Maradan (1p. 179-188).


CHAPITRE X.




En finissant sa lecture, Palmira s’écria : ma mère m’a tout sacrifié ! Comme elle savait aimer ! avec quelle indifférence elle parle de son rang, de sa fortune ! Elle avait baisé le nom d’Edward, et frémissait encore de l’attentat de Mortymer : elle se rendit près d’Akinson, et l’embrassa, pénétrée de sa conduite pour tous les siens ; elle lui demanda avec empressement ce qu’étaient devenus le duc et la duchesse, et comment le père de Simplicia était rentré dans ses biens et ses droits de citoyen.

Akinson lui répondit que milord et miladi Sunderland, désespérés de la perte de leurs enfans, s’étaient fixés à Florence, où milord duc, bien plus âgé que sa femme, avait terminé sa carrière. Avant de mourir, ajouta Akinson, il me fit passer une somme considérable en diamans, avec ordre de les remettre à ladi Élisa. Mon testament punit l’enfant coupable, me mandait-il ; mais cet envoi allége mes inquiétudes paternelles sur l’avenir de cette infortunée, privée même de l’unique appui de son frère.

Palmira fut touchée de ce dernier acte de bonté ; il effaça à ses yeux la rigueur qui l’avait précédé. Akinson lui apprit encore que milord Spinbrook, ayant perdu tout le crédit dont il avait trop abusé, végétait dans ses terres ; que sa retraite avait comme anéanti les autres ennemis d’Edward.

D’ailleurs un gouverneur honnête homme, lui ayant succédé et s’étant assuré que toutes les accusations étaient fausses, avait travaillé secrètement à en acquérir des preuves : il s’écoula un laps de temps très-considérable, avant qu’il eût pu terminer ses recherches ; mais ayant enfin réussi, il en fit passer le résultat à milord Alvimar. Ce dernier, profitant de la chûte des Spinbrook, du changement du ministère, avoit obtenu la révision du procès qui, jugé alors par des hommes probes, que l’intrigue ne chercha pas à aveugler, réhabilita Edward dans ses biens, ses honneurs, aux acclamations du peuple, dont l’opinion lui avait toujours été favorable.

C’était l’augure d’un si heureux événement qu’Akinson était venu annoncer à Heurtal, lors de sa première visite. Le jugement rendu, milord ayant repris le titre et le nom de son père, était parti de suite pour venir embrasser une sœur mille fois plus chère encore, depuis qu’il connaissait l’heureux fruit de ses soins pour sa charmante fille. Sir Abel brûlant du desir de voir sa cousine, à qui il prévoyait bien aussi appartenir un jour par un titre plus doux, avait accompagné le nouveau duc de Sunderland.

La matinée était avancée quand Palmira fut rejoindre sa mère ; elle la trouva avec son frère, qu’elle salua avec affection et respect, après avoir embrassé tendrement ladi Élisa.

Chère Palmira, lui dit milord, réunissez vos instances aux miennes, pour déterminer ma sœur à venir habiter ma maison de Londres : elle consent seulement à s’en rapprocher : insistons pour qu’elle accorde la grace entière.

L’idée de Londres, du monde, avait fait briller les yeux de Palmira : la mère s’en apperçut, et sourit en disant : Je vois bien qu’il faudra céder. La joie de ne pas me séparer de Simplicia a d’abord charmé mon cœur, reprit Palmira ; mais sous quel aspect vais-je être considérée, si de malignes conjectures, si le mépris doivent m’atteindre un jour ?… Ah ! laissez-moi dans ma retraite profonde.

Milord Sunderland fut un peu étonné de cette réflexion, qui fit soupirer sa sœur, et il s’empressa de répondre à Palmira que, si elle ne pouvait se vanter hautement d’être la fille de la plus aimable des femmes, elle devait du moins se persuader qu’elle serait présentée comme un objet digne d’inspirer le respect. Ma chère Anna, continua-t-il, avait des parens en Écosse ; on le sait à Londres, sans connaître précisément leur nom. Nous dirons qu’Élisa s’est liée intimement avec eux dans le voyage qu’elle a fait dans ce royaume, et s’est chargée d’une de leurs filles, qui a été élevée avec sa cousine, portant le nom de miss Harville ; y joignant la protection de ma sœur et ma tendre affection, ne craignez pas que votre noble fierté soit exposée à de malignes conjectures et au mépris.

Simplicia parut dans ce moment : Hé bien, mon père, demanda-t-elle vivement, viendront-elles avec nous ? — Oui, mon amour, et pour toujours. — Pour toujours ! Oh ! ma tante, s’écria-t-elle avec une expression de bonheur, que je vous en remercie ! Daignez me continuer dans le monde ces soins touchans que j’ai reçus de vous ; guidez ma jeunesse, dirigez mes démarches, afin qu’on dise de moi un jour : Qui peut s’étonner de la voir intéressante, irréprochable ? elle fut l’élève de ladi Élisa.

Cette journée se passa d’une manière délicieuse ; la joie de l’intérieur se répandit au dehors ; et, grace aux largesses de milord Sunderland, de long-temps la misère n’approcha des habitans d’Heurtal, même lorsqu’ils furent privés de la bienfaisante présence de la famille d’Harville.

Une semaine s’écoula ; personne ne demandait de retourner à Londres. Sir Abel ne quittait pas ses belles cousines ; il les nommait ainsi toutes deux, disant que Palmira étant d’Écosse, de la famille de feu ladi Anna, indubitablement elle était de la sienne : il les suivit dans leurs courses champêtres, voulant, malgré la glace et les neiges, prendre idée des beautés pittoresques du pays. Il joignait son talent au leur dans les concerts qui occupaient une partie des soirées, et riait, folâtrait avec la gaie Simplicia. La gravité de Palmira lui en imposait davantage, à ce qu’il paraissait ; mais il n’en était pas moins aimable pour elle.

Une lettre de milord Alvimar fit enfin penser qu’il fallait partir : on offrit au ministre Orthon d’abandonner ces sauvages contrées, pour la cure de Sunderland qui valait dix fois plus ; ce qu’il accepta avec une vive reconnaissance, et tous les habitans de la Maison-Blanche, même le bon Jacques et la vieille Marie, la quittèrent pour toujours.