Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9036

Correspondance de Voltaire/1774
Correspondance : année 1774GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 550-551).
9036. — DE CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Pétersbourg, le 8-19 janvier.

Monsieur, je pense que les nouvelles que le roi de Prusse vous a données de la défaite du vizir et de la prise de Silistrie lui sont venues de Pologne, le pays, après la France, où l’on débite les plus fausses. Je m’attends à voir les oisifs fort occupés d’un voleur de grand chemin qui pille le gouvernement d’Orenbourg, et qui tantôt, pour effrayer les paysans, prend le nom de Pierre III, et tantôt celui de son employé[1]. Cette vaste province n’est pas peuplée à proportion de sa grandeur ; la partie montagneuse est occupée par des Tartares, nommés Baschkis, pillards depuis la création du monde. Le pays plat est habité par tous les vauriens dont la Russie a jugé à propos de se défaire depuis quarante ans, ainsi que l’on a fait à peu près dans les colonies de l’Amérique pour les pourvoir d’hommes.

Le général Bibikof est allé avec un corps de troupes pour rétablir la tranquillité là où elle est troublée. À son arrivée à Casan, qui est à sept cents verstes (ou cent lieues d’Allemagne) d’Orenbourg, la noblesse de ce royaume vint lui offrir de se joindre à ses troupes avec quatre mille hommes bien armés, bien montés, et entretenus à leurs dépens. Il accepta leur offre. Cette troupe seule est plus qu’en état de remettre l’ordre dans le gouvernement limitrophe.

Vous jugez bien que cette incartade de l’espèce humaine ne dérange en rien le plaisir que j’ai de m’entretenir avec Diderot. C’est une tête bien extraordinaire que la sienne ; la trempe de son cœur devrait être celle de tous les hommes ; mais enfin, comme tout est au mieux dans ce meilleur des mondes possibles, et que les choses ne sauraient changer, il faut les laisser aller leur train, et ne pas se garnir le cerveau de prétentions inutiles. La mienne sera toujours de vous témoigner ma reconnaissance pour toutes les marques d’amitié que vous me donnez.

Catherine.

  1. Il s’agit de Pugatscheff ; voyez lettre 9044.