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CORRESPONDANCE.

Lally était un grand étourdi, j’en conviens ; et il se peut fort bien faire qu’il ait eu tort avec votre officier, qui se met assez mal à propos à pleurer pour si peu de chose. Il ne faut pleurer que sur Lally, sur le chevalier de La Barre, sur d’Étallonde son camarade, et sur tous ceux dont l’ancien parlement de Paris a été l’assassin, pour faire croire qu’il était bon chrétien. Nous pleurerons encore, si vous voulez, sur la compagnie des Indes et sur l’État ; mais mes yeux sont si vieux et si secs qu’ils n’ont plus de larmes à fournir. J’aime mieux rire, tout malade que je suis, quoi qu’en dise M. Tessier, qui me suppose de la santé parce qu’il est jeune et qu’il se porte bien. Il ne lui reste plus qu’à dire que je suis très-amusant, parce que sa société m’a très-amusé et très-consolé à Ferney ; mais je lui pardonne son injustice.

Adieu, mon cher confrère ; jouissez de la vie ; moi, je la supporte.

8922. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, le 4 septembre.

Sire, si votre vieux baron[1] a bien dansé à l’âge de quatre-vingt-six ans, je me flatte que vous danserez mieux que lui à cent ans révolus. Il est juste que vous dansiez longtemps au son de votre flûte et de votre lyre, après avoir fait danser tant de monde, soit en cadence, soit hors de cadence, au son de vos trompettes. Il est vrai que ce n’est pas la coutume des gens de votre espèce de vivre longtemps. Charles XII, qui aurait été un excellent capitaine dans un de vos régiments ; Gustave-Adolphe, qui eût été un de vos généraux ; Walstein, à qui vous n’eussiez pas confié vos armées ; le grand électeur, qui était plutôt un précurseur de grand : tout cela n’a pas vécu âge d’homme. Vous savez ce qui arriva à César, qui avait autant d’esprit que vous, et à Alexandre, qui devint ivrogne n’ayant plus rien à faire ; mais vous vivrez longtemps, malgré vos accès de goutte, parce que vous êtes sobre, et que vous savez tempérer le feu qui vous anime, et empêcher qu’il vous dévore.

Je suis fâché que Thorn n’appartienne point à Votre Majesté, mais je suis bien aise que le tombeau de Copernic soit sous votre domination[2]. Élevez un gnomon sur sa cendre, et que le soleil,

  1. De Pollnitz ; voyez lettre 8908.
  2. Cet a Frauenburg, dans le diocèse de Warmie, qu’est enterré Copernic, qui était né & Thorn.