
Belle dame,
D’autres flammes,
À souci.

dame lourpidon

Quel langage !
Dû, je gage,
À l’usage
Des vovages.

frère jean

Le bon pasteur,
Plein de candeur,
Vous apporte la laine,
Le doux fardeau,
Si blanc, si beau,
La laine des agneaux ;
À vos pieds je la dépose,
Belle dame, ingénument.

dame lourpidon

Qu’il dit galamment ces choses,
Ce moutonnier est charmant,

À mes genoux,
Discret et doux,
Il dépose la laine,
Ce bon pasteur,
Plein de candeur,
Voudrait m’offrir son cœur.


Scène XI

FRÈRE JEAN, DAME LOURPIDON, puis PANURGE et NANIE, puis LES BRODEUSES
ensemble, avec Nanie et Panurge.

frère jean dame lourpidon

Dans quel guêpier
Suis-je fourré ?
Esprit malin,
Cœur féminin,
Où le péché
Va-t-il nicher ?
Illusion
Des passions !
Tant de bonté
En vérité,
Tant de faveurs,
Ah ! quelle horreur !
Dieu quel émoi !
Délivrez-moi !
Libera
Me
Domine,
Libera.
Ô triste nuit !
Horrible nuit ! (bis)

Ensemble.

Le moutonnier
S’est déclaré.
L’amour enfin,
L’amour me tient.
Ô doux péché,
Longtemps cherché !
Émotion
Des passions,
Beau moutonnier,
Toi le premier,
Reçois mon cœur,
Sois mon vainqueur !
Ô doux émoi !
Je suis à toi,
Je suis à toi,
Toute à toi !
Ô belle nuit !
Ô douce nuit !
C’est la nuit des fiançailles,
Ami, donne-moi le baiser des
accordailles.

ensemble, avec Frère Jean et Dame Lourpidon.


nanie panurge


Aventure inouïe,
Sous l’habit des bergers,
Cer roi, ces étrangers,
Parvenus jusqu’ici,
L’amour les a conduits,
La petite Nanie
T’appartient pour la vie,
Je suis à toi,
Toute à toi !
Ô belle nuit !
Ô douce nuit !

Ensemble.

Ô Nanie,
Ô ma jolie
Toute ma vie !
L’amour nous a conduits.
Je t’aimais, ô Nanie,
Depuis toute ma vie,
Elle est à moi,
Toute à moi,
Ô belle nuit !
Ô douce nuit !
Donne-moi le baiser d’accordailles,
ô Nanie,
Je t’aime !

les brodeuses

Quel événement !
Un prince charmant !
Sachons protéger
Contre tout danger
Ces beaux étrangers,
Ces galants bergers.
Comme la forêt
Gardons leur secret.

(Les brodeuses se montrent à Dame Lourpidon.)
dame lourpidon

Ouh là !

nanie, panurge

Ahi !

frère jean

Ouf !

dame lourpidon

Fâcheux contre-temps !

nanie

Fâcheux contre-temps !

panurge

Fâcheux contre-temps !

frère jean

Heureux contre-temps !

dame lourpidon, apercevant la laine.

Reprenons nos esprits !
Ah ! rentrons vite,
Petites,
Sans attendre Dindenault.
Vous, Robin Mouton et Thibault,
Suivez-nous dans le temple avec votre fardeau.

dame lourpidon, sincère ; nanie, ironique, et les brodeuses

Les bons pasteurs,
Pleins de candeur,
Nous apportent la laine,
Le doux fardeau,
Si blanc, si beau,
La laine des agneaux.

panurge, frère jean

Voici que grâce à nos habits

panurge

Je vais entrer au Paradis.

frère jean

Je ne vais pas en Paradis.


panurge

Ah ! vraiment, je ne puis y croire !
Ô doux fardeau,
Si blanc, si beau,
L’amour éclot,
Jour fériau,
Nau, nau nau nau,
Ô douce laine des agneaux !

frère jean
Ensemble.

Quand finira ce purgatoire ?
Ah ! Ô lourd fardeau,
De tous mes maux
Puissé-je tôt
Être en repos,
Mais il le faut ;
Maudite laine
Des agneaux.


Scène XII

RETOUR DE PANTAGRUEL et ALLYS
allys

De vous, sans le savoir,
J’avais l’âme occupée,
Et dans mon doux espoir,
Je ne fus point trompée,
Espoir d’amour est infaillible.

pantagruel

Serait il possible ?

allys

Je rêvais,
J’espérais,
Et je vous attendais.

pantagruel

Ô délire,
Félicité suprême !

allys

Ô délire,
Félicité suprême !

pantagruel

Félicité suprême !
Je t’aime !

allys

Je t’aime !

les brodeuses, au lointain.

Brodons le manteau magnifique,
D’un tissu sans pareil encor,
Fait de la laine unique
Des béliers de la Toison d’Or.