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plaisante[1] sur la résurrection de son mari. C’est une dame unique : elle se joue d’un empire de deux mille lieues, et fait mouvoir cette énorme machine aussi aisément qu’une autre femme fait tourner son rouet.

J’aurais bien voulu voir son conseil de législation, dans lequel elle rassemble des chrétiens de toute secte, des musulmans, et des païens. Elle a auprès d’elle deux jeunes chambellans, dont l’un est un jeune comte de Schouvalow, qui fait des vers français mieux que toute votre Académie. Diderot croit être à Versailles dans les beaux jours de Louis XIV. Vous seriez-vous douté, monseigneur, il y a quarante ans, que Pétersbourg serait une ville toute française ? Si vous preniez parti pour le Turc, ce serait attaquer votre patrie.

On prétend que vous voulez ressusciter les jésuites, à l’exemple du roi de Prusse. J’ajouterai cela au chapitre des contradictions qui règnent dans ce monde. Je commence à croire qu’on me donnera un évêché.

Je bavarde trop pour un vieux malade. Il faut aimer son héros, mais il ne faut pas l’ennuyer.

9059. — À M. D’ALEMBERT.
5 mars.

Oui vraiment, monsieur Bertrand, ce que vous dites là m’amuserait fort[2] ; mais croyez-vous que j’aie encore des pattes ? pensez-vous que ces marrons puissent se tirer gaiement ? Si on n’amuse pas les Welches, on ne tient rien. Voyez Beaumarchais : il a fait rire dans une affaire sérieuse, et il a eu tout le monde pour lui. Je suis d’ailleurs pieusement occupé d’un ouvrage plus universel. Vous ne me proposez que de battre un parti de housards, quand il faut combattre des armées entières. N’importe ; il n’y a rien que le pauvre Raton ne fasse pour son cher Bertrand.

Je m’arrête, je songe ; et, après avoir rêvé, je crois que ce n’est pas ici le domaine du comique et du ridicule. Tout Welches que sont les Welches, il y a parmi eux des gens raisonnables, et c’est à eux qu’il faut parler sans plaisanterie et sans humeur. Je vais voir quelle tournure on peut donner à cette affaire, et je vous en

  1. Lettre 9036.
  2. Voyez lettre 9057, page 372.