Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauriez croire quel plaisir vous me ferez de me le faire parvenir.

Je ne connais guère que vous et M. d’Alembert qui sachiez présenter les objets dans leur jour, et écrire toujours d’un style convenable au sujet. J’ai cherché dans mes paperasses la mauvaise plaisanterie sur les comètes[1], je ne l’ai point trouvée. On dit qu’il y en a deux : l’une de moi, l’autre que je ne connais pas ; mais, dans l’état où je suis, souffrant continuellement, et près de quitter ce petit globe, je dois prendre peu d’intérêt à ceux qui roulent comme nous dans l’espace, et avec qui probablement je ne serai jamais en liaison.

Il est vrai que, dans les intervalles que mes maladies me laissent quelquefois, je m’amuse à la poésie, que j’aime toujours, quand ce ne serait que pour donner un os à ronger à Clément et à Sabotier ; mais j’aime mieux votre prose que tous les vers du monde. Ce que j’aime autant que votre prose, c’est votre personne. Jamais les belles-lettres et la philosophie n’ont été si honorées que par vous.

Agréez, monsieur, le très-tendre respect du vieux malade de Ferney.

8991. — À M. D’ALEMBERT.
5 décembre.

Votre lettre[2], mon cher philosophe, vaut beaucoup mieux que ma Tactique. Nous en avons bien ri, Mme Denis et moi. Raton avale sans aucune répugnance la pilule que lui présente Bertrand. Ce n’est point une pilule, c’est une dragée du bon faiseur et sur-le-champ nous faisons venir les deux tomes[3], pour lire au plus vite la page 101 ; c’est du moins une consolation. Il y a certaines petites ingratitudes, certains petits caprices, certaines niches qu’il faut savoir supporter en silence, surtout lorsqu’on a quatre-vingts ans ; et lorsqu’on n’a pas vécu toujours tranquille, il faut tâcher au moins de mourir tranquille.

J’écris à M. de Condorcet, et je le supplie de vouloir bien m’envoyer son Fontaine[4] : car, en vérité, je trouve qu’il est le seul qui écrive comme vous, qui emploie toujours le mot propre, et qui ait toujours le style de son sujet.

  1. Lettre sur la prétendue comète ; voyez tome XXIX, page 47.
  2. Cette lettre est perdue ; la dernière de d’Alembert est du 27 avril, No 8826.
  3. Voltaire en reparle encore dans la lettre 9001 ; mais je ne sais quels sont ces volumes.
  4. Voyez la lettre précédente.