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CORRESPONDANCE.

votre parti. On me reproche d’être devenu un peu Russe dans mes déserts, et d’avoir souhaité un peu de mal aux Turcs, qui abrutissent le pays d’Alcibiade, d’Homère, et de Platon. Mais comment veut-on que je fasse ? Un Russe[1] vient de m’envoyer une épître en vers à Ninon, que je croirais faite par vous si elle ne m’avait pas été envoyée de Pétersbourg. J’attendrai que les Turcs fassent d’aussi jolis vers français pour prendre leur parti.

Je vous avouerai encore que vos factions de toute espèce qui partagent Paris me dégoûtent un peu des Welches. Il faudra bien qu’à la fin toutes ces cabales se dissipent. On a beau protéger les Du Jonquay, et mettre dans toutes les gazettes que le conseil du roi va casser l’arrêt du parlement ; ni le conseil, ni le public éclairé, ne le casseront, et monsieur le premier président jouira de la gloire d’avoir découvert la vérité et de l’avoir fait connaître. Je ne sais rien de plus absurde et de plus criminel que toute la manœuvre de ces coquins. Il me paraît clair qu’il y a cinq ou six coupables qui ont voulu partager le gâteau des cent mille écus ; que le testament de la Véron ressemble à celui de Crispin dans le Légataire universel ; que le tapissier usurier Aubourg[2], qui a acheté ce procès, et qui l’a conduit, est un fripon digne des galères, malgré les éloges que l’avocat Vermeil lui a prodigués ; que le cocher Gilbert est un des plus insolents fourbes qui aient jamais bravé la justice.

J’oserais même espérer que ce cocher Gilbert, fait pour mener la charrette qui doit le conduire à la Grève, pourrait, puisqu’il est en prison, découvrir toute l’intrigue de cette canaille, et attirer enfin sur elle les peines qu’elle a méritées. C’est une chose trop honteuse pour notre nation que cette bande de scélérats trouve encore des protecteurs, après le jugement si doux du parlement.

Je suis très-attaché à Mme de Sauvigny, dont vous me faites l’honneur de me parler. Je n’ai monsieur son frère depuis deux ans chez moi que par considération pour elle, et pour le préserver de sa ruine entière, où il courait de toutes ses forces. Il a besoin d’être un peu contenu, quoiqu’il soit assurément dans l’âge d’être sage. Mme de Sauvigny s’est conduite en dernier lieu avec la générosité la plus noble.

Adieu, monsieur ; conservez-moi un peu d’amitié. Mme Denis vous fait ses compliments.

  1. Voyez la lettre 8955.
  2. Voyez tome XXVIII, page 509.