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Mme Necker dit qu’elle craint que le roi de Prusse ne soit mécontent[1] de ce que je le donne au diable ; et à qui donc veut-elle que je le donne ? et puis, s’il vous plaît, peut-on donner quelqu’un au diable plus honnêtement ?

J’ai un autre scrupule que je vous prie de lever. Je ne sais si j’ai reçu une lettre de M. le chevalier de Chastellux, et je ne sais si je lui ai répondu[2]. Je n’ai pas un grand ordre dans mes paperasses. Si j’avais manqué de répondre à M. de Chastellux, je serais bien fâché contre moi : c’est un des hommes que j’estime le plus. J’aime à voir un brave officier qui ne croit pas que son métier soit absolument le plus propre à faire la félicité publique. J’apprends que son ouvrage n’est pas aussi connu à Paris qu’il devrait l’être. Je pense en savoir la raison, c’est qu’il est au-dessus de son siècle.

À propos, je ne vous ai pas envoyé une copie correcte de ma petite Tactique ; mais qu’importe ? J’ai envie de l’envoyer à votre Rominagrobis[3], pour voir s’il se fâchera que je l’envoie où il doit aller[4]. Il n’a rien fait de si plaisant en sa vie que de se déclarer général des jésuites. Il faudrait, pour lui répondre, que le pape se déclarât huguenot. Je ne désespère pas de voir cette facétie, et celle que vous proposez entre Diderot et Catau.

Adieu, mon très-cher secrétaire perpétuel, qui vivrez perpétuellement.

8992. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 8 décembre.

Sire, une belle dame de Paris[5] (dont vous ne vous souciez guère) prétend que vous serez fâché contre moi de ce que je donne Votre Majesté au diable[6] ; et moi, je lui soutiens que vous me le pardonnerez, et que Belzebuth même en sera fort content, attendu qu’il n’y a jamais eu personne plus diable que vous à la tête d’une armée, soit pour arranger un plan de campagne, soit pour l’exécuter, soit pour réparer un accident.


  1. Il le fut en effet ; il en eut une attaque de goutte ; voyez lettre 9050.
  2. La dernière de Voltaire à Chastellux qui soit imprimée est du 1er février, No 8751. Voltaire lui écrivit le 24 décembre ; voyez lettre 9012.
  3. Le roi de Prusse.
  4. Dans le vers 78 de sa Tactique (voyez tome X). Voltaire déclare s’enfuir loin des héros, et qu’il

    Les donne au diable.


  5. Mme Necker.
  6. Vers 78 de la Tactique.