Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 9001

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 520).
9001. — À M. D’ALEMBERT.
15 décembre.

Vraiment Raton s’est brûlé les pattes jusqu’aux os. L’auteur de la page 101 dit[1] précisément les mêmes choses que moi, et il les répète encore à la page 105. Cher Bertrand, ayez pitié de Raton ; vous sentez qu’il est dans une position critique. Il a tant tiré de marrons du feu que les maîtres des marrons, dont il a plus d’une fois gâté le souper, ont juré de l’exterminer à la première occasion ; et il n’y a point de chat que ces drôles-là ne se promettent de prendre, fût-il réfugié dans la cuisine ou dans le grenier. Il faut donc absolument que Raton fasse patte de velours.

Je trouve la manière dont on traite La Harpe bien injuste et bien dure. Il a du génie, et il est, à mon gré, le seul qui pourrait soutenir le théâtre tragique.

J’ai supplié M. le marquis de Condorcet de vouloir bien m’envoyer l’Éloge de Fontaine, en cas que ma demande ne soit pas indiscrète. Ce Fontaine, autant qu’il peut m’en souvenir, était un compilateur d’ana, tout farci d’idées creuses. M. de Condorcet me paraît bien au-dessus de tous ceux dont il fait l’éloge.

N’est-ce pas vous, mon illustre Bertrand, qui m’avez adressé M. de Lisle, capitaine de dragons ? En ce cas, il faut que je vous en remercie car il a bien de l’esprit, bien du goût, et il est, de plus, un des meilleurs cacouacs que nous ayons.

La nouvelle édition de l’Encyclopédie va paraître à Genève.

On imprime in-4o un Corneille, avec un commentaire de Raton. Ce commentaire est plus ample de moitié. On se prosterne devant les belles tirades, à qui on doit d’autant plus de respect que ce sont des beautés dont on n’avait pas d’idée dans notre langue ; mais on donne des coups de griffe épouvantables à tout le reste. On ne doit de respect qu’à ce qui est beau. C’est se moquer du monde que de dire : Admirez des sottises, parce que l’auteur a fait autrefois de bonnes choses.

Je vous embrasse bien tendrement.

Miaau.

  1. Voyez la note 3, page 511.