Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 9000

9000. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU[1].
À Ferney, 15 décembre.

J’écris vite à mon héros comme je peux, avec mes yeux très-mal en ordre, pour lui dire qu’il n’est pas vrai que M. le baron d’Espagnac m’ait démenti[2] sur le service signalé que vous rendîtes le jour de Fontenoy ; au contraire, il dit précisément les mêmes choses que j’avais dites, et il vous rend la plus grande justice. Une bonne âme de Paris m’avait mandé que ce n’était pas vous qui aviez proposé les quatre canons, et que M. d’Espagnac en donnait la gloire à d’autres. M. d’Espagnac me fait l’honneur de m’envoyer son ouvrage, et je vois avec grand plaisir qu’il ne faut pas croire les tracassiers de votre bruyante ville, pleine de petites factions, de petits partis, de petites jalousies, de petits mensonges : tout cela passe, et la gloire reste.

Un M. Moline a été chargé de votre portrait dans la Galerie française ; il m’a envoyé sa besogne. Il n’importe quelle main vous peigne ; les traits sont ressemblants, et cela suffit.

Quelle consolation ce sera pour moi d’aller à Bordeaux vous faire ma cour dans vos moments de loisir, de revenir dans mon trou sans passer par Paris, et de pouvoir dire : Je l’ai revu, celui qui fit tant d’honneur à la France !

Vivez, monseigneur, plus longtemps que votre devancier le duc d’Épernon, qui n’a jamais approché de vous.

V., qui a cent ans.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Dans son Histoire de Maurice de Saxe.