Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 37-40).
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LES CLOCHES


À Franz Ansel.


________Tes cloches, qui chantaient naguère un chant serein,
________Tu les prendras bientôt pour en fondre l’airain,
________Et de nouveaux canons rouleront sur tes grèves.

(L’anneau de la Nixe.)


L’autorité compétente a décidé que la Kaiserglocke du Dôm de Cologne (coulée du bronze des canons français de Sedan) sera, elle aussi, fondue pour les besoins de guerre. Afin de ne pas endommager l’édifice, la cloche sera brisée en morceaux dans la tour et descendue dans cet état. Elle sonnera pour la dernière fois le dernier soir de cette année.
(Nieuwe Rotterdamsche Courant, 27 décembre
1917, Ochtenblad A, p. 17.)



Poète, tu l’as dit, — tu l’as prédit, prophète,
Les cloches qui sonnaient leurs gloires et leurs fêtes,
Les cloches qui mêlaient aux flots chantants du Rhin
Leur grave mélopée et leurs ondes sonores,
Une à une on les prend et l’on se déshonore
Une à unEn fondant leur airain.

On la prend, elle aussi, la Cloche Impériale,
Le trophée enchâssé dans une cathédrale,
— Plus noble que Pallas protégeant Ilion —
La cloche qui par l’eau, par le feu fut bénie,
Celle que suspendit au Dôm la Germanie,
Après les jours sanglants, pour que son carillon,

Comme un divin message, apportât sur son aile
La promesse aux humains d’une paix éternelle,
Et pour qu’aux nations de bonne volonté
Le bronze des canons dont elle fut coulée
Vînt prêcher la concorde et, par son envolée,
Annoncer le retour de la fraternité.

Or voici qu’on l’arrache à son céleste asile,
Mais la cloche pieuse, à leur ordre indocile,
De tout son poids s’accroche aux pierres d’alentour,
Et tandis qu’on s’apprête, au soir de cette année,
À l’abattre, son âme à jamais profanée
S’exhale dans un glas qui fait trembler la tour.

Retentissant au ciel comme un appel suprême,
Sa prière s’achève en un cri d’anathème.
Elle dit : « Ô Seigneur, j’invoque ton saint nom !
» Brise l’engin qui retiendrait mon âme enclose
» Et le charme infernal de la métempsycose
» Qui la ferait rentrer dans l’âme d’un canon ! »

UNE VOIX



Canon dont le Germain a conquis les éclats
Mais dont ses bataillons n’ont su capturer l’âme,
Au moment où tu vas renaître dans la flamme
Au momeJ’entends l’appel du glas.

Ton airain qui palpite et fond dans la fournaise
Où sa métamorphose approche de sa fin
Frémit au seul penser de son futur destin
Au momeSur la terre française.

Mais bénis du Seigneur le miracle opportun
Qui t’arrache vivant aux prisons d’Allemagne ;
Tu vas voir reparaître au fond de tes campagnes
Au momeLes clochers de Verdun.

Sous ces murs où saigna le cœur de ta Patrie,
Dans ces champs dont le Hun garde encor des lambeaux
Je te ramènerai, non loin de tes drapeaux,
Au momeAvec ta batterie.

Et parmi tes servants, qu’ils soient ou non beaucoup,
Je sèmerai l’effroi, te jurant bien de mettre
Le trouble dans leur tir et dans leur télémètre
Au momePour qu’ils manquent leur coup.

Surgissant à ma voix, s’élançant à mon geste,
Des légions d’élite alors te cerneront
Que tu reconnaîtras au son de leur clairon
Au momeEt qui feront le reste.


Enfin, luiront pour toi, rapatrié, les jours
Où, traîné triomphant par des soldats de France,
Tu seras salué d’un chant de délivrance
Au momeDu haut des vieilles tours.

Rome t’aurait offert en hommage à Bellone ;
Ici, pour honorer l’exil où tu vécus,
On t’enverra garder les canons des vaincus
Au momeAu pied de la Colonne !


31 décembre 1917.